Nanterre veut-elle vraiment la peau de la Ferme du Bonheur ?

Nanterre veut-elle vraiment la peau de la Ferme du Bonheur ?
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Que penser du bras de fer qui oppose, depuis quelques semaines, La Ferme du Bonheur à la mairie de Nanterre ? S’agit-il d’une association culturelle porteuse de valeurs écologiques et sociales, visionnaires, harcelée par une équipe municipale mesquine et tordue ? L’agro-poésie ne serait plus de mise ? Pas si sûr…

Il y a trois décennies, l’association Paranda Oulam crée de toutes pièces un tiers-lieu, un espace culturel alternatif baptisé La Ferme du Bonheur. Entre l’université de Paris-Nanterre, un échangeur A14 / A86 souterrain et une ligne de RER aérienne, au milieu des arbres fruitiers et d’une biodiversité retrouvée, elle organise des fêtes électro sur une ancienne friche municipale dégradée, équivalent à six terrains de foot.

Mais la mairie la somme maintenant de se mettre aux normes de sécurité et lui demande de quitter, en 2023, des terrains jusqu’alors concédés gratuitement mais désormais destinés à la construction d’une ‘‘coulée verte’’. Par la voix de son fondateur, Roger Des Près, l’association crie au scandale et à l’assassin. « On veut tuer la Ferme du Bonheur ! »

Un prince en son royaume d’agro-poésie

Car la Ferme du Bonheur, c’est Lui. Ici, à Nanterre, prospère son œuvre depuis trente ans. « Je veux mourir sur ce territoire. » Côté université, se trouve le lieu historique, un terrain de 2 500 mètres carrés initialement attribué au cirque Les Noctambules, devenu son voisin.

En 1993, Roger Des Près y bâtit le siège d’un royaume, le Favela Théâtre, une structure transparente et modulable, entièrement fabriquée avec des matériaux de récupération. L’été, il y tue le cochon et y installe un hammam. « C’est pire qu’au bled et mieux qu’à Monaco », rigole-t-il. Il y joue Dostoïevski et Jean Genet, ses deux auteurs fétiches, plus récemment une lecture de L’Homme qui plantait les arbres de Jean Giono, avec son « Jacky de ferme, mon cas soc’ qui joue les bergers ». Roger Des Prés, le bien nommé, tel un prince en son royaume !

Car, comme à Versailles, sur un autre terrain de quatre hectares baptisé Le Champ de la Garde, les week-ends, Roger et une joyeuse bande de citoyens pratiquent « des cessions d’agro-poésie », avec « quarante espèces de blé plantées dans la Plaine des Céréales », un « verger diffus », pas de jardins partagés mais « de vrais maraîchers », poivrons, tomates, courgettes, plus deux percherons et quelques moutons… Les expériences d’éco-pâturage de troupeaux conduits par des bergers urbains se multiplient à Bobigny, Cergy, Aubervilliers et Lyon. En hiver, La Ferme ferme. Exit les quatre à cinq hectares qui rouvrent au public chaque printemps !

Or cet été, pour des questions de sécurité, il n’y a aura pas de fête. Pas de sécurité, pas de fêtes ; et pas de fêtes, pas de revenus. « Les douze fêtes étaient censées renflouer nos caisses, 70 % de notre budget, et permettre nos activités… à défaut de subventions ! », plaide Roger des Prés, outré.

« C’est un peu vexant de s’entendre dire qu’on veut torpiller La Ferme », commente Lucie Champenois, jeune élue de 27 ans, diplômée de sociologie et professeure d’histoire-géographie. Outre les cinq hectares gratuitement cédés et une subvention régulière de 20 000 euros, ramenés à 10 000 en 2022 pour des raisons de restrictions budgétaires qui ne concernent pas seulement La Ferme, l’adjointe à la Culture de Nanterre explique que Paranda Oulam ne paye ni l’eau ni l’électricité, qui sont à la charge de la mairie depuis trente ans. « Beaucoup s’en réjouiraient ! »

La Ferme du Bonheur est invitée à répondre à l’appel à projet

Sur le volet sécurité, elle rappelle qu’aucun dossier d’aménagement n’a été déposé auprès de la ville et de la préfecture pour les espaces extérieurs, qu’il n’y a pas de registre de sécurité spécifique au site, pas d’éclairage en cas d’évacuation ; un tuyau d’arrivée de gaz est également périmé et un coffret électrique non isolé a été installé dans un local ou l’on stocke de la paille. « Ce sont des formalités simples à remplir dans le cadre d’une procédure classique menée par la commission de sécurité de la ville et les pompiers. Il n’y a pas de grosse dépense et la mairie est prête à accompagner l’association. »

Mais il y a une autre pierre d’achoppement. Avec l’établissement public de la Grande Arche (EPADESA), propriétaire du Champ de la Garde, la mairie de Nanterre souhaite désenclaver ce quartier pour créer une coulée verte, que les espaces clôturés de la Ferme du Bonheur deviennent des espaces ouverts et que les habitants puissent les traverser toute l’année, même l’hiver.

Le cahier des charges qui veut donner une bouffée d’air au quartier n’est pas encore sorti. « En vingt ans, les priorités ont changé : on est passé d’un boulevard routier à un boulevard piéton », explique Lucie Champenois. Les Restos du Cœur, voisins, ont déjà été relogés et le cirque Les Noctambules s’apprête à partir. Elle insiste : « La Ferme du Bonheur est vivement invitée à répondre à notre appel à projet pour le futur aménagement de cette zone d’aménagement concerté. Nous savons qu’elle en a la capacité. »

Roger Des Près, 59 ans et comédien, s’en gardera bien… Maniant haut et fort le verbe, il évoque pêle-mêle les « écolos gauchos » et leur « novlangue ». En titres de noblesse à sa boutonnière, il cite la Biennale d’architecture de Venise et le Potager du roi à Versailles, dont il fut l’invité. Il en appelle au jardinier paysagiste Gilles Clément. « Françoise Nyssen va envoyer un mail à la nouvelle ministre de la Culture, et Jack Lang, un SMS. »

Il ironise : « Nanterre est fière d’être une ville monde », parle des tours Nuages d’Émile Alliot, « une architecture de tendresse ». On comprend qu’on a affaire à un poète et peut-être à un saint. Il n’hésitera pas à jouer les martyrs : « La corde est déjà prête. »

Kakie ROUBAUD

La Ferme du Bonheur (© DR)

La Ferme du Bonheur (© DR)



 

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1 commentaire

  1. Je trouve que la personne qui a écrit cet article est de parti pris. On se fait une autre idée du journalisme. C’est dommage.

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