La « réalité virtuelle » : une technologie entre fascination et défi
Les 17-18 juin dernier avait lieu au Forum des images la première édition du Paris Virtual Film Festival. Au cœur de cet événement, la réalité virtuelle (RV) et son rapport à l’industrie du cinéma. Profession Spectacle a plongé pendant deux jours dans cet univers immersif, sensoriel et interactif : à la suite de notre analyse sur cette réalité émergente, nous vous proposons un petit lexique pratique pour vous y retrouver dans un vocabulaire complexe et pétri d’anglicismes.
« La réalité virtuelle permet une immersion profonde, là où le cinéma en vue subjective a relativement échoué malgré plusieurs tentatives », explique Balthazar Auxietre, réalisateur de La Peri, présenté au Forum des images.
Indéniablement, les films présentés au Forum des images à l’occasion de la toute première édition du Paris Virtual Film Festival ont le mérite de nous plonger dans d’autres mondes. S’asseoir dans un fauteuil de bureau rotatif, enfiler des lunettes RV* dernière génération, puis un casque audio, pour enfin s’immerger dans un monde audiovisuel à 360°…
Un enjeu artistique, technique, économique et éthique
Bien sûr, chacun sera plus ou moins déstabilisé face à ces sensations nouvelles, en fonction de sa familiarité avec les univers virtuels (jeux vidéo en premier lieu). Mais force est de reconnaître, devant ce déferlement d’enthousiasmes et d’expériences, l’avenir et l’importance des questions soulevées par ses pionniers. Artistiquement bien sûr – les films proposés sont encore très inégaux, dans leur intérêt propre comme dans leur utilisation de ce média fantastique –, mais aussi techniquement, économiquement et, osons l’anticiper, éthiquement parlant.
Sur tous ces plans, le Forum des images, représenté par Michael Swierczynski, directeur du développement numérique, réussit le pari de proposer un festival à la fois ludique, accessible au grand public et réunissant des professionnels du milieu dont les questionnements sont passionnants.
Un langage à inventer
La sensation d’assister aux balbutiements d’un genre artistique nouveau, d’un langage pas encore totalement inventé, est grisante. Si les questions abordées dans les débats font souvent référence aux problèmes cinématographiques du média, Balthazar Auxietre nous indique une ligne directrice générale : « Le montage et certains autres mécanismes et procédés utilisés par le cinéma ne sont pas forcément des exemples sur lesquels doit se baser la VR. Quand on prend le cut par exemple (ndlr : le fait de passer d’un plan à un autre, principe de base du montage), on ne peut pas en abuser en VR, car le spectateur va toujours avoir besoin d’une dizaine de secondes pour reconnaître son nouvel environnement. Il y a tout un langage à découvrir, propre à ce média. »
La problématique de l’identification, celle de la spatialisation du son (qui trouve un support à sa véritable mesure), celle de l’orientation du spectateur vers la narration (dans un environnement à 360°, il est facile de rater une action importante de l’histoire qui se déroule derrière nous, alors que nous observons une feuille d’arbre avec fascination !) ou bien celle encore de la localisation dans l’espace réel (difficile de faire un tour sur soi-même sur un canapé), sont autant d’exemples encore irrésolus des problèmes rencontrés par les auteurs de films virtuels. Des problématiques qui rendent les histoires « intrinsèquement liées au dispositif dans lequel elles évoluent », selon Pierre Zandrowicz (réalisateur de I, Philip), car fondamentalement dépendantes des contraintes du média.
Quelle place pour l’acteur ?
C’est également pour lui une toute nouvelle façon d’aborder le travail de l’acteur, qui se rapproche désormais plus du théâtre : « On renoue vraiment avec le jeu de l’acteur ; il n’avait pas souvent joué des scènes de plus de 3 minutes sans interruption ». Un plaisir pour l’acteur qui pourrait comporter un danger d’ennui pour Armand Lemarchand, réalisateur de SENS : « Nous sommes pour l’instant forcés de nous cantonner au format court, parce que le public a été habitué aux codes d’un cinéma hollywoodien super rythmé ».
Autant d’indices qui font penser que l’avenir artistique de la VR empruntera sûrement plus au jeu vidéo qu’au cinéma dans sa forme traditionnelle.
Une France pionnière
De nombreux autres enjeux ont aussi été débattus au Paris Virtual Film Festival, notamment ceux – délicats – liés à la distribution et à la diffusion des œuvres. La France est pour l’instant LA pionnière en ce qui concerne la VR de création, quand les États-Unis se contentent encore d’explorer à pas prudents le côté ludique de l’innovation – de l’avis de Camille Lapato, de la société de production Pickup.
Quelques producteurs aventureux, comme Pickup, cherchent activement des moyens de diffuser et de rentabiliser ces œuvres. En faisant le choix d’un cinéma VR permanent et mobile, Pickup mise sur l’expérience collective, en comptant sur le besoin de partager l’expérience. Mais face à un média qui se vit de manière individuelle et au défi que ne manquera pas de constituer la généralisation des lunettes VR, il faudra trouver de nouvelles idées de diffusion…
La Réalité Virtuelle : bébé artistique au destin prometteur, enjeu commercial à l’avenir faramineux ou bien simple lubie de la génération digitale ? Ce qui est sûr, c’est que Profession Spectacle continuera de suivre avec intérêt tous ces développements.
Maël LUCAS
Petit lexique de la VR
VR : Virtual Reality ou Réalité Virtuelle.
Motion Sickness : Sensation désagréable, de malaise, similaire à celle que l’on peut ressentir en voiture (le cerveau n’assimile pas un déplacement contradictoire avec ce que ressent le corps).
Notion de confort : Dans l’univers de la réalité virtuelle, le fait pour le spectateur d’être exposé à une œuvre dont les déplacements et les mouvements de caméra sont conformes à ce que son cerveau peut accepter sans provoquer de malaise.
Notion de présence : Dans un film VR, le fait que le spectateur se sente véritablement à l’endroit qui est superposé à ses yeux ; c’est une autre manière de décrire la sensation d’immersion.
Swayze Effect : Malgré un sentiment de présence corporelle dans le monde dont on est témoin, la sensation que celui-ci est indifférent à notre présence, et donc ne nous concerne finalement que peu. Cette question primordiale pour les films de VR est explorée dans un passionnant article publié par Story Studio (en anglais).
Proprioception : Sensation de savoir, consciemment ou non, où se trouvent certaines parties de son corps.
Uncanny Valley : « La vallée dérangeante ». Théorie selon laquelle plus un robot ressemble à un humain, plus ce dernier aura tendance à remarquer ses défauts, et donc à être dérangé par eux. Cette théorie serait similaire à la sensation de pouvoir rentrer plus facilement dans un corps en VR lorsqu’il s’agit d’un film d’animation que dans un film en prises de vues réelles.