En avant Ouah-Ouah ! Si la propagande m’était contée…

En avant Ouah-Ouah ! Si la propagande m’était contée…
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Auteur dramatique, metteur en scène, comédien, Pascal Adam a commencé sa carrière théâtrale avec Christian Schiaretti au CDN de Reims. En marge de ses activités trépidantes, il enseigne l’art dramatique, depuis 2012, dans un conservatoire à rayonnement régional. Avec un goût prononcé pour le paradoxe et la provocation ironique, il prend sa plume pour vous donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa nouvelle chronique, tendre et féroce, libre et caustique.

« Restez chez vous »

 

Je ne trouvais aucun sujet amusant de billet, j’avais la flemme d’écrire, quand tout à coup, hier, un courriel m’est arrivé par erreur – sans doute à cause, en son adresse, d’une lettre tapée pour une autre – sur une boîte professionnelle. Je vous en livre ici la quasi intégralité (les formules de fin, saluant conjoint et enfants ont été supprimées, ainsi que tout ce qui permet, je pense, d’identifier qui que ce soit).

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« Cher ami,

Cette époque de très haute culture est proprement ravissante. Bien sûr, tout n’est pas encore au point, mais il semble bien que tout avance de conserve vers des fins supérieures. Je m’en tiendrai pour l’heure aux actualités.

Un professeur de collège, qui craint sous doute d’être traité de réactionnaire, avait cru que faire lire à ses élèves de Cinquième Les Royaumes du Nord, d’un certain Pullman, serait les amener à la littérature – ce qui, en soi, est déjà amusant ; devant l’empressement de ses élèves à ne rien faire, malgré le sien à leur faire lire ce qu’il aime, excédé, il a imaginé de leur donner un devoir comprenant quelques lignes à lire, extraites de je ne sais quel Oui-Oui, et une dizaine de questions très évidentes, auxquelles il fallait répondre toujours « oui ». Même s’il n’a pas effectivement donné à ses ouailles ce devoir, il a bien travaillé. Il croit être ironique et, je l’ai dit, craint sans doute d’être traité de « réac ». Ôtons-lui l’ironie, le voici progressiste : d’ici peu, Oui-Oui sera trop difficile pour les Cinquièmes et l’on tiendra en réserve cette œuvre magistrale d’Enid Blyton pour aider les Premières L à décrocher leur baccalauréat, précieux sésame ouvrant droit au néant (eh oui, cher ami, pourquoi ne prétendrions-nous pas quelque jour avoir droit au néant ? Pour le coup, ce sera réaliste).

J’ai également suivi un peu l’activité de Mme Nyssen, notre ministre de la culture. Dieu, qui n’existe point, sait pourtant combien je me méfiais a priori de ce genre de personnalité : éditrice, probablement lettrée selon le standard de l’époque, issue, comme on dit désormais, de la société civile (mais que serait-elle d’autre ?), Mme Nyssen me semblait avoir un profil inquiétant et, pour tout dire, manquer du convenable cynisme qu’on est en droit d’attendre à ces postes subalternes et tout de représentation. Ses dernières déclarations m’ont semblé tout à fait rassurantes – aussi rassurantes que m’avait paru, voici dix ans, la disparition récurrente du vieux Corneille des milliers de spectacles de plusieurs festivals In et Off d’Avignon (car enfin, cher ami, rien ne dit mieux notre avancée que ce qui n’est plus là et dont les plus chafouins esprits n’ont plus même l’idée de parler) – or, disais-je donc, cette Mme Nyssen m’a tout à fait rassuré : sa vision de la culture est tout à fait la nôtre. La culture est là pour soigner, faire du bien, moraliser en somme, voire même, c’est amusant, amener aux plus démunis dignité.

L’arrivée dans le milieu culturel d’une nouvelle génération formée à l’inculture la mieux diplômée, jointe à une sévère restriction des crédits, a eu pour effet bénéfique d’augmenter considérablement le degré de servilité, qui déjà n’était pas faible, de nos artistes prétendus. Les places sont plus chères dans le marigot, on se marche dessus, on se piétine et broie en braillant « vivre-ensemble ! », « migrants ! », ou n’importe quel autre mot d’ordre de propagande qu’il nous plaît de donner. Et la ministre est acclamée par ces affidés-là, rebelles par convention, évacuables à n’importe quel moment, et stipendiés à coups de pieds dans le derrière !

Quoi qu’il faille évidemment rester vigilant au ventre de la bête immonde, et s’assurer de sa stérilité, la grotesque idée malrucienne de rendre accessible au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité semble enfin tout à fait terrassée, et ne plus devoir revenir. Les plus indépendants d’esprit parmi nos tartineurs raconteront leur vie, avec cet humour limité qui ne fera rire que ceux qui ont une vie à peu près similaire, et vanteront l’ouverture dans un glacial entre-soi ; les plus politisés de nos gens diversement engagés débiteront en dialogues convenus (dans une dramaturgie neuneue combinant au fragment de public qu’ils auront ciblé – prisons, quartiers dits populaires, camps de migrants, etc. – l’idéologie de la micro-communauté à laquelle ils adhèrent – véganisme, lutte contre l’islamophobie, dénonciation du libéralisme, etc.) le sommaire de n’importe quelle édition des Inrocks, de Libé ou de Télérama. Sans doute verra-t-on même quelques guignols conscientisés expliquer à des prisonniers en voie de radicalisation que toutes les cultures se valent, et que même, peut-être, l’apport de la leur viendra opportunément réparer les innombrables crimes de la nôtre. Quant au haut du panier, dans les institutions les plus prestigieuses, ils devraient continuer à claquer des millions pour expédier La Bohème de l’obsolète Puccini dans l’espace intergalactique !

Il semble bien que, partout dans l’espace public, la propagande désormais soit seule autorisée à parler, et qu’elle fasse son œuvre paradoxale de fragmentation de feu notre communauté nationale en une myriade sous-communautés de tailles diverses, aux substrats historiques plus ou moins fantaisistes, se combinant et s’excluant tour à tour, s’exprimant et se combattant dans une cacophonie des plus débilitantes – et servant donc notre projet ! ; lesquelles sous-communautés se diviseront encore en ce qu’il faut bien appeler en termes commerciaux, des niches ! Et en avant Ouah-Ouah !

Je suis trop long, pardon, cher ami. J’aurais voulu vous dire aussi, a contrario, tout le mal que j’ai pensé du film américain Les Heures sombres de Joe Wright, relatant ces journées de mai 1940 où l’ivrogne Churchill – interprété par un Gary Oldman méconnaissable –, refusa les arguments raisonnables de Lord Halifax préconisant, au nom de l’économie nationale, de signer une paix bienvenue avec l’Allemagne, et conséquemment engagea son pays à poursuivre une guerre monstrueuse qui devait faire des millions et des millions de morts. Je suis rassuré, cependant, par l’accueil critique qu’a reçu cette horreur hagiographique, et nous ne sommes pas pour rien, nous, Français modernes dilués dans le mondialisme, ce pâlichon pays, où, dans des styles différemment patachonesques, quatre présidents de la République consécutifs ont finalement convaincu tout le monde que la France, au fond, c’était bien davantage Vichy qu’une quelconque résistance. De sorte que le trop fameux We shall never surrender de la fin de ce navet ne doive plus nous paraître que ce qu’il est : un monstrueux anachronisme. »

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J’ai toutefois répondu par retour à mon involontaire, mais honorable correspondant pour lui signaler son erreur ; et l’ai au passage assuré être très touché de l’implicite soutien qu’il manifestait à mes productions personnelles.

Restez chez vous.

Pascal ADAM

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