L’angoisse des danseurs face à l’incertitude de la reprise

L’angoisse des danseurs face à l’incertitude de la reprise
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Le confinement a offert à certains artistes de la danse l’opportunité de créer et de se recentrer sur l’essentiel. Mais à l’angoisse et à la déception de voir des dates annulées, se joint aujourd’hui l’incertitude quant à la réouverture des lieux de travail et de performance et aux conditions de la pratique du métier.

Alors que la France va doucement sortir du confinement à partir du 11 mai, les artistes de la danse reste plongés dans l’incertitude. « Ce qui se passe est assez tragique », résume Christine Bastin, chorégraphe, cofondatrice et directrice artistique de la Fabrique de la Danse. Cette start-up culturelle située à Paris accompagne notamment les chorégraphes dans la gestion de leur compagnie et leur démarche artistique. « On a créé des rendez-vous tous les quinze jours avec tous les chorégraphes qui ont suivi nos formations pour répondre à leurs questions et partager leurs angoisses. »

Ce qui ressort de ces échanges, c’est avant tout un énorme besoin de parler. « Certains sont très sereins, ils estiment que c’est l’occasion de se poser pour se réinteriosier, pour questionner le rythme infernal du quotidien, l’état de la planète, mais d’autres sont extrêmement paniqués. » Selon la chorégraphe, c’est notamment le cas des artistes émergeants qui étaient sur le point de terminer ou de produire leur première création et qui ont dû tout arrêter. « Pour une jeune chorégraphe qui a mis toutes ses billes dans un projet, c’est terrible ! », souligne-t-elle. Les difficultés existent aussi pour les compagnies plus confirmées qui ont à gérer des équipes.

Chômage partiel

Selon Christine Bastin, la situation est aussi différemment vécue en fonction de la nature de chacun. « Une très jeune chorégraphe, qui a l’habitude de vivre à cent mille à l’heure, était dans une grande détresse car cette situation contrarie sa nature profonde, illustre-t-elle. Mais c’est la même chose pour une chorégraphe plus âgée et pourtant plus installée. Elle est aussi très en rapport à l’extérieur, elle a l’impression de ne plus avoir de vie… »

La situation financière de chacun joue également sur la façon d’accueillir les conditions actuelles. Audiens propose des aides aux artistes les plus en difficultés ; certains intermittents qui avaient des dates prévues peuvent par ailleurs bénéficier du chômage partiel par le biais de la structure porteuse de la compagnie, par exemple, mais ces aides ne solutionnent pas tout. « L’un des problèmes, c’est que pour le chômage partiel, il faut pouvoir assurer une trésorerie de base. Il faut payer les cotisations sociales en avance, et même si c’est remboursé, certains n’ont pas les moyens d’avancer ou ne disposent pas de la structure pour le faire. Ils ne feront donc pas la demande. »

Autre inconvénient : si le chômage partiel permet de cumuler des heures pour obtenir le statut d’intermittent, il tire à la baisse le montant de l’allocation journalière.

Intermittence versus stabilité

Certains danseurs qui devaient obtenir le statut cette année risquent de ne pas y parvenir. C’est le cas d’Alexandra Faucy, danseuse et chorégraphe. En parallèle du travail de sa compagnie, La Boîte à se créer, elle donne des cours dans un conservatoire de l’Essonne et au sein d’une petite association. « Pour l’instant, les deux structures ont conservé mon salaire complet, raconte-t-elle. Je ne suis donc pas dans une situation précaire et en profite pour me concentrer sur mes créations. Mais j’avais été contactée par une boîte de production pour monter un spectacle vivant avec des élèves, ce qui devait me rapporter entre six ou sept cachets. Or ce projet a été annulé. »

Alexandra Faucy était aussi en contact avec une tourneuse pour diffuser son dernier spectacle, mais tout est désormais en suspens. En conséquence, c’est le doute qui s’installe. « C’est stressant, je commence à me demander si je ne devrais pas garder ma stabilité contractuelle avec mon salaire qui tombe tous les mois plutôt que de devenir intermittente, confie-t-elle. Avec cette situation, le statut fait peur, alors que ce dont j’ai envie, c’est de poursuivre dans la création. »

Danser avec un masque

Maryline Jacques, chorégraphe au sein de la compagnie Sabdag, est quant à elle intermittente. Si son quotidien est pour l’instant assuré, elle ne sait pas dans quelles conditions son statut sera renouvelé à la date anniversaire, au mois de juillet.

Au début du confinement, elle s’est sentie angoissée et déprimée car, au-delà de la peur de la maladie, c’est surtout l’avenir qui était remis en question : toutes les dates de spectacles ont été annulées les unes après les autres. Ce qui l’aide à tenir, c’est d’avoir pu poursuivre certains projets. « La compagnie travaille sur des résidences en milieu scolaire subventionnées par la DRAC Île-de-France et la région, explique-t-elle. Il a été décidé de garder le lien avec les partenaires. Une plate-forme a notamment été créée pour partager des créations faites chez nous et, en échange, les élèves nous renvoient des productions. Les enseignants nous ont aussi demandé de participer à des classes virtuelles pour échanger sur notre métier. Cela nous garde en vie… »

Pour la suite, elle ne sait pas dans quelle mesure la compagnie pourra réintégrer les écoles ni même leur lieu de travail, la structure La Piscine d’en face, située à Sainte-Geneviève-des-Bois dans l’Essonne. Les conditions mêmes de la pratique de la danse sont remises en cause. « J’ai dû mal à me projeter sur la façon de travailler avec un masque, souligne-t-elle. J’ai essayé de courir avec et ce n’était pas possible ! Nos pratiques se fondent aussi sur la bienveillance du touché, nous faisons des duos, des trios, il va falloir qu’on réinvente notre pratique physique. »

Chloé GOUDENHOOFT

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Photographie de Une : spectacle Les Bâillements du cœur avec Alexandra Faucy (crédits Laurent Meunier)



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