Inefficacité du soutien de l’État aux initiatives locales

Inefficacité du soutien de l’État aux initiatives locales
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Si l’on parvient à faire abstraction du langage quelque peu abscons et qui a parfois tendance à noyer un poisson qu’il paraît vain de rechercher, le rapport du Département d’Études de la Prospective et des Statistiques publié par le Ministère de la Culture et de la Communication, apporte quelques éclairages sur la manière dont le financement de la culture par les instances publiques françaises peut être évalué.

En trois volets, notre synthèse s’intéresse aujourd’hui au soutien de l’État concernant les initiatives régionales et locales.

Si, nous mettent en garde les auteurs du rapport, aucune méthode d’évaluation n’est incontestable, certaines semblent plus à même de cerner la réalité que d’autres. C’est ainsi qu’ils considèrent que Google Trends, en dépit des limites que son emploi comporte, peut apporter des éléments de réponse plus probants que d’autres méthodes traditionnelles, pour évaluer les « retombées économiques » qu’un festival ou un événement culturel engendrent dans la ville, la région et le pays qui l’organisent.

Festivals et événements : un rayonnement essentiellement local                                    

Google Trends est un outil qui utilise les traces laissées par les internautes lors de leurs recherches sur le web pour un événement donné. Or, ce qu’il laisse voir, est que les festivals et les événements culturels n’attirent que très peu de visiteurs étrangers, la plupart des gens qui s’y intéressent vivant dans les villes ou les régions limitrophes, et dans un périmètre assez restreint. Le rapport en conclut ainsi que les demandes de subventions nationales sont généralement injustifiées du fait qu’il s’agit essentiellement d’un transfert de dépenses d’une région à l’autre. Et que l’organisation de festivals, même de si grande notoriété que le Festival international de piano de la Roque-d’Anthéron ou le Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, n’ont pas eu « d’influence à court terme sur le revenu du pays d’accueil ».

Pour ce qui concerne les villes labellisées capitales européennes de la culture, un phénomène semblable est relevé. « Les capitales européennes semblent avoir attiré très peu de visiteurs internationaux, même dans le cas de villes proches d’une frontière (Mons, par exemple). […] D’un point de vue national, l’impact de dépenses à court terme de la labellisation sur le revenu du pays des cinq villes labellisées a donc été vraisemblablement nul ou très faible. »

En moyenne, il est ainsi relevé que les gens ne se déplacent pas de plus de 30 km pour se rendre dans une de ces villes, exception faite pour les Parisiens.


Lire la deuxième partie de notre synthèse
De la Corse à Nantes : des initiatives culturelles controversées


Ainsi, non seulement le gain économique est jugé presque nul pour un État, dont une des villes obtient le label de capitale européenne de la culture, mais de plus cette labellisation contrevient, de manière immédiate, au bien-être de la population locale.

Si, comme l’a montré l’étude publiée par Marie Moulin, cette labellisation améliore à long terme l’image de la ville et favorise les investissements, Thibault Brodaty, de l’Université Paris-Est Créteil, relève, en s’appuyant sur l’étude European Capitals of Culture and Life Satisfaction de Lasse Steiner, Bruno Frey et Simone Hotz que « l’impact des capitales européennes de la culture sur le bien-être des habitants […] décroît pendant l’événement avant de retrouver son niveau initial une fois la manifestation terminée. » Le gain est, par conséquent, négatif à court terme, mais peut être positif à long terme.

Surestimation de la croissance économique liée aux événements majeurs

La croissance économique pour le pays organisateur n’est-elle cependant pas attestée par diverses études ? Plusieurs rapports ont démontré que les études réalisées avant la tenue de ces événements surestiment largement la croissance économique qu’ils sont supposés entraîner, car elles ne prennent pas en compte le fait qu’en leur absence, une autre forme de tourisme aurait eu lieu.

C’est de cette manière qu’en étudiant l’effet de la grève des intermittents du spectacle en 2003, ayant entraîné l’annulation des festivals d’Avignon et d’Aix-en-Provence, les études prouvent que les villes concernées n’ont pas perdu de touristes ; la région du Vaucluse en a même tiré profit, ceux-ci s’étant disséminés dans le département. En outre, l’étude prouve que des touristes qui ne seraient pas venus en Avignon pendant le Festival y ont alors pris leurs quartiers d’été. Néanmoins, il faut noter que le festival « off » avait été maintenu et que « les pouvoirs publics locaux avaient alors fait des efforts de promotion importants pour remplacer les touristes ayant annulé leur séjour ».

« Dans la mesure où les nuitées françaises n’ont pas été affectées, on peut dire que l’annulation du Festival d’Avignon a eu un effet positif sur les nuitées du reste du département du Vaucluse. Concernant Aix-en-Provence, aucun effet n’est détecté, ce qui signifie à nouveau que le territoire a réussi à remplacer les touristes ayant annulé leur séjour. »

Le rapport insiste toutefois sur le fait qu’il s’agit d’annulations exceptionnelles et que si les festivals étaient voués à disparaître, cela aurait probablement un effet sur la fréquentation touristique à long terme, en raison de la notoriété que les festivals donnent à ces cités.

Bilan controversé de l’État

En conclusion de cette première partie, nous comprenons que l’action de l’État en matière de politique culturelle est efficace lorsqu’il s’agit d’un soutien national, comme celui apporté par l’État français aux livres et aux biens et services culturels, ainsi qu’aux livres numériques, dont le taux de TVA reste réduit, en dépit des protestations de la Commission européenne, ce qui fait qu’il se vend beaucoup plus de livres en France que dans d’autres États européens.

Mais l’action de l’État se montre inefficace quand il s’agit de soutenir des initiatives régionales ou locales. Enfin, il apparaît que l’on surestime largement « les retombées économiques » espérées par l’organisation de grands événements culturels. Il ne faut toutefois pas jeter le bébé avec l’eau du bain : la tenue de ces grandes manifestations culturelles sert les intérêts d’un pays, en lui offrant un rayonnement international.

Matthieu de GUILLEBON

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N.D.L.R. Profession Spectacle publie ici une synthèse en trois parties d’un rapport officiel qui porte sur l’évaluation des politiques publiques, non de la culture (comme le titre le suppose), mais du secteur culturel. L’approche est donc essentiellement économique et ne couvre pas les différents enjeux liés à la culture.

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