De la durée croissante des spectacles

De la durée croissante des spectacles
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Critique dramatique et rédacteur en chef des Lettres Françaises, directeur de la publication et rédacteur en chef de Frictions, Jean-Pierre Han est une des plumes incontestées du monde théâtral, privilégiant une approche essentiellement politique. « VAGABONDAGE THÉÂTRAL » est sa chronique mensuelle pour les lecteurs de Profession Spectacle.

« VAGABONDAGE THÉÂTRAL »

Toutes choses finissant par s’équilibrer dans la nature, on remarquera que plus les séries de représentations d’un spectacle dans un même lieu s’amenuisent comme peau de chagrin, et cela même dans les plus grandes institutions, plus la durée des représentations augmente.

On ne reviendra pas sur le premier constat sauf à dire qu’il est réellement alarmant et que, dans peu de temps, si on continue sur cette pente, le théâtre public fonctionnera comme le théâtre privé et retirera les spectacles à l’affiche si ceux-ci ne remplissent pas rapidement les salles – et il y en a quand même un certain nombre à appartenir à cette triste catégorie –, mais attardons-nous un instant sur le deuxième aspect que je viens d’évoquer, celui de la durée des spectacles.

Je sais bien, et on n’a pas manqué d’y faire référence, que du temps des tragiques grecs au Ve siècle avant J.-C., les représentations duraient toute la journée, sauf que les spectacles donnés étaient en fait des tétralogies comportant trois tragédies et un drame satyrique, que l’on joue aujourd’hui de manière séparée. C’est remonter bien loin dans le temps !

Plus près de nous, on s’empressera de citer quelques chefs-d’œuvre comme Le Regard du sourd de Bob Wilson dont tout le monde pense qu’il se déroulait sur une durée très longue. Il ne faisait en fait « que » 4 heures, ce qui pour l’époque (1971) semblait sinon interminable du moins très long. Il est vrai que l’étirement du temps constitue l’une composantes essentielles du travail de Bob Wilson… Comme quoi tout est relatif.

On pourra toujours aussi parler du Soulier de satin de Paul Claudel, créé par Antoine Vitez toute une nuit durant dans la Cour d’honneur du Palais des papes d’Avignon… Mais ce sont là grandes et merveilleuses exceptions. Depuis, le Festival d’Avignon, puisque l’on parle de lui, s’échine à programmer des « nuits » entières, mais avec bien moins de réussite. Le public, qui est en partie composé de personnes en vacances, en demande et en redemande paraît-il ; il a besoin d’exploits sportifs et les applaudissements au petit matin concernent aussi bien les acteurs que les spectateurs.

Admettons, mais la longueur des spectacles appelle quand même quelques remarques, tout le monde ne s’appelant pas Bob Wilson ou Antoine Vitez ni les auteurs Paul Claudel. Alors, volonté de restituer l’intégralité des textes (parfois même avec ses didascalies et autres commentaires) ? Pas forcément, d’autant que nous vivons une époque où triturer les textes et les couper – ô paradoxe – est monnaie courante.

Est-ce une impossibilité majeure d’avoir une pensée (et un travail) synthétique sur un plateau ? Il y a sans doute de cela, lié à l’insupportable fatuité de montrer son savoir-faire ou ce qui en tient lieu. Étire-t-on le temps pour masquer son manque d’idées ? Les motifs pour « allonger la sauce », ne manquent pas. Ce qui n’est pas bien grave puisque ce sont les spectateurs (et particulièrement ceux qui font métier d’en rendre compte) qui en subissent les conséquences. On pourra aussi se consoler en disant que le temps passe très lentement, et pas seulement dans les spectacles longs. Mince consolation.

Jean-Pierre HAN

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Photographie de Une – Performance des artistes Eric Moschopedis et Mia Rushton qui transforment les parcs publics en chambres (crédits : The Theatre Centre de Toronto).



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