« Écrire le théâtre sans le théâtre n’a plus de sens »

« Écrire le théâtre sans le théâtre n’a plus de sens »
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Un collectif d’auteurs adhérents des Écrivains associés du théâtre (E.A.T) demande, dans une tribune à Profession Spectacle, la création d’un véritable statut, des indemnisations plus proches de la réalité du métier, le respect de la parité et un soutien plus appuyé des institutions.

Tribune collective

Les Écrivains associés du théâtre lancent un cri d’alarme

Cette tribune a été écrite en réunissant les écrits des auteurs adhérents des E.A.T

« Nous sommes en guerre ».
Historiquement, les périodes de guerre ne sont pas les plus propices à la création artistique et à la culture, les priorités étant ailleurs : la survie physique et économique des individus requiert toute leur énergie. Seulement il y a l’après, et dans cet après, il sera encore question de survie, celle des artistes-auteurs. Il était déjà question de survie pour beaucoup bien avant cette crise sanitaire. Des solutions pour parer ces difficultés avaient commencé à être envisagées notamment grâce aux réflexions menées lors des États généraux des écrivaines et écrivains de théâtre, mais le temps de cette crise où les cartes sont rebattues, où un nouveau système de valeurs semble possible, où les métiers peu valorisés, mal rémunérés sont envisagés sous un autre angle – celui de leur essentialité à notre société – ce temps-là, ne devrait-il pas être aussi celui où l’on redonne enfin à l’auteur, l’autrice sa juste place ?

Écrire pour le théâtre est un métier qui, contrairement aux idées reçues, est très touché par le confinement lié à la pandémie. Il ne s’exerce pas seulement assis à son bureau tout seul devant son cahier, mais dans des résidences, des interventions en milieu scolaire, universitaire, en librairie, au bord des scènes. Les pièces que nous écrivons sont jouées devant le public dans des théâtres, par des compagnies.

Aujourd’hui écrire le théâtre sans le théâtre n’a plus de sens, et pis encore, être isolé de force sans le bruissement du monde rend la tâche presque vaine. Il n’est pas admissible que notre nécessité d’écrire s’éteigne, se gèle, se meure. Plus que jamais le monde est et sera à réinventer. Les auteurs et autrices ont ce privilège de donner à imaginer autrement le monde et d’offrir du sens aux choses de la vie. Mais aujourd’hui, peut-on se projeter dans l’avenir ? Hier il était aisé de passer de la conception à la représentation d’un texte que nous avait commandé une metteuse en scène. Mais aujourd’hui que reste-t-il d’un texte confiné ?

Un auteur confiné, cela semble romantique voire poétique. Seul à sa table, il pense, il rassemble les idées, le monde et le réécrit, le réinvente ou le conte autrement. Mais un auteur n’est pas un entrepreneur qui déclare un chiffre d’affaires mensuel, il est très rarement salarié, il peut être intermittent du spectacle ou non, il doit souvent trouver d’autres moyens de survie, la situation de chacun étant différente et souvent complexe. Et les réponses actuelles, pas toujours appropriées, révèlent cette complexité.

Alors, oui, il est temps d’oser parler de nous, de notre métier, de tous ceux qui l’exercent et qui font que le théâtre existe et qu’il continue à aider à vivre une part de l’humanité. Il est temps de se rendre compte qu’avec l’arrêt des activités culturelles et sans aucune certitude de reprise, les auteurs risquent purement et simplement de disparaître. Il est temps de demander à nos gouvernants d’en prendre conscience. Il est temps de prendre de vraies mesures. Des fonds de soutien insuffisamment pourvus ont été créés à la suite d’initiatives qui se sont voulues réactives mais beaucoup se révèlent un parcours du combattant, inaccessibles à la majorité des autrices et des auteurs et ne concernent que les moins démunis.

Il y a deux sortes d’auteurs et d’autrices : les morts et les vivants. Celles et ceux qui ont la chance d’appartenir à la seconde catégorie aimeraient pouvoir le rester, et continuer de participer à cet art, vivant lui aussi, qu’est le théâtre.

On ne vit pas que d’inspiration et d’eau fraîche lorsqu’on est auteur ou autrice de théâtre.

Depuis le début de cette crise, le manque à gagner est énorme, difficilement chiffrable, car au-delà des pertes immédiates, il faut aussi prendre en considération tout le travail en amont. En effet, avant d’exister sous la forme d’un livre, d’un spectacle, d’une fiction sonore, d’un film, tous les textes écrits par des auteurs (vivants) ont fait l’objet d’une gestation plus ou moins longue. Ainsi avec l’arrêt brutal de tous les modes de production et de diffusion, c’est pour certains projets un avortement pur et simple.

Pour ceux et celles qui ne peuvent pas accéder aux allocations chômage partiel ou au fonds de solidarité gouvernemental, les mesures d’aide envisagées sont très restrictives et excluantes (exclusion des retraités, des auteurs qui n’étaient pas encore joués en mars-avril 2019 par exemple).

Dans la réalité, les mesures de confinement ont des conséquences dramatiques sur notre métier :

Théâtres fermés, festivals annulés : ZÉRO représentation. Pas de droits d’auteur.
Salons du livre annulés, librairies fermées, médiathèques fermées, bibliothèques fermées : ZÉRO lecture, ZÉRO rencontre.
Écoles, collèges, lycées fermés, quand ils reprendront, l’heure ne sera pas à la reprise des activités : ZÉRO ateliers d’écritures.
Résidences d’écriture annulées : ZÉRO résidence.
Commandes d’écritures stoppées net : les compagnies de théâtre ne sont pas en mesure de faire une quelconque commande du fait de leur propre précarité : ZÉRO commande.

Nous demandons…

1. La création d’un véritable statut

Nous demandons la création d’un véritable statut pour les auteurs et autrices, qui nous protège, qui pourrait nous éloigner des rémunérations incertaines, chaotiques. Il est primordial d’envisager un statut prenant en compte les spécificités propres à notre métier mais qui donnerait une continuité à nos revenus. Nous demandons que sur la base de la moyenne de ses droits perçus, un auteur bénéficie d’allocations sur les périodes où il n’en perçoit plus (ou moins).

Nous demandons une indemnité forfaitaire pour tous les auteurs comme l’ont fait nos voisins allemands.

2. Des indemnisations plus proches de la réalité du métier

Nous demandons que les aides de solidarité puissent bénéficier à tous les écrivains et écrivaines de théâtre qui en font la demande (on ne fait jamais cette démarche par plaisir ou pour le superflu) sans aucune exclusion ni condition de N° de SIRET, ni rejet des retraités.

Nous demandons d’assouplir l’éligibilité aux demandes de bourses. Les dispositifs qui viennent en aide aux autrices et aux auteurs ont, plus que jamais, un rôle à jouer.

Nous demandons une compensation de la perte de revenus pour les spectacles dont les dates avaient été déclarées par les compagnies, et qui ont de facto été annulées à partir de mi-mars 2020, et cela indépendamment des revenus de l’auteur en mars-avril 2019.

3. Le respect de la parité

Dans tous les secteurs de la création artistique, les autrices sont moins jouées, moins programmées, moins éditées, moins traduites que leurs homologues masculins. Ce qui était vrai avant le Covid-19, le reste pendant le Covid-19. Nous demandons une stricte parité.

4. L’appui des institutions

Nous demandons que l’État mette en place avec les compagnies d’assurance un fonds d’assurance/annulation destiné aux règlements des cessions programmées sur la saison 19/20.

Nous demandons aux collectivités territoriales qui ont budgétisé des ateliers animés par les auteurs, d’honorer le paiement des interventions prévues jusqu’à fin juin 2020.

Nous demandons une mise à disposition des théâtres par les pouvoirs publics à l’intention des équipes et des auteurs qui en font partie afin de créer, à l’abri provisoire du regard du public, les spectacles de demain.

Nous demandons que chaque lieu dédié aux écritures contemporaines passe des commandes rémunérées à des autrices et des auteurs sur des formes courtes pour un programme trimestriel confié à des compagnies.

Nous demandons aux collectivités territoriales de faciliter la mise à disposition des espaces publics à l’extérieur pour permettre à nos interprètes de représenter nos textes sous les porches des églises, dans la rue, dans les parcs, en prenant soin que le public soit distancié.

Il est temps d’agir.
Nous lançons ce cri d’alarme avec toute la fougue de nos vingt ans d’existence, et avec la force de conviction qui est la nôtre et celle de nos 360 adhérents. Nous appelons également l’ensemble des acteurs du secteur culturel à nous rejoindre.

Il est temps d’agir, d’inventer de nouvelles façons de travailler, car s’il est une profession qui porte en ses gènes la faculté d’adaptabilité, c’est bien celle de l’auteur.

Il est temps d’agir.
Sinon qui racontera le monde d’après ?

Est-ce que vous voulez qu’il y ait des auteurs contemporains ?
Des jeunes, des vieux, des moins jeunes, des moins vieux.
Est-ce que vous pensez que ce qui a déjà été écrit, suffit ?
Est-ce que vous pensez que quelques-uns suffiront à raconter ce que vivent, ce que pourraient rêver tous les autres ?

Il est temps d’agir.

Les Écrivains associés du théâtre

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