“Springsteen-sur-Seine” : premier polar musical au cœur d’une banlieue insipide

“Springsteen-sur-Seine” : premier polar musical au cœur d’une banlieue insipide
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Premier roman noir de Vincent Maillard, Springsteen-sur-Seine nous plonge dans un univers grisâtre et ordinaire, proche de nous, sur fond de puissant hommage au célèbre musicien Bruce Springsteen. Un polar musical, à la fois rock et profondément français.

L’univers du polar est aujourd’hui dominé par les fictions froides et chirurgicales des auteurs nordiques, ou par celles, sous forme de plongée ténébreuse, proche parfois de l’horreur, des écrivains anglais et américains. Au risque, évidemment, d’une certaine monotonie. Certains romanciers, notamment français, percent néanmoins, tel Bernard Minier dont l’univers si singulier est servi par une langue assez remarquable.

Vincent Maillard se risque à son tour dans le monde du roman noir, ou plutôt grisâtre, avec un premier opus publié chez Fanlac, maison d’éditions basée dans le Périgord. « Grisâtre », à l’image de cette banlieue insipide où se déroule l’action, coincée entre la ville et la campagne, ignorée de tous sinon de quelques politiciens véreux et de groupuscules mafieux en tous genres.

Si nous retrouvons un personnage traditionnel du genre, à savoir un commissaire expérimenté d’origine bretonne, lent et massif comme un menhir, presque blasé et « à-qui-on-ne-la-fait-pas », l’intrigue repose néanmoins essentiellement sur deux jeunes trentenaires à la vie banale, dont l’histoire d’amour balbutiante se heurte à un phénomène inexplicable : des ascenseurs se mettent à tomber ici et là. Antoine Tallec (autre nom à consonance bretonne), agent d’entretien d’ascenseurs, et Callista Lazaridis, assistante dans un bureau d’études, se retrouvent confrontés à des morts, des conflits d’intérêt, des manipulations.

La banlieue : une réalité envahissante

L’originalité de ce roman tient non seulement à son ambiance presque fade et insignifiante, par l’irruption du crime dans un quelconque quotidien, mais aussi à son enchevêtrement musical, en un hommage appuyé du romancier au célèbre chanteur et auteur-compositeur Bruce Springsteen.

Cette recherche de l’ordinaire renvoie à un imaginaire typiquement français, comme notre cinéma sait en user. Il n’est dès lors pas étonnant d’apprendre que Vincent Maillard est scénariste de fictions et de documentaires pour la télévision. Nous retrouvons dans son roman ce quelque chose d’indéfinissable qui caractérise une partie de notre production cinématographique : l’enjeu n’est pas tant de connaître les coupables (nous les devinons d’emblée) que nous imprégner de cette envahissante atmosphère péri-urbaine.

Certes, l’anodin n’est pas une spécificité nationale : un écrivain tel que le Flamand Bram Dehouck en a fait son miel dans Un été sans dormir (éditions Mirobole), jusqu’à pousser son intrigue vers un absurde déconcertant, mâtiné d’extravagance et de délire. Vincent Maillard, quant à lui, ne verse dans aucune caricature drolatique, tenant une forme de réalisme de bout en bout – malgré l’absurdité apparente d’élévateurs qui s’affaissent. L’écriture, syncopée, rappelle à la fois l’efficacité d’un scénario et la rythmique musicale.

Bruce Springsteen : l’évidence intime

Outre la respiration offerte par l’histoire d’amour entre Antoine Tallec et Callista Lazaridis, Vincent Maillard nous plonge dans l’imaginaire du rock, à travers de nombreuses citations des chansons de Bruce Springsteen. À la manière d’un chrétien qui verrait une citation de la Bible couronner la moindre expérience de vie, l’auteur trouve dans l’artiste nord-américain une source d’inspiration inépuisable, qui étreint chacune des situations vécues par son héros, batteur dans un groupe local.

Darkness on the Edge of Town éprouve « cet apaisement que procure l’évidence » (p. 65), Oh ! Oh ! I got a crush on you porte la quête amoureuse dans le métro (p. 92), Devils and Dust soutient Antoine Tallec, pris d’une « amertume infinie » alors qu’il se trouve seul, dans sa cellule de prison (p. 160), My Father’s House accompagne le dernier adieu de Callista Lazaridis à son père (p. 199)…

Comme l’écrivait déjà Platon en son temps, « la musique donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée ». Elle accompagne intimement, dans le roman de Vincent Maillard, les états du jeune héros et de sa compagne. Elle est comme le refrain obsédant d’une intrigue qui leur échappe continuellement ; elle épouse et assume toute réalité intérieure quand celles extérieures s’effondrent violemment, à l’image des ascenseurs. Elle exprime l’unique dénouement.

Pierre GELIN-MONASTIER

Vincent Maillard, Springsteen-sur-Seine, éditions Fanlac, 2019, 320 p., 18 €



 

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