“Sans Tambour” de Samuel Achache : un effondrement poétique sans bémol

“Sans Tambour” de Samuel Achache : un effondrement poétique sans bémol
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Samuel Achache est un véritable créateur de formes originales. Il nous le démontre avec Sans Tambour, donné au festival d’Avignon, dans le cloître des Carmes. Un spectacle burlesque et mélancolique, réglé comme du papier à musique. C’est notre instant critique du jour.

Au commencement était la chute, l’effondrement, l’anéantissement – celui d’un couple, d’une maison et de toute possibilité de musique. Les trois s’entremêlent savamment dans la mise en scène de Samuel Achache, dont je découvre le travail avec son spectacle intitulé Sans Tambour. Le titre, qui reprend et tronque tout à la fois la célèbre expression « sans tambour ni trompette, appelle le secret et l’indicible, convoque la débâcle et la discrète retraite douloureuse d’une armée en déroute.

Sans Tambour évoque la fin d’un couple traversé par des idéaux et des réalités aux antipodes. Commence une série de saynètes qui déclinent, de la thérapie à la mythologie (celle du couple formé par Tristan et Iseult), les affres de la séparation, de la ruine intérieure – ici amplifiée par le cadre du cloître fortifié des Carmes.

Comme en écho résonne la musique de Robert Schumann, et plus précisément ses lieder. On ne peut s’empêcher de noter le paradoxe entre ce qui est dit sur scène et ce choix musical : « l’année du lied », chez Schumann, est celle de son mariage, l’une des rares périodes de bonheur et de paix – entre deux phases d’affaissement – de son existence. Schumann y célèbre les amours du poète, ainsi que la vie et l’amour d’une femme passionnée. Dans la mise en scène de Samuel Achache, cette musique sert le propos, assume un ressort tout à la fois comique et dramatique.

La mise en scène comporte, dans sa structure fragmentée, dans le mélange des genres, suffisamment de degrés de liberté pour que l’interprétation soit d’elle-même plurielle.

Je l’ai dit au début : je découvre avec ce spectacle l’univers de Samuel Achache. Il me faut reconnaître d’emblée une qualité très rare au théâtre : l’artiste est un créateur de formes originales. On peut évidemment multiplier les références cinématographiques, l’enchaînement rapide et rythmé des scènes s’y prêtant naturellement : Buster Keaton, Charlie Chaplin, les Marx Brothers, Jacques Tati…

Pour en rester au théâtre, ce sont les spectacles de Jérôme Deschamps et Macha Makeieff qui me viennent en tête, avec leur célèbre compagnie des Deschiens. Nous y retrouvons une même poésie de l’absurde, une mélancolie de l’extravagance, tant dans les costumes que dans la tendresse maladroite des personnages, ainsi qu’un sens très prononcé du burlesque, qui emporte avec lui les rires (très) nombreux du public, grâce notamment à un impressionnant Léo-Antonin Lutinier, aussi à l’aise pour le chant que pour le grotesque.

Ce spectacle ne pourrait enfin fonctionner sans l’esprit de troupe. À l’instar des Deschiens, la compagnie La Sourde, fondée par Samuel Achache, repose sur la collaboration étroite entre des artistes habitués à travailler ensemble. Tous, sans exception, sont époustouflants, les comédiens comme les musiciens, dirigés par Florent Hubert ; il ne convient d’ailleurs pas de les distinguer totalement, chacun participant pleinement du jeu théâtral.

Détail et non des moindres, en cette invasion massive des micros qui nivellent le souffle des comédiens jusqu’à créer un naturalisme uniforme quel que soit le genre de la pièce : le couple formé par les formidables Lionel Dray et Sarah Le Picard jouent sans micro, les obligeant à la profération proprement théâtrale. C’est exagéré, grandiloquent, irréel, farcesque… C’est du théâtre.

Pour faire justice à cet esprit, il me reste encore à citer les noms des musiciens et de la chanteuse, comme une litanie de gratitude : Gulrim Choï, Antonin-Tri Hoang, Sébastien Innocenti, Agathe Peyrat et Ève Rissier.

Ce spectacle s’apprête à partir dans une grande tournée, amplement méritée : Meudon, Narbonne, Saint-Denis, Nancy, Pau, Paris, ou encore Lorient, La Roche-sur-Yon et Caen accueilleront cette œuvre atypique. Ne ratez pas l’occasion !

Pierre GELIN-MONASTIER

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Renseignements et tournée : Festival d’Avignon

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Sans tambour, Samuel Achache, 2022 (© Jean-Louis Fernandez)

Sans tambour, Samuel Achache, 2022 (© Jean-Louis Fernandez)



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