LES JOURS D’APRÈS (mouvement 4)

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Chronique des confins (38)

David Léon

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Un jour, une écriture – Le confinement porte en lui-même une intimité, une profondeur dont peuvent se saisir les écrivains et les écrivaines, notamment de théâtre et de poésie. Nous les avons sollicités, afin qu’ils offrent généreusement leurs mots, leur écriture des confins… Derrière l’humour qui inonde les réseaux sociaux, il y aura toujours besoin d’une parole qui porte un désir, une attente, un espoir, du sens.

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― « Les fenêtres sont toujours scellées – vase clos, nuage viral –, les chambres, sont toujours confinées. Un caillou dans la rivière que vous jetez, une première nuit nue. Moi aussi torse nu, face au soleil, j’ai terminé le livre hier, “les vagues se brisaient sur le rivage”, ses dernières phrases, et c’est la fin du livre, mais tout est si vivant.
Dedans, ce livre, dehors les heures, les arbres tout autour, la solitude, l’étreinte des jours, des fougères, des cailloux, des montagnes à venir. Comment peut-on détruire le monde, dites-moi, par notre unique présence ? Mais elle clignote encore, scintille et danse, le ciel intact et sans entailles, et chaud oui, si chaud. Aujourd’hui, vous aurez certainement suivi le chemin des pierres, celles qui sont nues et qui ne perpétuent aucune mémoire. (Des pierres qui donnent naissance, d’autres qui reflètent les ombres.) Vous aurez suivi cette rivière qui s’allonge dans ces nuits, une marche nue dans la futaie, pas après l’autre, et à côté des trembles, des ormes, des alisiers.

Et je me ferai beau pour vous, je m’habillerai de ciel et d’eau, de bleu et d’or, nu dans la nuit, ami.

Mais de quelle nuit se réveille-t-on les jours d’avant, après ces jours ? Maintenant hors de nous, l’eau et le ciel, du bleu encore, ce noir de l’encre, et la silhouette des arbres, là-haut des buses, nos ombres nouvelles, un nouveau soir. “Chaque bouche posée sur la terre reposerait sur la voix universelle d’une autre bouche”, la vôtre, immobile dans ce jour aux nuages bleus et gris. Vous marchez, vous transformez la durée, du poids des pieds, de l’équilibre de vos pas, suivant les pentes, la route de la rivière, de la rosée, du ciel. Mais de combien de mots sommes-nous donc faits dites-moi, peuplés ? Le savez-vous ? J’épuise l’attente du jour, silhouette qui marche, j’arrive vers vous.
Rien ni personne ne touche mon corps mon ventre ma peau, sauf vous. Vous me rendez la vie, un fleuve de joie. And i miss you and i miss you, like the desert miss the rain. »

― « Et j’ai marché si loin pour vous, oui, et le plus loin possible. J’ai marché sous l’orage ce jour, et je pensais à vous, roulements des pierres dans les montagnes, par-delà les nuages – s’y perdre –, peut-on parler de tremblement du ciel dites-moi ? Puis l’orage est passé, a disparu, maintenant lointain, s’est effacé, et à présent je vous écris, je pense à vous, à votre corps, d’été. Là-bas les grognements des chiens, ces aboiements plus loin, de l’autre côté des flancs, vallées, mais qui peut dire à quelle distance ? À vol d’oiseau ? Aigle impérial cisaille le vent. Je pense à vous je marche, j’entre à présent dans cette forêt de pins, primaire, nouvelle. Elle rejoint une falaise. Je ne sais quoi dire de ce que seront nos jours d’après. Qui peut le dire ? Cela en vaut-il seulement la peine ? Je vis au jour le jour, de matins en matins, de nuits en nuits, comme vous, j’oublie, la société marchande, l’obscénité, la logique folle économique, logique marchande oui, absolument obscène, c’est tout ce qu’il y a à dire. Et puis l’oubli, c’est tout. Rêve et oubli, c’est tout, sauf votre corps, d’été. À mon retour l’orage revient, son grondement furieux – un cri ? – de loin en loin, se mêle, aux roucoulements des tourterelles, ce chant de la forêt, le jour se couche, la nuit revient.

De quoi devons-nous donc nous dépouiller, qu’avons-nous d’autre à perdre dites-moi ? »

― « Vous dites faire de la place en soi se taire et se déprendre se dévêtir vous dites pour oublier ce qui en soi s’est égaré éteindre toute la lumière avancer vers le noir la nuit se coucher s’effondrer face contre terre nos yeux fermés ouvertes nos bouches baver cracher et suffoquer pleurer ; ce que l’on cherche serait-ce toujours pour le détruire dites-moi ? Je veux sentir vous dites ce qu’il y a sous la terre sous mon visage éteint et des cailloux encore morceaux de bois et de fines rigoles d’eau et des poussières de morts et tout autour le vent aurait tout asséché d’où vient le vent dites-moi ? Où c’est chez nous ? Où est le monde ? Vous dites c’est beau comme ça ainsi c’est beau qu’il faut rester soi-même pieds nus contre la terre mouillée traverser les orages vous dites c’est beau ainsi comme ça de vous regarder vivre de loin en loin. »

― « Je ne sais plus ce qui s’écrit pour vous j’ai effacé des phrases les vôtres (mais me pardonnerez-vous ? Je me sens épuisé) quand vous disiez vouloir quitter la foule les villes et la communauté rejoindre la mer et ses marées ou rejoindre la rivière la mienne vous me disiez traversée dans la pluie l’orage éclairs et tonnerre dans les ciels, perdus. »

― « Vous vous êtes endormi. Je fais comme vous, vous dites, je fais ainsi. »

― « J’ai bravé l’interdit, marché dans les ondées, je suis devenu ambre, rosée de pluie gouttelettes, je suis devenu lichen, rocher, vol de canards au ras des eaux, et tous ces signes sur votre corps aborigène sur votre peau amazonienne, j’ai écrit dans vos mains, j’ai écrit dans ma tête, j’ai écrit à voix haute, je suis devenu chemin, et brumes sur les confins, sur les confins.
Je suis devenu taupe, et puis du temps présent, j’ai creusé les galeries, je peux vous dire maintenant, le territoire des écureuils, et le repaire des aigles, des loups l’asile, pour vous ami, et j’ai marché dans le désert, et mangé le silence, l’inquiétude du silence, et la violence que vivent les autres, je n’ose l’imaginer, société post trauma, le défi du réel, qui ne jouit que de sa mort ; et alors JOIE JOIE JOIE, démultipliée, alors DÉSIR DÉSIR DÉSIR / RÉVOLTE ET JOIE, démultipliée. Je suis pour vous ami, devenu champ d’orchidée. »

― « Et vous avez foulé la terre mouillée, sous tout ce ciel qui pleut, qui pleure, qui tonne, qui gronde, vous êtes devenu boue, argile, et tourbe. Vous êtes tombé, et vous avez glissé, à vous confondre avec le paysage, chemin rivière, vers toutes les rives, toutes ces galeries que vous nommez confins, confins et temps présent, territoires et contrées, confins confins confins ; et vous avez rampé, nagé la bouche ouverte de la colère, et du silence, et de la joie, d’une telle joie nue.

Je vous ai vu, rouler dans les brindilles des saules, des acacias, des noisetiers, et vous avez écrit la vase des mots de loup, de roc et de héron, ce mot d’enfant.

Le soleil a séché, vos bras vos pieds et votre nuque, et puis soudain vous vous êtes redressé, vous êtes levé.

Je vous ai vu courir ces champs de fleurs, de feuilles, vous dites des orchidées.

Le soir est arrivé maintenant la nuit. Je vous ai attendu.

Et je voulais vous dire ce soir, alors qu’il pleut, qu’il pleut, qu’il pleure,

que ces demains,

ces jours d’après – qui arrivent devant nous –,

c’est avec vous que je les trouve.

C’est avec vous, que je me sens debout. »

David LÉON

Écrivain dramatique

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Crédits photographiques : David Léon

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