“La Vie dissimulée” : un conte puissant

“La Vie dissimulée” : un conte puissant
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CRITIQUE – Explosion du couple, implosion de la famille, effondrement des repères rassurants de l’enfance : La Vie dissimulée de Marinca Villanova nous remue les entrailles. Écrit à hauteur d’enfant, ce récit, publié dans la collection Aparté des éditions Eyrolles, participe à la fois de l’intime et de l’universel. Un texte à la fois intense et délicat à mettre entre les mains de tous les adultes et adolescents.

J’aime Alice Ferney. J’aime le travail d’Alice Ferney. C’est donc logiquement qu’après avoir découvert l’article dithyrambique qu’elle a consacré à La Vie dissimulée de Marinca Villanova, je me suis précipitée sur le livre. Ce fut comme une déflagration. Ce qui m’a d’abord frappée, dans ce texte écrit à la première personne, c’est sa justesse de ton. Au point que j’ai du mal à utiliser le terme de « roman » pour désigner le récit de Nina : la fillette raconte sa déchirure, celle de la séparation de ses parents, alors qu’elle n’a que sept ans, jusqu’à son émancipation, à treize ans. Elle évoque son quotidien sordide, perdue entre une mère qui semble se déliter, un père qui se clochardise et un grand frère révolté, qui se saborde. Nina ressent les choses avant d’être capable de les comprendre ; elle raconte son enfance écartelée, à l’épreuve d’un monde qui s’écroule.

Marinca Villanova, La Vie dissimulée, Eyrolles couvertureC’est probablement l’authenticité de la parole de Nina qui confère sa force au récit. Marinca Villanova rend palpables les incompréhensions et les intuitions de la fillette qui devine le désarroi de ses parents, incapables d’assumer leurs responsabilités. Alors qu’elle peine à s’endormir dans le lit surélevé de la caravane paternelle, elle considère son père : « D’ici, je remarque qu’il a moins de cheveux sur la tête, la peau de son crâne semble rose et brillante comme celle d’un bébé. » La vision surplombante suggère déjà l’inversion des rôles. Mais c’est surtout l’acuité du regard enfantin qui nous ébranle : la fillette, sans le formuler clairement, remarque la vieillesse prématurée de son père, épuisé par les épreuves de la vie, et son extrême vulnérabilité. La puissance de la narration transparaît également à travers les sensations omniprésentes qui restituent, mieux qu’un discours rationnel, ses sentiments. L’intériorité douloureuse de Nina nous bouleverse.

Un récit initiatique

Malgré son puissant réalisme, ce texte singulier se rapproche parfois du conte initiatique. Les objets semblent revêtir un pouvoir maléfique, engluant les enfants dans un quotidien à l’horizon bouché : les boîtes de céréales et les compotes toutes prêtes révèlent leur dénuement, l’odeur du vinaigre exhale les psychoses de la mère, les lettres emplies de cœurs et de paillettes, jamais envoyées, témoignent d’un monde merveilleux illusoire… et les enfants s’égarent dans la forêt, ce qui ne fera qu’accroître leurs tourments. Pour survivre, Étienne et Nina doivent affronter un univers hostile dans lequel ils se perdront l’un et l’autre, l’un pour l’autre : découvrant la pauvreté matérielle et affective, chacun à sa manière tente d’échapper au gouffre vertigineux qui menace de l’engloutir et fait l’expérience de l’altérité absolue.

L’histoire tourne mal. Étienne prépare son balluchon. Les « cailloux blancs au fond de la rivière se dispersent de nouveau ». Contrairement à ceux de Poucet, les cailloux égrainés ne permettent pas de rassembler ceux qui s’aiment ; ils stigmatisent au contraire leur indicible solitude et leurs impossibles retrouvailles. Afin d’échapper à la spirale infernale dans laquelle la dépression de sa mère l’entraîne insidieusement, l’enfant qui grandit se rebelle. Commence alors une guerre que la fillette se doit de gagner : « Je sens la présence d’une bombe, un souffle passant à proximité de mes oreilles, cette déflagration qui résonne. » De manière inattendue, Nina est confrontée à sa propre violence ; elle éprouve une cruauté malsaine qui la submerge. Surgissement d’un alter ego indomptable.    

Une force salvatrice

Ainsi, la « vie dissimulée » est celle d’une fillette qui doit se construire quand la forteresse de son enfance s’effondre et que tout devient ruine autour d’elle. Vie que l’on dissimule aux autres, réalité honteuse que l’on aimerait cacher, il s’agit aussi de la vie intime, comme une vie parallèle, qui sourd des entrailles de Nina, bien décidée à prendre son destin en main… Roman sombre où chacun est confronté à sa propre douleur, La Vie dissimulée est également porteur d’une force vitale. La dédicace à « Clara et Lucie » sonne comme la promesse d’un élan tourné vers la clarté et la lumière, celle de la possibilité d’un avenir meilleur.

Aline NAUDÉ

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Marinca Villanova, La Vie dissimulée, coll. “Aparté”, Éd. Eyrolles, 2021, 210 p., 16 €

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