Contrefaçon : le papa de Puppy perd son procès

Contrefaçon : le papa de Puppy perd son procès
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La cour d’appel de Paris vient de trancher : Jeff Koons est bel et bien condamné pour contrefaçon, du fait d’avoir repris le visuel d’une publicité pour la marque de vêtements « Naf-Naf ».

L’affaire a connu un certain retentissement : c’est qu’elle concerne le célèbre Jeff Koons, père (maître ?) de Puppy, le chiot géant (douze mètres) et tout en fleurs du Guggenheim de Bilbao. Jeff Koons et sa société ont été condamnés pour contrefaçon par le tribunal judiciaire de Paris, pour avoir repris le visuel d’une publicité créée en 1985 pour la marque de vêtements « Naf-Naf ».

Dans un arrêt du 23 février 2021, la cour d’appel de Paris confirme la condamnation*, indifférente à l’effort du sculpteur de chiots qui tentait de se diversifier dans le goret.

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Tout a commencé avec la présentation par Jeff Koons d’une sculpture intitulée « Fait d’hiver » lors d’une exposition rétrospective de l’œuvre du plasticien américain inaugurée en novembre 2014 au Centre Georges-Pompidou. L’artiste y affirmait que la sculpture avait été créée en 1988. Un directeur artistique, auteur d’un visuel pour une publicité imaginée pour la marque de vêtements « Naf-Naf » en 1985, s’est ému de cette présentation, estimant qu’elle contrefaisait son œuvre. Le visuel dont il est l’auteur, publié en 1985 dans différents magazines de presse féminine, était en effet intitulé « Fait d’hiver ». Il mettait en scène une jeune femme brune aux cheveux courts, allongée dans la neige, un petit cochon penché au-dessus d’elle avec un tonneau de chien Saint-Bernard autour du cou.

L’auteur du visuel, auquel se sont joints le Centre Pompidou et la société éditrice d’un ouvrage qui reproduisait la sculpture de J. Koons, a fait assigner ce dernier pour contrefaçon de son droit patrimonial et moral d’auteur.

Le tribunal judiciaire de Paris a jugé que la contrefaçon était caractérisée et condamné l’artiste et sa société au paiement de dommages et intérêts. Il a ainsi écarté les arguments invoqués en défense par ces derniers qui se prévalaient de l’exception de parodie et de la liberté d’expression artistique.

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J. Koons et sa société ont alors fait appel.

Ils ont, à titre liminaire, réclamé l’application de la loi américaine. Vaine tentative rapidement repoussée par la cour : relevant que c’était en France que les agissements reprochés s’étaient produits et que le dommage invoqué avait été subi, la cour a estimé que le litige était bien soumis à la loi française.

Au fond, la cour, comme le tribunal, retient l’existence d’une contrefaçon et dénie à J. Koons et à sa société le droit de se prévaloir de l’exception de parodie et de la liberté d’expression artistique.

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La cour juge d’abord que la contrefaçon est caractérisée, tant dans la présentation de la sculpture lors de la rétrospective que dans la reproduction de celle-ci dans les ouvrages accompagnant cette rétrospective et sur le site internet de J. Koons.

Pour cela, la cour relève que les éléments originaux de la photographie (même jeune femme avec la même expression et même mèche plaquée sur la joue gauche, allongée dans la neige, les bras levés au niveau de la tête ; cochon portant le tonnelet de Saint-Bernard dans la même position près de la jeune femme) ont été repris dans la sculpture de J. Koons.

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La cour dénie ensuite à l’artiste et à sa société le droit de se prévaloir de l’exception de parodie, prévue au 4° de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle et qui explique que l’auteur dont l’œuvre a été divulguée ne peut interdire « la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre », au motif que les conditions auxquelles est soumise cette exception ne sont pas remplies.

Ces conditions cumulatives, au nombre de trois, ont été définies par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt Deckmyn** :
1/ l’œuvre seconde doit en premier lieu évoquer une œuvre existante ;
2/ elle ne doit pas, en deuxième lieu, risquer d’être confondue avec l’œuvre première ;
3/ elle doit, en troisième et dernier lieu, constituer une manifestation d’humour ou une raillerie.

Il a suffi en l’espèce à la cour de relever que la première de ces conditions n’était pas remplie, la sculpture de J. Koons n’ayant pas évoqué l’œuvre initiale du directeur artistique.

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La cour dénie enfin à l’artiste et à sa société le droit de se prévaloir du principe de liberté d’expression artistique. Ces derniers affirmaient en effet que la sculpture s’inscrivait dans la démarche artistique du plasticien, fondée sur la démocratisation de l’art, qui doit être accessible au plus grand nombre, et la nécessité de délivrer le plaisir esthétique du spectateur de toute culpabilité par rapport à son histoire culturelle.

Cette sculpture, comme d’autres œuvres, visait selon eux à ériger la « banalité » – la sculpture en cause appartenant à une série de J. Koons intitulée Banality – en œuvre d’art. Se prévalant de cette étrange et peu féconde ambition, J. Koons estimait que la transformation du visuel de la publicité Naf-Naf participait pleinement de sa démarche artistique.

La cour a eu beau jeu ici de relever que cette démarche, malgré son pompeux habillage, n’est pas dénuée de caractère commercial et que la photographie contrefaite n’est pas familière du public qui ne pourra donc pas appréhender la création de J. Koons par référence à elle. Il est donc peu probable que le public puisse percevoir, et encore moins goûter, le caractère et l’acte « transformatifs » revendiqués par l’artiste.

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Enfin et surtout, la cour reproche à l’artiste le peu d’égards qu’il a eu pour sa source d’inspiration. Relevant qu’il occupe une place éminente sur le marché de l’art, elle déplore qu’il n’ait pas recherché qui était l’auteur de la photographie dont il entendait s’inspirer, afin d’obtenir son autorisation et d’acquérir, le cas échéant, les droits d’exploitation du visuel.

Frédéric DIEU

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Cour d’appel de Paris, 23 février 2021, n° 034/2021, Jeff Koons et S Jeff Koons LLC c/ F. Davidovici, Centre national d’art et de culture Georges Pompidou et autres.
** CJUE, Grande chambre, 3 septembre 2014, aff. C-201/13, Johan Deckmyn et Vrijheidsfonds VZW contre Helena Vandersteen et autres.

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Crédits : GAIMARD (source : Pixabay)



 

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