Les bons mots du Doc Kasimir Bisou – 4) De la « création » à la « liberté d’expression artistique »

Les bons mots du Doc Kasimir Bisou – 4) De la « création » à la « liberté d’expression artistique »
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Toutes les semaines, cette chronique proposera un instantané recto-verso d’un « bon mot » de la politique culturelle. Le recto donnera le sens du mot aujourd’hui, dans la routine des discours des acteurs du champ culturel. Le verso mettra en lumière ce qui fait sens pour une politique culturelle soucieuse de respecter les droits culturels des personnes.

Les bon mots du Doc Kasimir Bisou

Lire l’intégralité de l’introduction aux bons mots.


Quatrième mot des évidences : « CRÉATION ».

Sans création artistique, pas de politique culturelle. Le consensus est général et acquis dans toutes les sphères de la politique culturelle.

Avec les volontaires de la réflexion sur les droits culturels en Nouvelle-Aquitaine, nous avons beaucoup discuté de cette exigence partagée, pour finalement dissoudre l’évidence dans le bain de la critique.

D’abord, chacun sait que le soutien public à la dite « création artistique » ne concerne qu’une petite partie des artistes : ceux qui sont sélectionnés par les « experts » de la politique culturelle. Seules les « œuvres » de ces artistes sont jugées « de qualité » et méritent le nom de « création artistique » au sein de la politique culturelle habituelle. Pour cette dernière, les autres artistes ne sont pas des « créateurs » et se voient minorés ou ignorés. Cet impératif de sélection pour déterminer la qualité des œuvres d’art a été observé par chacun des participants dans toutes les disciplines artistiques traditionnelles.

On a aussi rappelé que les nouvelles disciplines d’expressions artistiques ont mis un temps considérable à être identifiées par la politique culturelle, faute d’être reconnues comme des « créations artistiques » par les « experts ». On l’a assez vu pour les musiques amplifiées, la culture hip-hop ou les arts de la rue. Désolant, ce temps perdu avant de soutenir, même faiblement,  les libertés d’artistes.

De plus, la discussion a permis de rappeler l’évidence que la sélection des « œuvres » artistiques par la politique culturelle habituelle dépend de la subjectivité des « experts », dont le jugement est protégé « par le secret de leurs délibérations »… Si bien que la valeur publique des « créations » est très relative, pour ne pas dire arbitraire.

Tout cela interroge la pertinence d’une politique culturelle centrée sur la « création ». Il devient légitime de se demander ce que deviendrait ladite « création » avec les droits culturels.

En discutant sincèrement, on constate qu’une politique des droits culturels serait plus exigeante et plus féconde. En effet, le responsable public ne peut se contenter de « respecter, protéger et soutenir » la création artistique limitée à dire d’experts. Il doit faire plus ! Il est soumis à l’exigence universelle imposée par les droits humains fondamentaux de « respecter, protéger et mettre en œuvre » la liberté d’expression sous une forme artistique. La responsabilité publique porte sur la liberté artistique effective de toute personne. Chacun est alors en mesure de revendiquer légitimement son droit à la liberté d’expression artistique, comme composante de son droit fondamental au développement de sa liberté, de sa dignité, de ses capacités.

Avec l’article 103 de la loi NOTRe, le responsable public doit pouvoir justifier qu’il a fait le maximum pour aller dans ce sens. Il ne pourra pas s’autoriser à restreindre cette liberté sauf s’il dispose de raisons ayant elles-mêmes une valeur universelle au regard des droits humains fondamentaux !

Il faut également rappeler qu’au titre du « droit de chacun de prendre part à la vie culturelle », les personnes dont la liberté d’expression artistique est mise à mal par une autorité publique doit pouvoir bénéficier d’un droit de recours. L’Observation générale 21 indique même que les personnes peuvent aller jusqu’à « porter plainte et être indemnisées en cas de violation de leurs droits ». 

Sans doute que cette obligation de défendre la liberté d’expression artistique, dans toute la diversité des univers sensibles des personnes, seules ou en commun, professionnelles ou non, sera source d’intenses discussions publiques sur le sens et la valeur des « œuvres » réalisées ! On connaît les diatribes perpétuelles sur la médiocrité des goûts des… autres. Mais, au moins, les discussions auront lieu dans la sphère publique alors que, dans la politique culturelle habituelle, les débats sont réservés aux conclaves secrets des « experts ».

La perspective de promouvoir la liberté au titre des droits culturels n’est pas si éloignée de la réalité du terrain puisque nombreux sont les porteurs de projets qui estiment que leur responsabilité est d’abord de promouvoir la liberté d’expression des artistes qu’ils ont choisis, sans se sentir obligés de faire « goûter » le travail de l’artiste par tous ceux qui voient ses œuvres.

Nous l’avons bien vu dans nos discussions en Nouvelle-Aquitaine, ces acteurs pensent leur mission de promotion de l’art à travers l’organisation de « dialogues critiques » avec les personnes du territoire. Dans ce cadre, chaque personne a la liberté de ne pas apprécier l’œuvre présentée, sans risquer le jugement d’indignité, mais elle ne saurait pour autant rejeter le droit universel de l’artiste d’exprimer sa propre liberté sous les formes artistiques qui lui siéent.

Ce « dialogue critique » entre les libertés est souvent difficile tant les désaccords sont sensibles. Mais organiser la « confrontation » est un impératif pour la politique des droits culturels toujours soucieuse de nourrir l’humanité de l’inépuisable diversité des libertés des personnes, en dignité.

Enjeu d’humanité qui fait écho au André Malraux du Musée Imaginaire : « Et, comme la vie du génie, celle de l’humanité suscite entre les artistes à naître et les hautes épaves qu’elle laisse, le désaccord dont renaît inépuisablement la rivalité de la terre et des œuvres humaines ». 

Ainsi, quand la politique traditionnelle affiche « création », les droits culturels appellent la « liberté d’expression artistique » et  la « discussion sur les valeurs publiques des expressions artistiques ».

Doc Kasimir BISOU

Retrouvez les volets de la série :

Les bons mots des droits culturels – Introduction

1) Des « publics » à « la personne »

2) D’une « offre culturelle » aux « ressources » pour faire relation

3) Des « besoins culturels » au développement des « libertés » et « capacités »

– 4) De la « création » à la « liberté d’expression artistique » et la « discussion sur les valeurs publiques »

À paraître

– 5) De la « démocratisation de LA culture » au « débat entre cultures »

– 6) De la « culture » à l’art de « faire humanité ensemble »

– 7) De la « médiation culturelle » au « service de la relation »

– 8) De la « transversalité » à la « globalité »

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