Où en est le cinéma français ?

Où en est le cinéma français ?
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C’est une question sans espérance, ni arrière-pensée. Mais c’est très tentant de la soulever. Où en est le cinéma français ? Cette question, la plupart se la pose depuis bientôt des décennies. Certains refusent de payer pour voir un film français en salles, quand d’autres ne jurent que par l’exception culturelle française. C’est une réalité. Pourquoi cette sensation et qu’en est-il vraiment ?

D’un côté, il y a ceux qui se précipitent sur le dernier film dans lequel joue Fabrice Luchini ou, à la rigueur, Daniel Auteuil et Gérard Depardieu – une manière de rester dans les valeurs sûres du passé. De l’autre, les ouverts d’esprits, curieux de tout ce que peut encore faire le cinéma français, s’essayent à tout.

Il y a par ailleurs une autre manière de choisir d’aller voir un film. À force d’en entendre parler dans les médias, il devient vite urgent d’aller voir par soi-même. C’est le cas, par exemple, du film Les Misérables de Ladj Ly ; ce fut aussi le cas de La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche. Ce cinéma a l’avantage de donner le ton d’une époque et de nous renseigner sur elle. À nous, ensuite, de nous faire notre avis.

Ceux qui sauvent le cinéma français : les hommes de l’ombre

Ces deux dernières années, plusieurs long-métrages se sont distingués par leur innovation, la surprise offerte aux spectateurs ainsi que leur grande qualité scénaristique et artistique. Parmi eux, Au revoir là-haut, d’Albert Dupontel, Jeanne de Bruno Dumont ou Le chant du loup d’Antonin Baudry. Leur point commun ? Les réalisateurs ne viennent pas des grandes écoles de cinéma ni même, parfois, du milieu du cinéma tout court. Ce sont des hommes de l’ombre. Ils sont quasiment absents de la scène publique ou de la caste qui fait les festivals.

Albert Dupontel, principalement acteur, vient ainsi du théâtre. Au moment de recevoir les César du meilleur réalisateur et de la meilleure adaptation pour Au revoir Là-haut, il n’était pas là… et ne souhaitait pas l’être. Bruno Dumont, un autodidacte, totalise cinquante-cinq nominations parmi les catégories des prix les plus prestigieux du cinéma. Antonin Baudry, enfin, est diplomate et un ancien polytechnicien. Son premier film a cumulé plus d’un million et demi d’entrées.

Ce qu’ils semblent nous dire est simple : « Si vous ne voulez pas porter préjudice à vous-même ainsi qu’au cinéma français, restez dans l’ombre ; c’est la meilleure manière de continuer à le sauver, et vos œuvres avec. »

Et les hommes libres aussi

S l’on regarde par ailleurs du côté des prix les plus prestigieux — la Palme d’or de Cannes, le Lion d’Or de la Mostra de Venise ou encore le César du meilleur film —, la même tendance à l’indépendance s’observe. Des réalisateurs libres, bien qu’un peu moins dans l’ombre, sont souvent en bonne position parmi les réalisateurs français. Par liberté, nous entendons la liberté créatrice et le cheminement hors des sujets et formats habituels : comédies loufoques et/ou sentimentales, histoires vraies et sujets de société traités sans grande originalité.

Emir Kusturica (franco-serbe), Jacques Audiard, Roman Polanski (franco-polonais) et Abdellatif Kechiche (franco-tunisien), pour n’en citer que quatre, ont obtenu des prix dans toutes les catégories. Respectivement, Emir Kusturica a reçu deux Palme d’Or pour Papa est en voyage d’affaires (1985) et Underground (1995). Jacques Audiard l’a reçue à son tour pour Dheepan (2015) et auparavant le César du meilleur film pour Le Prophète (2009), ainsi que le Grand prix du festival de Cannes. Roman Polanski a reçu la Palme d’Or pour Le Pianiste (2002) et le Grand prix du jury de la Mostra de Venise pour J’accuse (2019) et des nominations aux César. Enfin, Abdellatif Kechiche a reçu la Palme d’Or pour La Vie d’Adèle (2013) et le César du meilleur film pour La Graine et le Mulet (2008) et L’Esquive (2005).

Tony Gatlif, dans la même veine, a souvent été nominé. S’il n’a jamais gagné la Palme d’or, il a tout de même reçu un prix de mise en scène pour Exils (2004) à Cannes et deux Césars pour les bandes originales de Gadjo Dilo (1999) et de Vengo (2001). Et l’on ne peut dénier à chacun l’originalité de leurs œuvres, toutes bien singulières.

Et les autres ?

La mort du cinéma français ne saurait être ni la conclusion, ni le but de cet article. Lisons plutôt les observations de Bertrand Tarvernier, grand connaisseur de l’histoire du septième art. Il vient d’effectuer un travail de mémoire considérable sur le cinéma du XXe siècle, dans son documentaire Voyage à travers le cinéma français sorti en 2016. À travers lui, nous mesurons l’importance de remettre le cinéma dans un contexte large et, par conséquent, de mettre en regard celui d’aujourd’hui avec celui d’hier.

Dans un article paru dans Sud Ouest, le cinéaste aguerri et multi récompensé déclare : « Je trouve le cinéma d’aujourd’hui aussi excitant que celui du passé. Il y a toujours beaucoup de comédies que je trouve ringardes et qui coûtent beaucoup de pognon. Mais, vous savez, dans les années trente ou quarante, déjà, des films exprimaient un tel degré de connerie que même les pires avatars des sous-doués seraient mieux. » Ainsi des films de Dany Boon ou de Philippe de Chauveron, qui reçoivent régulièrement les prix du public à la suite de l’enthousiasme populaire, signe que les comédies se portent toujours bien et sans doute mieux qu’avant. Et aujourd’hui ? « Nous avons Jacques Audiard, Arnaud Desplechin, Maïween, Emmanuelle Bercot : beaucoup de films sont très intéressants. »

Dans un autre entretien, à un journaliste qui l’emmène sur le terrain moribond de l’état du cinéma, il n’hésite pas à répondre : « Oui, enfin, depuis que je fais du cinéma, les constats pessimistes, je n’ai connu que ça ! Si vous saviez le nombre de journaux, notamment des quotidiens, qui ont titré sur ‘‘la mort prochaine du cinéma’’, hein… Les morts, ce sont eux aujourd’hui, ils ont tous disparu : Le Quotidien de Paris, Le Matin, L’Aurore… Le cinéma français, lui, est en bien meilleure santé que la presse, qu’elle soit quotidienne ou hebdomadaire. »

Si nous nous demandons ce que l’on retiendra du cinéma d’aujourd’hui dans dix, cinquante ou cent ans, espérons que — tout comme pour la littérature — l’art fera œuvre. Ainsi souhaitons-nous qu’en lieu et place de Marc Lévy ou d’Agnès Ledig, de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ou des Misérables, les hommes de l’ombre, les hommes libres et les artisans feront date et nous représenterons. Des actrices et acteurs comme Catherine Deneuve, Daniel Auteuil ou Marina Foïs se plaignent d’ailleurs parfois de la difficulté de trouver des scénarios bien écrits. Même combat ?

En marge du graal artistique tant espéré et des bonnes comédies, il y aura toujours de nombreuses âmes — plus ou moins bien intentionnées — pour nourrir les affiches des salles françaises et satisfaire à la (nécessaire) diversité. Ainsi le prochain film de Ruben Alves, Miss, dans lequel Alex, un garçon de neuf ans, rêve de devenir Miss France et fait tout pour réaliser son rêve une fois adulte : la bande-annonce présage une comédie mièvre, teintée de bons sentiments aux allures de kit Ikea. Il sort en mars 2020. Et il sera pour le commerce, pour la consommation — sans doute —, pour le premier art en somme. En attendant, continuons de nous demander où en est le cinéma français et qui le fait vraiment.

Louise ALMÉRAS

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