Le Grand prix de littérature dramatique sert-il vraiment à quelque chose ?

Le Grand prix de littérature dramatique sert-il vraiment à quelque chose ?
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Ce lundi 9 octobre a lieu la remise des Grands prix de littérature dramatique. Créé en 2005 par le ministère de la culture à l’initiative des Écrivains associés du théâtre, le Grand prix de littérature dramatique est désormais porté par Artcena – structure née de la fusion du Centre national du théâtre (CnT) et de HorsLesMurs (Centre national de ressources des arts de la rue et des arts du cirque). Par sa seule longévité et la création, voici trois ans, d’un prix destiné à la littérature dramatique jeunesse, le Grand prix pourrait attester de sa nécessité…

S’il existe encore, se développe, c’est bien qu’il sert à quelque chose, non ? Néanmoins, à quoi servent ces prix ? Pour le dire autrement, au-delà du bénéfice qu’en retire Artcena, qui à travers ses procédures de sélection et d’accompagnement des pièces primées et des lauréats met en jeu un processus de légitimation de son travail, comment ces récompenses ont-elles, ou pas, aidé les primés ?

Une diffusion renforcée, notamment auprès des scolaires

D’abord, force est de reconnaître la variété des réponses des interrogés (huit sur les seize lauréats). Une diversité de points de vue à l’image de leurs parcours : parmi les primés, les établis (Michel Vinaver, 2015) côtoient les trentenaires peu connus (Alexandra Badea, 2013 ; Clémence Weill, 2014) ; les multi-primés succèdent aux inconnus de ces récompenses ; les également metteurs en scène et/ou comédiens (Pascal Rambert, 2012 ; Gérard Watkins, 2010 ; Mohamed El Khatib, 2016) croisent les auteurs « tout court » (Claudine Galea, 2011 ; Christophe Pellet, 2009). Une diversité qui confirmerait ce qu’avance Clémence Weill, à savoir que « les textes sont pris exactement pour ce qu’ils sont, sur un pied d’égalité, sans tenir compte de la reconnaissance de l’auteur ».

Pourtant, certaines constatations reviennent. Plusieurs reconnaissent – souvent avec prudence – la facilitation de la circulation de l’œuvre, son inscription dans des réseaux. Pour Alexandra Badea, même si « personne ne vient après te dire : « Je vais te passer une commande d’écriture parce que tu as eu le prix », c’est sûr que ça peut aider. Le nom circule, le texte aussi, la presse en parle, ça crée une curiosité ».

Claudine Galea souligne une diffusion facilitée dans les milieux universitaires, théâtraux et à l’international, là où Mohamed El Khatib cite « les établissements scolaires, car les enseignants sont friands des prix qui légitiment leurs choix ». Nathalie Papin (Grand prix de littérature jeunesse, 2016) parle d’un soutien « subtil », d’un « regard un peu plus long et appuyé sur les propositions » : « Les deux compagnies qui mettent en scène deux de mes nouveaux textes semblent être renforcées dans l’idée de monter un texte d’une lauréate (même si les projets étaient en construction avant le prix) ».

Des écritures contemporaines en manque de production

D’ailleurs, contrairement à ce que l’on pourrait supposer, le prix n’a – dans la majorité des cas – pas suscité de nouvelles mises en scène, mais il a permis un meilleur accompagnement de celles déjà prévues. Cette absence de circulation vers le plateau résonne avec le contexte actuel : la mise en production des écritures contemporaines demeure toujours aussi problématique.

Premiers touchés par cette faible présence de liens entre l’écriture et le plateau, certains auteurs se retrouvent, par l’entremise du prix, à le résoudre par eux-mêmes. Ainsi, lauréat en 2015 du Prix de La Belle saison (devenu Grand prix de la littérature jeunesse), Sylvain Levey explique : le prix « m’a fait prendre conscience que j’avais fait une œuvre, chose que je n’avais pas forcément réalisée. Jusqu’alors, je ne faisais pas vraiment attention à tout ça et maintenant je commence à choisir les metteurs en scène avec qui j’ai envie de travailler ».

Un encouragement, une légitimité

Un déclic évoqué par Nathalie Papin : « Quand on est auteur-e indépendant-e (sans compagnie), on a tendance à ne s’appuyer que sur l’édition, on se dispense du reste. On lance une pièce comme on lance une bouteille à la mer […] Avec le prix, je me suis lancée moi-même à la mer, avec le message à la main. Et ça a marché. »

Par sa valeur symbolique, le prix légitime une position, encourage. Ainsi de Claudine Galea : « Je n’écrivais plus pour le théâtre, mes textes étaient rarement montés et de façon extrêmement confidentielle. Le prix a déverrouillé une sorte d’autocensure et, depuis, j’écris à nouveau beaucoup pour la scène. » Plus largement, face à l’isolement et à la précarité caractérisant la position de l’auteur dramatique, un prix devient, pour reprendre les mots de Christophe Pellet, un « encouragement à poursuivre un chemin d’écriture, souvent détourné, encombré, chaotique ».

Caroline CHÂTELET



Finalistes du Grand prix de littérature dramatique :

  • ANA ou la jeune fille intelligente de Catherine Benhamou, Éditions des femmes-Antoinette Fouque
  • Une commune – Retourner l’effondrement tentative 1 de Guillaume Cayet, Éditions Théâtrales
  • L’Odeur des arbres de Koffi Kwahulé, Éditions Théâtrales
  • Vents contraires de Jean-René Lemoine, Les Solitaires Intempestifs
  • Delta Charlie Delta de Michel Simonot, Éditions Espaces 34


Finalistes du Grand prix de littérature dramatique jeunesse :

  • Mon chien-dieu de Douna Loup, Les Solitaires Intempestifs
  • Les Discours de Rosemarie de Dominique Richard, Éditions Théâtrales
  • Poussière(s) de Caroline Stella, Éditions Espaces 34

Les deux lauréats seront annoncés ce soir, lors de la cérémonie au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique en présence des auteurs finalistes et de leurs éditeurs. Les élèves du CNSAD, préparés par Robin Renucci, liront des passages des huit œuvres finalistes.



 

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