“Le Postillon de Lonjumeau” : un opéra-comique sensationnel-conventionnel

“Le Postillon de Lonjumeau” : un opéra-comique sensationnel-conventionnel
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Le chef d’orchestre Sébastien Rouland et le metteur en scène Michel Fau remontent à l’Opéra-Comique de Paris un des incontournables du genre composé par Adolphe Adam : Le Postillon de Lonjumeau. La distribution met en relief le lyrisme et l’esthétisme de l’œuvre au point d’en négliger le propos.

L’Opéra-Comique. Un genre et un lieu qui n’ont pas (encore) élu résidence dans les colonnes critiques de ce journal. Cela méritait bien la critique d’un des tubes de cette constellation lyrique. Le Postillon de Lonjumeau est une de ses cartes d’embarquement maîtresses. Excepté le titre, qui n’a rien à voir avec la bactériologie ou la géographie francilienne, il condense les canons du genre.

Rappelons que l’opéra-comique fait partie des arts lyriques avec la spécificité d’y faire la part belle à des séquences parlées. Le récital n’y a pas l’exclusivité comme à l’opéra. Cela en ferait-il un style “low-cost” de l’opéra ? Vaste sujet. Créé en 1714, l’Opéra-Comique connut son heure de gloire dans la première moitié du XIXe siècle et particulièrement pendant la Monarchie de Juillet. Des noms, aujourd’hui pour la plupart tombé dans les oubliettes, ont fait la grandeur du style : Alexandre Montfort, Ferdinand Hérold, Jacques Offenbach, Eugène Scribe, François-Adrien Boieldieu… Adolphe Adam fait partie de ces monuments.

Divertir avec panache

Le Postillon de Lonjumeau est probablement l’une des œuvres les plus emblématiques du style. Si elle n’avait pas été joué à l’Opéra-Comique depuis 1898, celle-ci, comme son créateur, a eu une aura européenne tout au long du XXe siècle. Wagner lui-même la dirigea. En 2019, le parti prix du chef d’orchestre Sébastien Rouland et du metteur en scène Michel Fau est bien celui de la remise au goût du jour, colorée et joyeuse, mais en restant (trop) fidèle à la tradition.

A l’Opéra-Comique, l’histoire n’est avant tout que prétexte pour des prouesses vocales hors-normes. La distribution est une belle réussite de ce point de vue : le ténor américain Micheal Spyres et la soprano québecoise Florie Valiquette mènent la danse vocale avec brio. Le premier parvient à atteindre le contre-ré dont la hauteur n’est accessible qu’à peu de voix. Le timbre coloré de la seconde et son interprétation tout en charme, peut-être pas assez mûrie mais juste, impressionnent lorsque l’on sait que la chanteuse fait ses premiers pas sur cette scène emblématique.

Ça claque, ça brille, ça éblouit… L’ombre multicolore de Michel Fau plane. Le faste des décors acidulés et la pompe des costumes baroques de Christian Lacroix tombent dans l’excès et fait perdre la poésie, le lyrisme et parfois même la charge humoristique. Divertir avec panache est le credo de cette recréation. C’est déjà pas mal par les temps qui courent. Mais finalement, il y a beaucoup de conventionnel dans cette surcharge fantaisiste. L’interprétation aurait pu dynamiter des thèmes éculés de l’opéra-comique, comme l’arrivisme ou le mariage. La dynamite est un pétard mouillé.

Comédie humaine et Star Ac’

L’action se déroule sous l’Ancien Régime alors que l’opéra a été composé en 1836. Le personnage principal, Chapelou, est un postillon ambitieux – un conducteur de calèche postale – qui quitte son épouse, Madeleine, le jour de leur mariage. La gloire parisienne d’une carrière de chanteur est plus forte que tout. Dix ans plus tard, après une fulgurante ascension artistique et sociale, notre héros retrouve Madeleine méconnaissable, sous les traits d’une riche aristocrate ayant hérité de sa tante. Dupé, Chapelou tombe amoureux de cette femme, laquelle dénonce ce bigame – avec la même épouse (sic) –, se vengeant ainsi de la séparation précoce ! Le remariage et le rétablissement de l’ordre social est au bout du périple.

Ce livret témoigne manifestement d’une certaine nostalgie pour le corporatisme d’avant la Révolution. Aujourd’hui, on dirait pour la société de classe. Alors qu’il aurait pu être un beau prétexte pour mieux dépeindre la différence entre mariage et amour, le Postillon de 2019 emboîte le pas du propos originel. Les Rastignac de l’époque restent des héros. La comédie humaine de l’époque ne fait pas résonner celle d’aujourd’hui alors que le phénomène “Star Ac’” a son lot de Chapelou et de Madeleine. La direction des chanteurs-acteurs ne permet que trop peu de mise en perspective.

On aurait aimé sortir de l’Opéra-Comique avec les mots de Pasolini en tête : « La culture est une résistance à la distraction ». Mais finalement, on se dit plutôt que « la distraction est une morne invitation à reproduire les mêmes schémas ». Ou peut-être est-ce la beauté des voix et de la musique qui nous a fait perdre le sens en cours de route ?

Emmanuel GAGNEROT

 



SPECTACLE : Le Postillon de Lonjumeau

Création : Opéra Comique, 2019

Durée : 2h30 entracte compris

Public : tout public

Livret : Adolphe Adam (1836)

Direction musicale : Sébastien Rouland

Orchestre : Opéra de Rouen Normandie

Mise en scène : Michel Fau

Avec : Michael Spyres, Florie Valiquette, Franck Leguérinel, Laurent Kubla, Michel Fau, Yannis Ezziadi, Julien Clément

Chœur : accentus / Opéra de Rouen Normandie, Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie

Décors : Emmanuel Charles

Costumes : Christian Lacroix

Lumières : Joël Fabing

Maquillage : Pascale Fau

Assistante musicale : Stéphanie-Marie Degand

Cheffe de chant : Cécile Restier

Crédits photographiques : Stefan Brion



OÙ VOIR LE SPECTACLE ?

Spectacle vu le 30 mars à l’Opéra-Comique (Paris)

– Jusqu’au 9 avril : Opéra-Comique (Paris)

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Le Postillon de Lonjumeau DR Stefan Brion



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