« Seasonal affective disorder » : rien de neuf sous le soleil du crime

« Seasonal affective disorder » : rien de neuf sous le soleil du crime
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Si la grande littérature, aussi bien que la mauvaise, n’a eu de cesse de reprendre des thématiques vieilles comme l’apparition de l’écriture, ce qui distingue la première de la seconde réside dans une actualisation contemporaine qui préserve la langue aussi bien que le cœur profond de l’homme. Seasonal affective disorder, écrit par Lola Molina, se voulait sans doute de cette trempe ; elle n’est malheureusement qu’une resucée sans réelle innovation, malgré l’interprétation scénique de deux excellents acteurs.

Lorsque j’ai lu Seasonal affective disorder, publié par les éditions Théâtrales en novembre dernier, je n’en ai pas compris l’intérêt pour notre monde contemporain. Ce n’est certainement pas le fait que le titre soit en anglais, plutôt qu’en français, qui change la donne.

Certes, l’écriture de Lola Molina est loin d’être sans qualité : l’écrivaine montre une belle aisance à passer d’un registre d’écriture à un autre (monologue, dialogues, etc.). Mais qu’est-ce que cette pièce apporte de nouveau, d’important, pour notre temps ? Car, à y regarder de près, l’enjeu n’est pas de divertir le lecteur/spectateur par des claquements de porte et un amant dans le placard. Alors quoi ?

La sordide histoire d’un couple sans aspérité

La quatrième de couverture nous parle d’une survie « aux hommes et à leurs jugements inflexibles », d’une fuite « sublime et criminelle » face « à la médiocrité du quotidien », d’une transgression des interdits… Il n’y a rien de tout ça.

Seasonal Affective Disorder de Lola Molina, mise en scène Lélio Plotton, avec Anne-Lise Heimburger et Laurent SauvageRécapitulons :

1) ce ne sont pas les « jugements inflexibles » des hommes qui entraînent la fuite, mais un meurtre commis par une jeune fille inconséquente ;

2) d’aucuns trouveront peut-être la fuite sublime – ce n’est pas mon cas –, reste qu’elle n’est certainement pas provoquée par la « médiocrité du quotidien », mais… en raison d’un meurtre commis par une jeune fille inconséquente ;

3) quant à cette transgression des interdits perceptibles dans les dialogues, outre ce meurtre commis par une jeune fille inconséquente, il ne reste que la passion d’un homme mûr pour une gamine de quatorze ans… thématique qui n’est plus une transgression depuis bien longtemps.

On nous promet une violation scandaleuse de tout principe ; on se retrouve embrigadé dans une manifestation de post-adolescents en mobylettes. Ça fleurait bon le renversement des valeurs sociétales ; il ne reste que la sordide histoire d’un couple sans réelle aspérité, capable de faire l’unanimité.

Est-ce parce que le texte a été lauréat des Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre qu’il a été automatiquement édité ? Difficile de comprendre la parution d’un texte qui n’apporte rien de plus qu’une réminiscence des années soixante.

Retour aux années 1960 à 200 %

Au final, Seasonal affective disorder n’apparaît que comme la jonction maladroite de Bonnie and Clyde, film réalisé par Arthur Penn avec Warren Beatty et Faye Dunaway en 1967, et Lolita, roman de Vladimir Nabokov publié en 1955 et adapté au cinéma par Stanley Kubrick sept ans plus tard.

Ni plus, ni moins. Sinon que Bonnie-Dolères-Sue Lyon laisse ici la place à Dolly-Anne-Lise Heimburger, tandis que Vlad-Laurent Sauvage reprend le rôle Clyde-Humbert-James Mason.

Lélio Plotton reçoit dès lors la délicate mission de réaliser une mise en scène originale. Deux micros, à cour et à jardin, font face au public : les acteurs y viennent régulièrement pour raconter l’une ou l’autre scène, tandis que le dispositif permet d’une part une confrontation frontale avec le public, d’autre part des effets d’amplification. Des images de route sont projetées quand il est question de fuite en voiture, ou de ciel quand il est question… de ciel.

L’ambiance des films des années soixante est ainsi récréée, ce qui explique peut-être ce prétentieux titre anglais. Ces va-et-vient incessants entre une mise en scène théâtrale et un mécanisme cinématographique sont volontaires, voire pertinents comme hommage à une époque. Mais ils accentuent d’autant plus ce que le texte a de déjà-vu, ou plutôt de déjà-écrit. La création musicale, même si elle est intéressante en soi, va dans le même sens, n’apportant rien de plus que ce qui est dit par le texte et la mise en scène.

Un agréable moment servi par deux excellents comédiens

On pourrait comparer ce spectacle à Public enemies de Michael Mann qui, même s’il sait user des techniques contemporaines et fait appel à des acteurs reconnus aujourd’hui, ne fait que reproduire les années trente.

En ce sens, la comparaison est bienvenue, car on ne passe pas un mauvais moment devant Seasonal affective disorder, grâce surtout à la séduisante performance des comédiens. Malgré un ton légèrement monocorde, comme une incantation hachée qui mêlerait le rock et Serge Gainsbourg, Laurent Sauvage crée un univers intéressant, tandis qu’Anne-Lise Heimburger joue l’exubérance écervelée, faussement ingénue, avec réussite.

Au final ? Un agréable moment exhumé du passé qui ouvre sur un présent vide.

Pierre GELIN-MONASTIER

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Lola Molina, Seasonal Affective Disorder / Trouble affectif saisonnier, éditions Théâtrales, 2018, 60 p., 10 .

Seasonal Affective Disorder de Lola Molina, mise en scène Lélio Plotton, avec Anne-Lise Heimburger et Laurent Sauvage



DISTRIBUTION

Texte : Lola Molina

Mise en scène : Lélio Plotton

Avec Anne-Lise Heimburger et Laurent Sauvage

Création sonore : Bastien Varigault

Création vidéo : Jonathan Michel

Création lumières : Françoise Michel

Crédits de toutes les photographies : Victor Tonnelli



OÙ VOIR LE SPECTACLE ?

  • 14 février au 31 mars 2018, du mardi au samedi à 21h : Lucernaire (1h30)


EN TÉLÉCHARGEMENT



Seasonal Affective Disorder de Lola Molina, mise en scène Lélio Plotton, avec Anne-Lise Heimburger et Laurent Sauvage



 

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