Villeneuve-sur-Lot : le licenciement soudain d’Emmanuelle Delbosq provoque la colère

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Directrice du théâtre Georges-Leygues depuis 2018, Emmanuelle Delbosq a brusquement été licenciée par arrêté municipal le 11 février, suscitant incompréhension et indignation. En cause ? Des raisons de licenciement confuses et une méthode jugée brutale. Explication.

La sous-préfecture de 22 000 habitants du Lot-et-Garonne, en Nouvelle-Aquitaine, abrite le théâtre Georges-Leygues de 700 places. Depuis 2018, Emmanuelle Delbosq est la directrice de ce lieu… jusqu’à son licenciement par un arrêté municipal, le 11 février dernier. Ce licenciement a suscité l’émoi et la désapprobation de plusieurs acteurs de la vie culturelle et politique, notamment de quatre anciens directeurs du théâtre ou encore du maire EELV de Pujols. Emmanuelle Delbosq et son avocat, Maître Franck Dupouy, pointent des incohérences dans le rapport de licenciement rédigé par le directeur des affaires culturelles de la mairie, Dominique Monnoyeur, ainsi que des propos diffamatoires. Retour sur la situation.

Profession Spectacle a pu s’entretenir avec Emmanuelle Delbosq et son avocat, et avec Joël Brouch, directeur de l’OARA (Office artistique de la région Nouvelle-Aquitaine) et ancien directeur du théâtre Georges-Leygues. Le maire, que nous avons contacté, a décliné notre invitation, ne « souhaitant pas s’étendre davantage sur le sujet, s’agissant d’une décision aux motifs purement administratifs » ; les employés du théâtre ont quant à eux avancé un devoir de réserve.

Les raisons floues d’un licenciement

Emmanuelle Delbosq arrive au début de l’année 2018 à Villeneuve-sur-Lot pour diriger la programmation artistique du festival Les tréteaux de la Bastide ; le succès de cette édition conduit la mairie à lui proposer un poste de direction. Emmanuelle Delbosq affirme que c’est un théâtre qui a les moyens de travailler grâce à une municipalité qui considère que la culture occupe une place importante au cœur de la cité et qui alloue un budget en conséquence.

Dans ce théâtre non-conventionné, elle crée des partenariats forts avec les artistes et les compagnies locales ; elle met en place des coproductions importantes, des temps de résidences, et travaille avec des auteurs contemporains tels que Pierre Notte, Fabrice Melquiot ou encore Olivier Py. « La fréquentation a explosé, résume Emmanuelle Delbosq. Les partenaires suivent le théâtre, grâce à un travail de mise en réseau, autant au niveau départemental que régional ou national. »

Mais en février dernier, un arrêté municipal la licencie brusquement, entraînant incompréhensions et colères de la part aussi bien des professionnels que de certains habitants : Manuel Galiana, enseignant et référent théâtre du collège Anatole-France de Villeneuve, crée aussitôt une pétition. Plusieurs lettres de soutien sont rendues publiques, soutenant le bilan d’Emmanuelle Delbosq, dont celle de Joël Brouch. Ce dernier est vent debout à la suite de ce licenciement : « Cest un scandale, la nouvelle municipalité sest laissée instrumentalisée par le directeur aux affaires culturelles », avance celui qui a par ailleurs signé le dernier édito de l’OARA.

La décision du maire est en effet liée à un rapport constitué par la direction aux affaires culturelles, rapport que nous n’avons malheureusement pas pu lire. Guillaume Lepers, maire LR de Villeneuve-sur-Lot, a réagi par un communiqué aux demandes d’explications concernant ce licenciement : « Il est cependant apparemment nécessaire de rappeler qu’un bon programmateur n’est pas automatiquement un bon directeur. Ma décision, que j’assume pleinement, est exclusivement fondée sur le constat de dysfonctionnements dans la gestion administrative et financière du théâtre. »

Un rapport controversé

Selon Joël Brouch, Emmanuelle Delbosq et Maître Dupouy, ce rapport ne fait état d’aucun dysfonctionnement financier ; les seuls dysfonctionnements administratifs sont des usages courants liés aux contraintes spécifiques de structures culturelles. « Je connais mon métier, déclare Emmanuelle Delbosq contre ceux qui essaieraient de la faire passer pour novice. Cela fait 20 ans que je suis dedans, ce nest pas quelque chose que je découvre ! »

Joël Brouch, qui a eu accès au rapport, est clair : « Ce licenciement ne repose sur rien. » Ce qui le conduit naturellement à s’interroger : « Quy a-t-il de si grave, qui justifierait un licenciement aussi rapide ? » Est-ce alors une éviction pour motif politique ou un différend interpersonnel ? Maître Dupouy penche pour la seconde hypothèse : les rapports humains entre Emmanuelle Delbosq et le directeur aux affaires culturels, Dominique Monnayeur — supérieur hiérarchique de la fonction de direction d’un théâtre municipal — se seraient dégradés au fil des mois.

Un flou entoure ainsi ce rapport de licenciement. D’un côté, Emmanuelle Delbosq dit avoir répondu à l’ensemble des griefs lors de l’entretien en vue du licenciement et affirme, avec le soutien de son avocat, que ce rapport ne contient aucun motif valable. D’un autre côté, le maire se contente d’une formule vague et lourde de sous-entendus dans son communiqué : « Par respect pour madame Delbosq, je n’ai pas souhaité m’étendre sur les détails de ces dysfonctionnements. »

Le dossier sera prochainement porté devant le tribunal administratif qui appréciera la légitimité ou non du licenciement. Maître Dupouy déplore ce « dialogue indirect par voie de presse » : « J’aurais souhaité discuter avec un avocat de la commune pour qu’on arrive à quelque chose de raisonné. »

Une décision unilatérale

Le poste de direction du théâtre Georges-Leygues a, dans le passé, déjà connu d’autres déboires : Emmanuelle Delbosq nous explique que son prédécesseur, Bruno Rapin, est parti après un burn-out ; Joël Brouch affirme par ailleurs qu’une ancienne directrice, Stéphanie Romero, a été poussée à la démission. Une pression de la part de la direction aux affaires culturelles est, selon eux, le dénominateur commun à ces difficultés.

Depuis le licenciement d’Emmanuelle Delbosq, le 11 février, une importante mobilisation a vu le jour, venant autant des abonnés du théâtre, que des compagnies, des politiques ou d’institutions et partenaires. Cette décision fait par ailleurs grand bruit dans la presse locale et le milieu artistique. Outre, comme nous venons de le voir, la forte incompréhension quant aux véritables raisons d’un tel licenciement, la méthode est également jugée brutale et soudaine.

Si l’on se réfère aux droits culturels, qui visent à faire mieux humanité ensemble, les différentes personnes associées à la vie d’un théâtre ne devraient-elles pas être consultées pour de telles décisions ? Si Emmanuelle Delbosq est soutenue, ne faut-il pas au moins écouter ces soutiens ? Un théâtre municipal doit-il être le reflet d’une équipe municipale ou de l’ensemble des habitants ? Une directrice peut-elle être remerciée — et même recrutée par ailleurs — sans qu’une consultation publique ait lieu ? Tels sont les questionnements d’une saine démocratie.

Au sein des petites et moyennes villes, la place du théâtre municipal – souvent la seule structure accueillant des spectacles – est un enjeu fort, afin qu’il ne soit pas le reflet d’une seule culture, ni d’une couleur politique, mais de l’ensemble des cultures des habitants et habitantes. L’avenir des théâtres municipaux passe par les droits fondamentaux à la liberté et à la dignité des personnes.

Vincent PAVAGEAU

Correspondant Nouvelle-Aquitaine

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Source photographique : OARA



 

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