Pierre Notte, dramaturge de la solitude et de l’identité par pure perte

Pierre Notte, dramaturge de la solitude et de l’identité par pure perte
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Pierre Notte vient de faire paraître, aux éditions de la Librairie Théâtrale, Par la fenêtre ou pas, qui a reçu le prix des Journées de Lyon des auteurs de théâtre en 2006. L’ancien secrétaire général de la Comédie-Française, trois fois nominé comme auteur aux Molières, signe un texte qualifié de « fantaisie policière », quand il s’agit surtout d’une vaste réflexion sur la solitude humaine, le langage et les pièges d’une identité étriquée.

Ils sont sept – cinq femmes, deux hommes. Sept êtres enfermés dans leur solitude. Ils se frôlent, se croisent, à deux, à quatre, tous ensemble, semblant parfois interagir, sans jamais se rencontrer. Cinq femmes, deux hommes, sans aucun nom, juste des fonctions, ou un état dans lequel ils se sont enfermés, on les a circonscrits.

Se perdre par identité

Cinq femmes, deux hommes : la veuve, la voleuse, la Vénitienne, la mère, le contrôleur, l’adolescent et la jeune fille. Chacun est prisonnier d’une identité qui l’oppresse, scellée sur la peau, les mains, la bouche, les seins. Cette identité insurmontable, qu’ils espèrent abandonner à mesure que le train s’éloigne de Paris, se rapproche de Venise. Leur identité n’est pas un manque, guère plus un vide : il est une perte. Celle d’un mari à qui consacrer sa vie et celle de la conscience de sa propre dignité ; celle d’une fierté qui n’attire pas le regard et celle d’une maternité accueillant la gratitude de l’enfant. Perte encore de la juvénile confiance en un père que l’on voudrait croire, et celle d’une famille à soi, une famille à laquelle on appartiendrait. Perte enfin qui résume toutes les autres : la possibilité d’un contact avec ceux qui l’entourent.

La perte est autant sensorielle – la vue, le toucher, le goût… – que verbale. Pierre Notte ne s’épargne aucune parenthèse, multipliant les répétitions qui sont autant d’obsessions encerclées par la ponctuation, au creux de ces personnages qui ne s’entendent pas, que personne n’écoute jamais à la même hauteur : « J’ai vu qu’on ne me voyait pas – j’ai entendu qu’on ne m’écoutait pas. […] Je n’étais personne, je n’étais personne. […] Est ce quelqu’un m’écoute quand je parle ? » La Vénitienne guette un regard que, dans l’obscurité naturelle, sans artifice, elle ne peut voir. La culpabilité dévore la main de la voleuse, quand les restes de son mari recouvrent d’un baiser de cendres la bouche de la veuve, qui hurle son désir de se « foutre en l’air ».

« Fils de personne »

Plus personne n’entend la parole ; elle s’effondre dans l’abîme qui sépare les êtres, quelques mètres concrets, des paysages de désolation en réalité – tandis que la neige et le froid envahissent les wagons. Il y aurait bien ces deux jeunes, mais la parole du père a abîmé la première jusqu’à la plus simple assurance, quand le second se vit lui-même comme « la catastrophe d’une humanité qui ne peut corréler son geste à sa pensée ». Trahison de l’intimité des adultes, jeune fille sans père, adolescent sans filiation. Ils ne sont « fils de personne » (Montherlant), et leur parole se meurt dans le cou rougi de la trahison, dans les mains immobilisées, neutralisées sous le fessier, en attente d’être retranchées définitivement.

Enfin le contrôleur, que la fonction place involontairement au centre des échanges, recueillant – perdu – les paroles dont il ne sait que faire, parce qu’il a peur du langage, du verbe qu’il ne connaît pas, de ce mot qui suscite l’abandon. Il moissonne les gerbes articulées et incertaines, sans pouvoir les rassembler dans sa thébaïde, parce qu’il refuse le contact : « Je vous contourne – je ne vous touche pas ».

Brûlure de la lueur

Pierre Notte nous plonge dans une nuit tombante « comme des griffures d’orange », une nuit opaque, comme celle du confessionnal qui offre l’hospitalité à toutes les plus noires révélations. Les masques tombent les uns après les autres : les photographies sont déchirées, les passeports jetés par la fenêtre, ainsi que le larcin commis en son temps à Venise… La libération est longue, elle traverse l’aveu.

Alors – alors seulement – une vie peut être accueillie, celle du bébé kidnappé par la Vénitienne, celle du bébé accueilli par les deux enfants qui s’enfuient, par la fenêtre, par la porte, dans la nuit. Ils ne se rêvent plus « gardienne de phare » et « gardien de péage – dans une cage de verre au milieu d’un désert » ; ils osent la réconciliation des mains et de la peau, de la parole – la musique – et du geste, du don à l’autre et de la vie.

La lumière jaillit, timide, une « lumière naissante – orangée – un coin de ciel brûlé dans un carré noir ». L’aveu a ouvert à la rencontre ; la libération a provoqué la vie. Brûlure d’une lueur qui porte la trace d’un mal ancestral, mais qui semble pourtant avoir gagné, ne serait-ce que le temps d’une nuit, jusqu’au prochain train… ou pas.

Pierre GELIN-MONASTIER

Pierre Notte, Par la fenêtre ou pas, Librairie Théâtrale, Coll. « Écritures d’aujourd’hui », 2016, Paris, 80 p., 12 €



Par la fenêtre ou pas a été créée le 30 juin 2011 à la Manufacture des Abbesses, à Paris, dans une mise en scène d’Antoine Humbert, assisté de Raphaëlle Spagnoli (Simone et Compagnie).

Avec
La veuve : Virginie Hallot
La voleuse : Raphaëlle Spagnoli
La Vénitienne : Antoine Humbert
La mère : Maud Martinez
Le contrôleur : Laurent Narjot
L’adolescent : Jérôme Laborde
La jeune fille : Hélène Bélivier



 

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