16 février 1892 : Jules Massenet écrit son ode au champion des jérémiades

16 février 1892 : Jules Massenet écrit son ode au champion des jérémiades
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Instant classique – 16 février 1892… 126 ans jour pour jour. C’est à Vienne et en allemand qu’est créée, ce 16 février, l’adaptation par Jules Massenet du Werther de Johann Wolfgang von Goethe. Il a fallu pas moins de 3 librettistes pour en venir à bout, mais Massenet en avait eu l’idée bien des années auparavant et y tenait beaucoup, achevant la partition dès 1887. Hélas, le patron de l’Opéra-Comique à Paris, Léon Carvalho, trouve le sujet « fort triste » (tu m’étonnes !) et « sans intérêt ».

Il hésite beaucoup à le monter salle Favart. Celle-ci, peut-être parce qu’elle ne voulait pas elle non plus verser des torrents de larmes, se volatilise en fumée la même année au terme d’un incendie resté célèbre.

Musique irrésistible pour héros déprimant !

Jules Massenet ne sait plus trop que faire de son œuvre, mais quelques années plus tard, en raison du triomphe remporté par son autre grand chef-d’œuvre, Manon, le Hofoper de Vienne lui réclame un nouvel ouvrage. La création de Werther est un succès total.

Léon Carvalho, en homme d’affaires avisé, accepte finalement de le donner à Paris, un an plus tard, dans l’actuel théâtre de la Ville. Ce sera cette fois un échec ; l’œuvre ne s’imposera en France qu’une décennie après.

Triste, Werther ? Allons donc ! Déprimant, oui ! Chaque apparition du personnage en montre l’hyper sensibilité tour à tour extatique puis mortifère. Pour un peu on le secouerait, on le bafferait même. Mais voilà, Jules Massenet réussit là le tour de force de transformer un livret somme toute assez morne, bien que fort joliment écrit, en pur joyau musical qui tient en haleine de bout en bout.

Werther est insupportable et on n’a d’yeux que pour lui. Héros romantique par excellence, il surinterprète tout, dramatise tout, noircit tout… mais sur une musique irrésistible, qui transfigure le plaintif !

Jonas Kaufmann e(s)t Wether

Comme ces dernières années, Werther, c’est Jonas Kaufmann – qui en plus le chante dans un français impeccable -, voici la fin de l’acte II (il manque malheureusement les dernières mesures, qui, dans un paradoxe très intéressant, offrent un pendant joyeux à une situation très dramatique).

Cet extrait appartient à la désormais célèbre production réglée par Benoît Jacquot, avec la merveilleuse Sophie Koch en Charlotte et la très délicieuse Sophie d’Anne-Catherine Gillet. Pour avoir eu le privilège de voir cette production dirigée, par un Michel Plasson chancelant mais irrésistible il y a déjà 6 ans, je peux dire que c’était insurpassable (et d’ailleurs insurpassé).

Résumé

Quelle idée, aussi, de tomber amoureux d’une femme en tous points admirable ! Orpheline de mère, Charlotte élève ses frères et sœurs avec son père, le Bailli, et sa sœur Sophie dont elle est l’aînée. Une simple soirée et voilà le jeune favori du prince local, qui le destine à la diplomatie, dévoré par un feu intérieur qui le consumera. D’autant plus sûrement que la jeune femme se souvient subitement qu’elle doit épouser bientôt Albert, comme elle l’avait promis à sa mère défunte. Et là, on voit très distinctement le cœur de Werther éclater en mille morceaux.

Il décide de partir, plantant là la jeune Sophie qui commençait à regarder le mélancolique avec les yeux de Chimène, tandis qu’Albert comprend d’où vient le tourment de Werther, ce qui fait naître chez lui une jalousie discrète mais résolue. Charlotte, déchirée, demande à Werther de revenir pour Noël.

Plusieurs mois après, à la veille de cette fête sur laquelle aucun opéra à part celui-ci n’a jamais mis une musique si noire, Charlotte relit les lettres passionnées de Werther. L’une d’entre elles l’alarme : « Tu m’as dit : à Noël, et j’ai crié : jamais ! On va bientôt connaître qui de nous disait vrai ! Mais si je ne dois reparaître au jour fixé, devant toi, ne m’accuse pas, pleure-moi ! »

Mais soudain, le voici, plus tourmenté que jamais. Albert est absent. Le duo est passionné, avec en prime le célébrissime « pourquoi me réveiller », tube pour ténor malheureux. Charlotte résiste tant bien que mal – et plutôt mal ! – avant de s’enfermer pour ne pas céder. Werther est donc décidé à en finir : il fait demander à Albert ses pistolets car il souhaite « partir pour un long voyage ».

Albert, qui revient chez lui, trouve Charlotte très agitée et comprend que Werther est revenu. Froidement, il ordonne à Charlotte de donner elle-même les pistolets au domestique qui vient les chercher pour Werther. Ce dernier, seul dans sa chambre, se tire une balle dans le cœur… mais par un effet magique bien connu à l’opéra, elle doit riper un peu car il a le temps encore de chanter pendant un quart d’heure.

C’est que Charlotte, devinant ce qui allait se passer, est accourue dans la chambre. Elle avoue alors combien elle aime Werther, mais il est trop tard. L’opéra se termine dans un ostinato très sombre des cordes graves alors qu’au loin, sublime contraste, les enfants chantent « Noël ».

Cédric MANUEL



À chaque jour son instant classique : anecdotes, découvertes et… musique !
Rubrique : « Le saviez-vous ? »



Photographie de Une – Jonas Kaufmann et Sophie Koch dans Werther de Jules Massenet
(mise en scène Benoît Jacquot, direction musicale Michel Plasson)



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