Métie Navajo : “Je recherche l’étrangeté de la langue”

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Passionnée par le Mexique et la culture maya, Métie Navajo a récemment publié La terre entre les mondes : un texte fidèle à sa vision comme quoi « on ne peut pas rester éternellement témoin ». Le texte, sélectionné par FLIRT, festival consacré aux écritures contemporaines, sera présenté à Paris en janvier prochain.

La deuxième édition du Festival des lectures itinérantes et rencontres théâtrales (FLIRT), dont Profession Spectacle est partenaire, aura lieu à Paris du 10 au 15 janvier 2022. L’événement met à l’honneur six pièces récentes à travers des mises en lectures, des rencontres thématiques avec les auteurs et les autrices, des ateliers d’écriture, ainsi qu’une édition numérique accessible en ligne pendant le festival.

C’est dans ce cadre que la pièce La terre entre les mondes (éditions Espaces 34, 2021) sera présentée à Paris, le vendredi 14 janvier au Monfort. Son autrice, Métie Navajo, a tout d’abord enseigné en banlieue parisienne avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Elle travaille depuis 2010 avec plusieurs compagnies, dont Irrégulière qu’elle crée avec des personnes sans papiers. Autrice associée au théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine depuis 2018, elle a publié différents textes, dont Eldorado Dancing (Espaces 34, 2019), pièce remarquée par plusieurs comités de lecture et créée par Oblique compagnie.

Rencontre.

Quelle est l’histoire de La terre entre les mondes ?

La pièce se passe dans une région reculée du Mexique, dans un espace-temps qui n’est pas identifié. Une adolescente d’une communauté maya, qui cherche du travail auprès des familles qui cultivent intensivement le soja et déboisent la région, y fait la rencontre d’une jeune fille. À travers les univers de ces deux jeunes femmes se dessinent la structure coloniale qui perdure et la disparition d’une culture, d’une langue, des animaux, de la forêt… La culture maya fait face à un autre monde à la marge, celui de ces familles chrétiennes, inspirées des communautés mennonites, qui vivent repliées sur elles-mêmes, avec une langue préservée depuis leur arrivée sur le continent américain, et qui, tout en ayant un rapport au monde fondé sur la non-violence, détruisent ce qu’il y a autour d’eux.

Comment as-tu commencé à l’écrire ?

Il y a une genèse longue et une autre courte… J’ai un lien très fort avec le Mexique : j’y ai effectué plusieurs séjours qui ont profondément changé mon rapport au monde. Lorsque j’ai entamé une collaboration avec le théâtre Jean-Vilar de Vitry-Sur-Seine, la directrice Nathalie Huerta et moi avons décidé de mettre en œuvre un projet d’écriture au Mexique, en allant aussi à la rencontre de la scène théâtrale mexicaine actuelle. J’ai ainsi fait connaissance avec Héctor Flores Komatsu, jeune metteur en scène qui travaille avec des acteurs et actrices indigènes, et avec Josué Maychi, acteur et auteur maya. Nous avons décidé de faire un temps de résidence d’écriture ensemble. J’étais intéressée par le développement de la culture intensive et la déforestation dans sa région, pensant travailler autour du méga projet de « train maya ». J’ai demandé à Josué de m’emmener dans le village de ses parents pour approfondir ma recherche et, en explorant les alentours, je suis tombée sur une communauté mennonite. Sur le pas de la porte d’une maison, au milieu de vastes champs de sorgho, une apparition : trois femmes blondes aux yeux bleus, la mère et ses deux filles, comme une image d’un autre temps. Je ne comprenais absolument pas ce que je voyais, ne connaissant pas l’existence de ces communautés, et j’ai senti un choc que je ne savais pas nommer. En retournant à mes écrits, j’étais hantée par l’image de cette famille, si bien que j’ai dû abandonner tout ce que j’avais déjà en chantier pour écrire à partir de cette image.

Une citation ouvre ta pièce, issue d’un conte maya rapporté par le sous-commandant Marcos. Quelles influences les cultures maya et zapatistes ont-elles sur ton travail ?

Je ne pense pas qu’on puisse parler de « culture » zapatiste, ou alors au sens politique… Elle n’est, quoi qu’il en soit, pas à entendre de la même manière que la culture maya. Mon voyage au Mexique était au départ inspiré par l’envie de découvrir la construction politique et l’effort d’autonomie des communautés zapatistes, c’est-à-dire de partir à la rencontre d’une expérience politique unique au monde. Le temps que j’ai passé dans les communautés indigènes du Mexique m’a profondément affecté, transformé, c’est difficile de rendre compte de ça… Ce que je peux dire, c’est que je me suis imprégnée de mythologies et de textes qui ont la grande intelligence d’être profondément politiques et poétiques à la fois, et cette découverte m’a procuré une grande joie !

Située entre deux espaces, ta pièce se déroule aussi entre deux temporalités...

Dans La terre entre les mondes, je n’ai pas voulu un ancrage identifiable au monde d’aujourd’hui, bien que les références soient extrêmement présentes. Je voulais construire une fiction et j’ai trouvé cet espace-temps de l’ordre du conte, qui reste pourtant explicitement relié à la société contemporaine. Par exemple, la question du « train jaguar » abordée dans la pièce est une référence claire au projet actuel de « train maya ». L’angle dans la pièce n’est pas militant en soi, même s’il pourrait l’être ; ce qui m’intéresse ici, c’est la dimension de cette confrontation qui existe et concerne le monde entier : des peuples se retrouvent à défendre des terres sans avoir revendiqué cette mission, pour leur propre survie et celle de leur environnement, face à des projets qui ont des conséquences évidentes non seulement pour eux mais pour l’ensemble de la planète. On sent cette tension à travers les différentes générations de personnages.

Le combat des communautés indigènes n’est en effet pas récent…

C’est un point de tension extrême qui concerne cette petite région du Mexique, mais aussi tout le monde, à travers les immenses incendies de forêts et les profonds impacts que nous connaissons sur toute la planète. Qui sont ces peuples qui ont résisté depuis plus de cinq cents ans et se retrouvent maintenant les derniers défenseurs du vivant ? Lorsque les communautés indigènes ont pris en charge la défense de leurs droits, leur santé allait nécessairement avec celle de leur environnement. Je pense au très beau texte d’Ailton Krenak nommé Idées pour retarder la fin du monde (Dehors éditions, 2020). Nous sommes en train de nous détruire nous-mêmes en détruisant les plus vieux modes de vie du monde ; on ne peut pas rester éternellement témoin. Ce récit se passe au Mexique, mais il nous concerne tous.

Français, espagnol, maya… Quelle importance ont les différentes langues que tu manies dans ton processus d’écriture ?

Je suis de langue maternelle anglaise. J’écris en Français. L’espagnol m’est familier, c’est une langue dans laquelle je me sens bien mais pas suffisamment pour écrire. Le maya est la langue étrangère, au sens beau du terme : être dans une région du Mexique où les gens le parlent est une expérience très forte, qui oblige à une réflexion sur la langue. Elle comporte des sonorités qu’on n’a pas en français ni dans d’autres langues à ma connaissance, des sons qui semblent directement liés à l’environnement, à la présence des animaux et des minéraux ; elle englobe très fortement tout le vivant, du moins c’est ce qu’une oreille étrangère comme la mienne peut entendre ou imaginer : qu’une langue est profondément faite de tout ce qui l’entoure. Une partie de ce qu’elle raconte est impossible à dire autrement que dans cette langue. L’étrangeté de la langue est très importante pour moi : je la recherche et j’en ai besoin pour questionner le rapport à ma propre langue d’écriture.

Quelle est la vie de la pièce actuellement ?

Elle sera présentée le vendredi 14 janvier à Paris pendant le FLIRT. La terre entre les mondes est éditée depuis avril 2021 chez Espaces 34 ; elle est lauréate ARTCENA et a été sélectionnée par plusieurs comités de lectures. Je suis très heureuse car, même si je ne suis pas lauréate, elle sera lue par des étudiants, des jeunes gens, un peu partout en France. Une première mise en voix avec le metteur en scène Jean Boillot a eu lieu en mai dernier, et la création devrait avoir lieu en 2023. Une traduction en espagnol a par ailleurs été réalisée par Manuel Ulloa Colonia ; nous aimerions en faire une lecture au Mexique.

Sur quoi travailles-tu en ce moment ?

Notre pièce La diversité est-elle une variable d’ajustement pour un nouveau langage théâtral non genré, multiple et unitaire ?, écrite et jouée par Gustave Akakpo et Amine Adjina, sera en tournée à partir de février. Je suis toujours associée au théâtre Jean-Vilar de Vitry où j’ai pas mal d’ateliers, ainsi qu’un rôle de dramaturge. Et précisément, en ce moment, j’organise une rencontre autour du spectacle Trewa entre la compagnie Mapuche et une délégation du conseil national indigène.

Propos recueillis par Annabelle VAILLANT

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Programme complet, lectures et inscription :
festival FLIRT

FLIRT 2022

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Photographie à la Une : Métie Navajo (DR)



 

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