“Outwitting the devil” d’Akram Khan : le palais des papes sous l’effondrement

“Outwitting the devil” d’Akram Khan : le palais des papes sous l’effondrement
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Akram Khan raconte dans Outwitting the devil une histoire ancienne, ou peut-être une histoire en cours et une histoire à venir. Le temps d’une soirée, le Palais des papes n’est plus, il s’est effondré à l’image de notre civilisation. À travers l’obscurité des ruines éparpillées sur le plateau de la Cour d’honneur, la douleur et la violence sont omniprésentes, bien qu’il subsiste peut-être une infime once d’espoir dans l’interstice d’une pierre calcinée, au cœur d’une danse.

La Cour d’honneur accueille en deuxième partie du festival d’Avignon la compagnie Akram Khan avec sa dernière création, Outwitting the devil, pouvant être traduit par « se jouer du diable ». Chorégraphe de cette pièce, Akram Khan pose au cœur de ce décor historique un regard sombre sur notre société en s’inspirant de fragments de l’ancienne épopée sumérienne de Gilgamesh. Ce soir-là, une chape de plomb tombe sur la Cour d’honneur et l’ambiance s’en trouve radicalement transformée. En assumant cette radicalité, Outwitting the devil est une œuvre qui apparaît essentielle aujourd’hui, pour ressentir l’urgence d’agir et éviter — ou probablement anticiper — une certaine forme d’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle.

Un mythe révélateur

La note d’intention donne l’explication suivante : « La pièce raconte l’histoire de la domestication de l’homme sauvage Enkidu par Gilgamesh et de leur amitié, de leur voyage dans la vaste forêt de cèdres, berceau des créatures sauvages et esprits, suivre du massacre de son gardien, Humbaba. Porté par sa puissance et sa fierté, le jeune Gilgamesh décide d’établir sa renommée et de fortifier la ville d’Uruk tel un monument en honneur à sa vie. Mais l’assassinat de Humbaba et la destruction de la forêt et de ses animaux fâchent les dieux, qui punissent le jeune roi en prenant la vie de son cher Enkidu. Confronté à la vérité et au chagrin de la mortalité humaine, Gilgamesh entre dans l’histoire pour devenir un fragment parmi les vestiges brisés de la culture et de la mémoire humaines. »

À travers ce mythe, Outwitting the devil se pose en miroir de notre époque, celle d’une civilisation commençant tout juste à prendre conscience de la finitude des ressources à sa disposition et de sa possible destruction. Akram Khan dénonce une séparation entre l’humain et la nature. En dominant la nature, la société s’est détachée de ses racines, de son environnement. Par ailleurs le chorégraphe, choisissant une œuvre littéraire immémoriale, montre ainsi que l’humanité n’a toujours pas appris de ses erreurs passées et qu’il est ainsi urgent de se replonger dans l’histoire pour décortiquer le présent.

Une esthétique de l’effondrement

Le temps d’une soirée, la Cour d’honneur du Palais des papes se transforme en imaginaire puissant de l’effondrement de notre civilisation. Au début, seuls des sons semblant venir des entrailles de la Terre sont perceptibles ; rien ne se passe sur le plateau pendant de longues minutes ; les spectateurs et spectatrices écoutent et attendent dans une atmosphère fébrile. Soudain, le Palais des papes s’effondre, grâce à un son puissant et une chute parfaitement réglée de la lumière. Sur le plateau, les cubes, visibles dès l’entrée dans la cour, deviennent instantanément des ruines constituées de pierres calcinées. Ruines de l’humanité. Ruines de ce qui s’est construit et détruit dans la violence.

Des images et mouvements très sombres se répètent dans la chorégraphie : tantôt un cri de désespoir tourné vers le ciel et les étoiles scintillantes, tantôt la violence physique entre deux corps, la mort ou encore le deuil. L’espoir a finalement peu de place dans la pièce. Ce choix est pleinement assumé, et même rassurant puisqu’il est posé assez honnêtement. L’espoir réside uniquement dans la possibilité de danser, encore et toujours, même avec une fin probable de l’humanité ou d’un certain état du monde.

Se jouer du diable

Akram Khan propose ici une œuvre résolument sombre d’un futur possible ou d’une réalité déjà tangible. En se jouant du diable, il est peut-être possible de l’évincer de la société. Outwitting the devil serait alors une forme de rituel pour faire disparaître ce diable aux multiples visages, un diable destructeur de nos sociétés qui entraîne droit dans le mur l’humanité, toujours en quête de sa raison d’être.

Vincent PAVAGEAU



SPECTACLE : Outwitting the devil

Création : 13 juillet 2019 à Stuttgart
Durée : 1h20
Public : à partir de douze ans

Direction artistique & chorégraphie : Akram Khan
Création & interprétation : Ching-Yiong Chien, Andrew Pan, Dominique Petit, Mythili Prakash, Sam Pratt, James Vu et Anh Pham
Dramaturgie : Ruth Little
Conception lumières : Aideen Malone
Musique originale et son : Vincenzo Lamagna
Conception costumes : Kimie Nakano
Texte : Jordan Tanahill
Directeur des répétitions et coach : Mavin Khoo
Voix-off : Dominique Petit

Crédits photographiques : Christophe Raynaud de Lage



OÙ VOIR LE SPECTACLE ?

Spectacle vu le 17 juillet dans la Cour d’honneur du Palais des papes, au Festival d’Avignon.

– 17 au 21 juillet : Cour d’Honneur du Palais des papes, festival d’Avignon
– 11 au 20 septembre : théâtre de la Ville (Paris)
– 29 et 30 novembre : Grand Théâtre d’Aix-en-Provence

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Outwitting the devil (crédits : Christophe Raynaud de Lage)



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