Suppression du prêt immobilier à taux zéro : tempête sur la maison individuelle

Suppression du prêt immobilier à taux zéro : tempête sur la maison individuelle
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Une récente décision ministérielle, conduisant à la suppression du PTZ (prêt immobilier à taux zéro) dans certaines zones péri-urbaines, a provoqué un vif émoi dans le microcosme de la construction et de l’urbanisme. Quel est l’impact réel d’une telle mesure ? En quoi l’économie sociale pourrait-elle proposer des solutions ?

Actualité de l’économie sociale

Une récente décision ministérielle, conduisant à la suppression du PTZ (prêt immobilier à taux zéro) dans certaines zones péri-urbaines, a provoqué un vif émoi dans le microcosme de la construction et de l’urbanisme. À première vue, il ne s’agit que d’une mesurette insignifiante ; les taux bancaires étant aujourd’hui voisins de zéro, ce dispositif d’aide déjà ancien n’a plus guère de raison d’être. Certes, il faut que l’État fasse des économies et fasse le ménage dans le maquis inextricable des mesures et contre-mesures qui tiennent lieu de « politique nationale du logement », mais il en faudrait dix fois autant pour que l’effet commence à être visible. Ne reculons pas devant l’emphase : il en faudrait mille fois autant.

Mais chacune des composantes de cet entrelacs de normes, d’aides et de conditionnalités a son histoire et résulte d’âpres négociations visant à satisfaire tel ou tel intérêt catégoriel, lequel va s’estimer gravement lésé à la moindre remise en cause de ce qui est censé le favoriser. Dans le cas présent, ce sont les constructeurs de maisons individuelles qui ont sonné le tocsin. Et comme ils traversent un creux conjoncturel, ils en ont vite trouvé le responsable en la personne de ce vilain ministre qui, privant de financement les ménages les plus modestes, les contraint ainsi à renoncer à ce qui était le rêve de leur vie, à savoir habiter dans une maison bien à eux.

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Ce genre d’argumentation larmoyante et débile aurait dû, comme cela fut maintes fois le cas dans le proche passé, amener le ministre à ouvrir des négociations, puis à céder, quitte à sauver la face en mettant en place une nouvelle couche de règles complémentaires. Eh bien non. Au grand ébahissement de tous, le ministre n’a pas reculé. Mieux : il assume, expliquant que pour revitaliser les centres des villes, il faut bien diminuer la construction de maisons individuelles en périphérie.

D’une tempête dans un verre d’eau, on est passé à un retournement proprement copernicien de l’attitude des pouvoirs publics. Du coup, chacun y va de ses commentaires. Le syndicat des architectes et la CAPEB applaudissent, mais chacun sent bien que ses avantages corporatifs seront désormais plus fragiles. Il est toujours compliqué de revendiquer que tout change pour les autres, mais que rien ne doit changer pour soi.

L’intelligence du ministre a été de sortir du champ étroit du PTZ pour affirmer un choix politique qui certes fait largement consensus mais qui n’a jamais pu commencer à être mis en œuvre. Depuis dix ans au moins pour tous les cabinets d’aménagement et d’urbanisme, vingt ans voire trente pour les plus lucides d’entre eux, la nécessité de « rebâtir les villes sur elles-mêmes » et de cesser de manger des terrains agricoles pour en faire des lotissements ou des zones commerciales s’exprime partout en boucle, mais sur le mode de l’impuissance malheureuse.

Car ce ne sont tant les solutions techniques ou les facilités juridiques qui manquent. Elles manquent, certes. Mais bien moins que l’attrait pour ces centres de ville délaissés, bien moins que la demande. Les îlots qui ont été rebâtis ou simplement réhabilités, dans différents centres de villes de France, ne font pas beaucoup envie, ou alors il s’agit de quartiers prestigieux et hors de prix. Ils n’ont donné naissance à aucun modèle urbanistique spécifique. Par ailleurs, faute de chantiers en nombre suffisant, il n’existe pas d’expertise, de compétence reconnue, pour la rénovation à prix abordable des anciennes « maisons de ville » mitoyennes et sans ascenseur. Il ne faut donc pas s’étonner que la maison individuelle, avec son petit jardin, soit restée, dans l’imaginaire de nombreux Français, une aspiration indépassable. Et ce malgré ses défauts, qu’ils soient urbanistiques (occupation de l’espace, effets pernicieux sur les transports, l’assainissement, les sites…), architecturaux (l’individuel vieillit autant que le collectif et plus sa construction est bon marché, plus sa durée de vie est courte), et sociaux (je ne détaille pas).

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L’Économie Sociale pourrait-elle proposer des solutions ? Il faut savoir que, parmi les constructeurs de maisons individuelles, le haut du panier est assuré par les artisans regroupés en coopératives. Comme celles-ci ne sont pas présentes dans tous les départements français, on les connaît peu. Par ailleurs, bien que leur nombre soit en croissance régulière, une scission intervenue en 2011 dans leur fédération a brouillé quelque peu leur image. Ceci étant, que ce soit dans la vieille maison ou chez les dissidents, on assiste ces derniers temps à l’émergence, aux côtés des coopératives classiques de construction, de coopératives de rénovation qui, comme leurs aînées, regroupent la fine fleur des compétences et leur fournissent des services communs, commerciaux et de gestion.

Le chemin de la réhabilitation des centres des villes, surtout les petites et moyennes, sera long. Les coopératives de rénovation peuvent en être les précurseurs. C’est tout le bien, avec les rudes tâches qui vont avec, que je leur souhaite.

Philippe KAMINSKI
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Quelques précisions sur la maison individuelle

Il circule sur ce sujet tant d’informations tronquées ou franchement inexactes, même et surtout sous la plume de journalistes économiques, que je crois bon de préciser certains éléments.

Bien qu’il se construise plus de 150 000 maisons individuelles chaque année, chiffre qui, il n’y a pas si longtemps, dépassait les 200 000, il est aisé de comprendre que quelqu’un qui dans sa vie n’en a jamais fait construire ne sache pas trop comment fonctionne cette activité.

On a coutume de distinguer le « secteur diffus » et le « secteur groupé », ce dernier étant assimilé aux lotissements. Mais on attribue à ces catégories purement urbanistiques des chiffres qui ne les décrivent pas. Ce qu’on sait mesurer, c’est l’individuel « pur », défini par les permis de construire qui ne concernent qu’un seul logement, lequel dans une majorité de cas sera situé dans un lotissement, et l’individuel « groupé » qui rassemble tous les autres cas (permis de construire concernant plusieurs maisons, ou un mélange d’individuel et de collectif, ou un mélange d’individuel et de locaux d’activité). Et une maison construite au titre d’un permis « groupé » pourra fort bien être située hors d’un lotissement. Les chiffres actuels tournent autour de 120 000 purs et de 40 000 groupés par an.

Les maisons peuvent être construites par des bailleurs sociaux, par des promoteurs ou par les particuliers eux-mêmes. Ce sont les chiffres relatifs aux seuls promoteurs qui donnent naissance aux statistiques sur les « ventes de maisons individuelles ». Celles-ci ne tournent actuellement qu’autour de 10 000 unités par an.

Les particuliers faisant construire une maison, que ce soit pour l’occuper ou non, ont trois solutions. Ils peuvent s’en occuper eux-mêmes ; généralement, c’est le cas de personnes travaillant dans la profession. On va considérer qu’il s’agit du bas de gamme, des budgets les plus réduits et des garanties de qualité les plus ténues. À l’opposé, ils peuvent faire appel à un architecte. Ce sera alors une maison personnalisée, chère voire très chère. Entre ces deux voies extrêmes, la majorité des particuliers va s’adresser à un « constructeur de maisons individuelles » travaillant selon la loi de 1990 sur le « contrat de construction de maison individuelle ». Il en existe une grande variété, de taille comme de gamme, de prix ou de réputation. Les coopératives d’artisans en constituent la crème ; seuls les meilleurs des professionnels y sont admis.

La profession de constructeur a récemment perdu une longue bataille d’influence contre les architectes, ceux-ci ayant finalement obtenu du gouvernement l’abaissement de 170 à 150 m2 du seuil de surface au-delà duquel le visa d’un architecte est obligatoire. Cette mesure, dénoncée comme un racket pur et simple par les constructeurs, n’aurait pour effet que d’augmenter le prix payé par le client. La profession d’architecte y aura gagné un peu d’argent, mais y aura perdu beaucoup d’image.

P. K.


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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.

Philippe Kaminski - Actualité de l'économie sociale



 

 

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