Limitation du bénévolat : Le gouvernement renonce

Limitation du bénévolat : Le gouvernement renonce
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Par un courrier en date du 14 février 2014, le secrétariat général de la Présidence de la République a fait savoir à Nicolas de Villiers, président du Puy du Fou, que le gouvernement renonçait finalement à inclure dans la « loi création » l’encadrement et la limitation du bénévolat dans le spectacle vivant. Si l’affaire ne semble pas tout à fait close, ce courrier représente une sérieuse détente dans le conflit qui oppose le gouvernement aux artistes bénévoles depuis plusieurs mois. 

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Bob Haslé, fugure des Bagadous, a lancé l’alerte contre le projet de limitation du bénévolat.

Le projet gouvernemental a suscité de vives inquiétudes à travers toute la France, mais c’est de l’Ouest qu’est venue la fronde. Figure bien connue des Bagadous bretons – ces sonneurs de biniou qui sillonnent les festivals – Bob Haslé a joué le rôle de lanceur d’alerte : « L’été dernier, J’ai appris un peu par hasard que le gouvernement préparait un texte sur le bénévolat depuis plusieurs mois, en concertation avec les syndicats d’artistes professionnels. J’ai été surpris que les premiers concernés ne soient pas consultés. » Bob Haslé et ses camarades réclament alors la voix au chapitre auprès de la DRAC de Bretagne. « Nous avons été reçus par son directeur François Erlenbach, qui nous a écoutés avec attention et s’est engagé à relayer nos inquiétudes auprès du ministère. » Dans le même temps, le Bagadou au caractère trempé prévient Nicolas de Villiers, président du Puy du Fou. Dans la foulée, Philippe de Villiers alerte les médias pour dénoncer le péril qui pèse sur le bénévolat. Aurélie Filippetti est interpellée à l’Assemblée nationale le 11 février 2014 par Yannick Favennec : « Votre projet de loi inquiète le monde bénévole et associatif parce qu’il s’appuie sur l’idée que les scènes françaises ne devraient être réservées qu’aux seuls professionnels », avertit le député de la Mayenne. Pour toute réponse, la ministre dénonce des « élucubrations » et assure au contraire vouloir « valoriser et faire reconnaître les pratiques artistiques amateurs », sans toutefois prendre la peine de préciser ce que l’avant-projet de loi contient réellement.

Un gouvernement nerveux et flou

Le gouvernement semble en effet très nerveux sur ce sujet et entretient le flou artistique dans les grandes largeurs. Par communiqué de presse, Aurélie Filippetti crie à la « manipulation politicienne » et jure ses grands dieux ne pas en vouloir aux artistes bénévoles « Ces pratiques ne seront en aucune façon mises en danger mais au contraire elles seront sécurisées par la future loi création qui est en cours de concertation. » Et le ministère d’assurer chercher simplement à « développer la pratique amateur bénévole (…) sans risquer de se voir qualifier de travailleur clandestin ». De leur côté, certains syndicats hurlent à la concurrence déloyale et au travail clandestin : « Le gouvernement entend légaliser le recours à des artistes amateurs bénévoles dans des spectacles professionnels », affirme la SFA-CGT dans le numéro de février 2014 de son magazine Sfa Act. Et le syndicat de condamner à son tour le projet gouvernemental :
« Unanimement, les syndicats de salariés considèrent qu’il y a là une attaque en règle contre la présomption de salariat. »

lettreQui croire ? D’un côté, les artistes amateurs dénoncent un projet qui vise à encadrer et limiter leur pratique bénévole ; de l’autre les syndicats assurent au contraire que le gouvernement entend la favoriser. Prise entre le marteau et l’enclume, Aurélie Filippetti louvoie dans sa communication pour rassurer les uns et les autres, semble-t-il sans vraiment convaincre personne. Comment y voir clair ? Pour Nicolas de Villiers, la volonté du gouvernement de limiter le bénévolat n’était pas une simple rumeur, encore moins une manipulation quelconque : « C’était écrit noir sur blanc dans l’avant-projet de loi », précise-t-il (voir interview). De fait, l’avant-projet de « loi création » prévoyait de soumettre le bénévolat à une autorisation préalable des DRAC, de limiter le nombre de représentations et de contraindre les associations qui font des excédents à salarier leurs bénévoles (voir Pour en savoir plus, ci-dessous). A l’Assemblée nationale, Aurélie Filippetti a pourtant nié que des autorisations préalables fussent envisagées…

Une synergie entre deux mondes complémentaires

Pour Bob Haslé, il est clair que le gouvernement entendait donner droit à une ancienne revendication syndicale : « Pour certaines centrales parisiennes, le bénévolat n’a pas droit de cité dans des spectacles professionnels. Elles craignent une concurrence déloyale, mais cela n’a rien à voir avec la réalité du terrain. Chacun sait que pour des événements comme le Festival inter-celtique de Lorient ou encore la Nuit de la Bretagne, les artistes professionnels et bénévoles cohabitent très bien. Nous ne prenons le travail de personne ! » Le Bagadou souligne au contraire la convergence et la synergie entre deux mondes complémentaires sans lesquels certains événements artistiques majeurs ne pourraient se tenir : « La collaboration entre artistes amateurs et professionnels est habituelle et consensuelle. Dans nos spectacles, nous faisons appel régulièrement à des intermittents. Je peux vous assurer que les intermittents qui travaillent avec nous ne comprennent pas cette hostilité au bénévolat. Ils savent très bien que si l’on remet en cause cette pratique, le préjudice serait grand pour eux, car le modèle économique de nombreux spectacles qui les emploient serait introuvable. »

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La Cinescénie au Puy du Fou : 3400 bénévoles participent à ce spectacle chaque année.

Bob Hasté a l’impression de revivre le bras de fer mené en 2008 avec Christine Albanel, alors ministre de la Culture : « Le gouvernement de François Fillon avait envisagé un projet similaire, rappelle-t-il. Nous l’avions fait reculer après une grosse manifestation à Nantes, avec le soutien des élus bretons, de droite et de gauche. A l’époque déjà, la ministre avait parlé de rumeur avant d’enterrer son projet ». Aurélie Filippetti se verra-t-elle contrainte à son tour de jouer le fossoyeur de son propre projet ? La lettre reçue de l’Elysée le 14 février par le Puy-du-Fou semble l’indiquer, même si elle est formulée au conditionnel : « L’article relatif aux conditions d’exercice des artistes bénévoles n’étant pas encore finalisé, il ne devrait pas faire partie du texte qui sera prochainement présenté en Conseil des ministres ». Une manière de concéder que l’article qui était supposé ne pas exister, voire constituer une simple « élucubration » sur fond de « manipulations politiciennes », existait bel et bien… Et l’Elysée d’assurer à son tour que, concernant la pratique amateur, « la future loi (…) n’aura pour seul objet que d’en permettre le développement, notamment en levant tout risque juridique d’assimilation du bénévolat à du travail dissimulé ».

En attendant le texte définitif, des discussions semblent toujours se poursuivre et le Conseil d’Etat pourrait être saisi pour avis. Une évolution qui sera suivie de près dans le bocage vendéen et dans cette Bretagne frondeuse qui n’entend pas que Paris impose sa loi.

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