Le “retour” de Matthias Langhoff : “Réactivation” d’un spectacle qui a compté (2/2)

Le “retour” de Matthias Langhoff : “Réactivation” d’un spectacle qui a compté (2/2)
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La reprise du Richard III, d’après la mise en scène originelle de Matthias Langhoff, n’est pas une reconstitution plus ou moins nostalgique. Elle est bien mieux : la restauration d’un fil historique nécessaire, capital.

L’idée de revenir à ce Richard III était dans l’air depuis 2015. La pandémie a donné l’occasion de la réaliser. Ce Gloucester time. Matériau Shakespeare. Richard III-2022 est désigné comme la « réactivation » d’un spectacle qui a fait date. Sollicité, M. Langhoff n’a pas voulu diriger, mais il est resté proche de l’équipe, venant régulièrement, chaque semaine, s’entretenir avec elle. Il a « laissé faire », donnant des retours sur la résonance actuelle des changements.



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Le processus de réactivation

Une traduction étant à refaire tous les dix ans, comme disait Antoine Vitez, car la langue et l’écoute évoluent, une nouvelle traduction a été commandée à Olivier Cadiot, à la place de celle de Jean-Michel Desprats, en vers libres, qu’avait choisie alors M. Langhoff. En prose, ce texte donne un autre rythme, un autre souffle dont les deux metteurs en scène, Marcial Di Fonzo Bo et Frédérique Loliée, vont devoir tenir compte.

Les questions sont multiples : sur quoi s’appuyer pour cette « réactivation » ? Sur la captation-vidéo du Laboratoire LARAS du CNRS (Jacquie Bablet), vidéo de travail, VHS non numérisée, qui, comme toute captation ancienne, oblitère des éléments, zappe des sons ; sur les photos, dont celles de J. Bablet, sans aucun doute ; mais surtout, comme disent M. Di Fonzo Bo et F. Loliée, sur leurs propres souvenirs d’acteurs qui ne sont ni ceux d’un metteur en scène ni ceux d’un spectateur.

En outre, l’interprète de Richard III n’est plus la même personne : « C’est comme si maintenant je savais dès le début du spectacle comment il finissait », avoue M. Di Fonzo Bo – ce qui n’était pas le cas il y a vingt-cinq ans. F. Loliée garde le rôle de la reine Margaret dont elle a retrouvé la robe d’origine, mais elle transmet ses autres rôles à de jeunes actrices.

Une tradition de théâtre total et engagé

Car, au centre du projet, il y a tout le reste de la distribution. Les deux comédiens-metteurs en scène ont fait quelque six cents auditions de jeunes acteurs sortis d’écoles locales ou nationales, réitérant le geste de M. Langhoff qui, pour monter son Richard, avait puisé dans la première promotion sortie de l’École du théâtre national de Bretagne. Certains comédiens sont d’origine italienne, colombienne, suisse, et leurs accents se croisent à l’image du monde global qui est celui de cette nouvelle génération, alors qu’en 1995, M. Di Fonzo Bo était le seul à faire entendre le français autrement, empreint de son timbre argentin.

C’est donc une génération responsable qui, en transmettant à la suivante, toute jeune, un spectacle qui a été pour elle essentiel, l’introduit au monde et aux méthodes de son maître M. Langhoff, héritier critique de Brecht, de Meyerhold, porteur d’une tradition de théâtre total, bricolé et engagé. Et tous vont mettre la main à la pâte pour pétrir le « matériau Shakespeare ».

La scénographie oblige à être constamment dans le risque, le présent dangereux, et interdit tout jeu psychologique. L’équipe est face à un texte scénique dans lequel le sens surgit du chaos, du télescopage des temporalités, des anachronismes. Les jeunes comédiens interprètent plusieurs rôles et apprennent, tout en les jouant, la fabrication du théâtre dans tous ses aspects. Certaines scènes paraissent simplifiées, l’éclairage est moins sophistiqué à travers les claustra à claire-voie mobiles. Des passages ont été coupés pour entrer dans le timing de deux heures quarante-cinq du CDN. Les costumes ne sont pas les mêmes, puisés dans les réserves de la Comédie de Caen ou du TNB. Mais qu’importe !

L’essentiel est là, accompagné par les musiques choisies en 1995. Pour ceux qui ont vu le spectacle de M. Langhoff, la réception est dotée d’une épaisseur comme doublée. Ceux qui ne l’ont pas vu découvrent la force de cette école du concret, de la distance-décalage, du risque pris, des imaginaires improbables, mais percutants.

Parcours en actes

M. Di Fonzo Bo constate qu’ainsi remis en route, comme y incite la pratique de M. Langhoff, le spectacle continue de parler aux jeunes gens d’aujourd’hui. Et en tant que directeur du CDN de Caen, il a inscrit cette action, rare dans le paysage théâtral français, dans un projet de formation qu’il a proposé à ses tutelles pour la dernière année de son mandat. Il l’a intitulé « Parcours en actes ». Ce Richard III en constitue la première étape, car on n’apprend jamais si bien qu’en participant en groupe à la fabrique du spectacle.

Le travail sur le matériau s’approfondit à travers le travail de mémoire, le projet de revisiter le spectacle, de lui donner un second élan, une seconde vie. Il ne s’agit pas d’une reconstitution plus ou moins nostalgique, mais bien mieux, de la restauration d’un fil historique nécessaire, capital, dont un film en cours de montage documentera le processus. Il s’agit aussi d’un spectacle d’une intense actualité.

Béatrice PICON-VALLIN

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Crédits photographiques : Christophe Raynaud de Lage



 

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