Trois figures marquantes en ce début d’année 2020

Trois figures marquantes en ce début d’année 2020
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Dominique Balmary et Marie-Thérèse Cheroutre, deux personnalités du monde de l’économie sociale en France, sont morts en ce début d’année. Appartenant au monde absolument inverse, Carlos Ghosn, lui, est bien vivant. Hommages… ou pas.

Actualité de l’économie sociale

Ces jours derniers, nous avons appris coup sur coup le décès de deux personnalités qui ont marqué de leur empreinte la vie et la structuration de l’Économie Sociale en France – en fait, de sa branche associative, qui a souvent manifesté des velléités de suivre son propre chemin. J’hésite à employer à leur propos le terme de « membres de la nomenklatura », mais cela leur convient assez bien.

Dominique Balmary nous a quittés à l’âge de 80 ans. Ne l’ayant pas connu personnellement, je n’ai guère d’éléments pour lire entre les lignes des nombreux éloges nécrologiques qui lui ont été consacrés. Je ne puis que laisser mon imagination suggérer un roman de sa vie, que ses proches ne reconnaîtront peut-être pas.

Essayons néanmoins. C’est au terme d’une carrière tout entière dans les ministères sociaux que ce haut fonctionnaire prit la présidence de l’UNIOPSS, une sorte de pantouflage philanthropique à rebours des mœurs actuelles. Affable, chaleureux, acharné au travail, catholique convaincu tout entier dévoué à son devoir d’État, il avait tout pour être estimé, mais rien pour être craint. Quel poids pouvait-il bien peser, une fois retiré des responsabilités administratives et placé en position d’interlocuteur d’un pouvoir qu’il avait toujours servi, pour défendre les prérogatives et la survie des organisations non lucratives de la santé et de l’action sociale ?

Il avait pour lui la compétence, la droiture, la conviction d’œuvrer pour le Bien commun. En face de lui, à Paris comme à Bruxelles, des intérêts mercantiles, dont les scrupules ne sont pas la qualité première, et qui savent s’acheter des mercenaires, même au cœur de la fonction publique. À votre avis, qui était le plus fort ?

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Marie-Thérèse Cheroutre nous a quittés pour sa part à 95 ans. Malgré notre différence d’âge, nous échangions beaucoup, et je l’appréciais énormément. Lorsque nous sommes devenus amis, elle avait déjà derrière elle une longue vie remplie d’honneurs et de distinctions. J’ai peu à peu découvert que c’était aussi une vie de luttes incessantes, de rivalités exacerbées, de dissidences assassines comme seules les vraies associations, celles qui associent des bénévoles et non celles qui associent des institutions, en traversent de façon récurrente.

Marie-Thérèse était la papesse du scoutisme féminin, devenue ensuite par nominations successives l’une des figures emblématiques des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire. Quand je regarde ses photos de jeunesse, je me dis que cette cheftaine ne devait pas être commode tous les jours. Les louvettes et autres jeannettes devaient parfois en baver. Mais je ne l’ai connue que bien après ; la cheftaine s’était muée en une grand’mère douce et débonnaire.

Je lui exprimais toute l’horreur que me procurait le mot de guidisme. Qu’il sonne mal ! Qu’il écorche l’oreille ! Le guesdisme, pensée de Jules Guesde, cela va encore ; la pensée gidienne, également, sans que l’on sache bien si c’est celle de l’oncle Charles ou du neveu André. Mais pas guidisme ! Marie-Thérèse me reprenait alors. Tu n’as qu’à dire « scoutisme au féminin », si tu préfères !

Ceci étant, que ce soit au Conseil économique et social ou au CNVA (Conseil national de la vie associative), les interventions de Marie-Thérèse étaient souvent cassantes et autoritaires. Un temps pour rire autour du feu de camp, un temps pour faire silence et aller se coucher. Chacun dans sa tente ! Elle avait suscité l’ire de certains parpaillots : ils sont comme ça, les césaro-papistes ! Du moment que c’est pour le petit Jésus, on ne compte plus l’argent ! Surtout s’il est public !

C’était une autre époque. Nous faisions découvrir à Marie-Thérèse l’existence des coopératives et des mutuelles. L’idée de rencontrer, au sein de cette Économie Sociale qui était pour elle une idée neuve et nimbée de mystère, des organisations cousines, de se frotter à elles, de prendre une part de leurs espoirs et de leurs difficultés, tout cela ne lui faisait pas peur. Elle qui en avait tant vu et tant éprouvé, accueillait ses nouveaux partenaires avec des yeux d’enfant émerveillé.

Adieu Marie-Thérèse. Tu fus pour moi une grand’mère délicieuse.

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Quittons maintenant l’Économie Sociale pour rentrer dans son inverse absolu et penchons-nous sur le destin de Carlos Ghosn. Cet homme sera immanquablement, le jour venu, le héros central de romans et de films. Sous quel jour voudra-t-on bien nous le présenter ?

Je ne me souviens pas d’avoir éprouvé pour lui, lorsqu’il était aux commandes de Renault, la plus petite des sympathies. Cependant un jour, j’entendis un conférencier revenant du Japon nous faire part de la « honte » qu’il y avait éprouvée, devant le sentiment d’humiliation des cadres de Nissan contraints de passer sous la tutelle d’un Européen. Notre homme, qui n’éprouvait sans doute qu’un vague sentiment de tristesse impuissante lorsqu’une entreprise française passait sous contrôle étranger, s’étranglait de remords anti-colonialiste face à la configuration inverse. Je lui en fis la remarque, assez vertement, le priant de ne pas confondre le Japon avec le Burkina Faso.

J’en ai gardé deux sentiments, d’abord une bouffée de fierté patriotique (ce Ghosn, il ne me plaît guère, mais quel joli coup tout de même !), ensuite la certitude que les Japonais n’oublieraient pas l’affront et prendraient un jour leur revanche.

Il y eut, plus tard, l’affaire de l’augmentation de ses revenus. Celle-ci fut refusée en assemblée générale, fait rarissime, pour être ensuite avalisée quand même par le conseil d’administration. Conseil dans lequel siégeaient des représentants de l’État actionnaire.

Alors, quand aujourd’hui ses anciens collaborateurs qui lui ciraient les pompes, chez Renault comme chez Nissan, viennent tous dénoncer ses frasques et sa cupidité, comment pourrais-je avoir la moindre estime pour eux ? Tous étaient complices ! Ghosn sans doute a été pris d’un délire néronien, il a perdu le sens de la mesure, mais quand on sait combien toute dépense d’un liard est contrôlée et sur-contrôlée dans une société cotée en Bourse, il n’a pas pu puiser tout seul dans la caisse. S’il est condamnable, il y a de pleines charrettes d’administrateurs et d’auditeurs qui le sont avec lui.

Les conditions de sa détention puis de sa rocambolesque évasion ont fait naître un certain mouvement de soutien et d’estime à son égard. Qu’avait-il besoin, à peine quelques jours plus tard, de gâcher ce tableau en réclamant déjà à Renault quelques paquets de dollars dont nul ne sait s’ils lui sont vraiment dus ? Personnalité complexe s’il en est, il faudra un Alexandre Dumas pour la dépeindre…

Philippe KAMINSKI

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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.

Philippe Kaminski - Actualité de l'économie sociale



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