Les techniciens du spectacle vivant, ces fascinants hommes de l’ombre

Les techniciens du spectacle vivant, ces fascinants hommes de l’ombre
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Pendant près de vingt ans, la photographe belge Claire Allard a suivi les techniciens du spectacle vivant, cherchant à capter leurs gestes, à saisir ces instants de l’ombre qui permettent aux artistes de se produire en pleine lumière. Son travail, présenté en 2016 à Visa pour l’image à Perpignan, a été l’occasion de braquer brièvement notre projecteur sur eux, si peu connus, si peu reconnus. Le livre a désormais paru. Rencontre avec une contemplative de ces travailleurs manuels.

Mise à jour de l’article le 3 mars 2019

Si Claire Allard avait eu son appareil sur elle, la rencontre n’aurait sans doute pas eu lieu… Sur la place de l’Yser à Liège, un chantier est en cours : des hommes au regard rivé sur leur tâche, l’appel de l’image : « Ce que je photographie ce sont les hommes au travail, comme là, sur la place, derrière nous ; ça bouillonne en moi, c’est viscéral, j’ai envie d’y aller… »

Pendant vingt ans, elle suit les techniciens du spectacle vivant sur des chantiers aux quatre coins de l’Europe ; elle assiste aux bouleversements du numérique et de la professionnalisation du secteur, pour se faire le témoin de ces hommes de l’ombre. Titre de son reportage, exposé à Visa pour l’image à Perpignan en 2016, Les hommes de l’ombre devrait également être celui d’un livre, qu’elle espère faire paraître prochainement.

De l’usine paternelle aux chantiers du spectacle vivant

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Claire Allard

Sa passion viscérale pour l’homme, « ce travailleur manuel », vient de loin. Dès ses premiers pas, elle erre entre les métiers à tisser de l’usine paternelle à Tournai. Pourquoi elle, une femme, ne photographie-t-elle que les hommes, passant sous silence la gent féminine, également très présente dans l’ombre ? C’est que odeurs, bruits, images de ces hommes au travail, sont comme un paradis perdu : « À Forest national, par exemple, quand j’arrive sur le chantier le matin, je prends une grande inspiration et ai aussitôt l’impression de retrouver des sensations enfouies de cette époque ».

À la mort de son père, elle quitte Tournai et commence l’archéologie à Louvain-la-Neuve. Ses amitiés la mènent dans le milieu du cinéma, avant qu’elle n’intègre l’École Supérieure des Arts de l’image à Bruxelles (« Le 75 »). Les photos de tournage lui offrent alors un premier gagne-pain.

1992, sortie d’école. Claire Allard rêve de marcher dans les pas de Riboud et Capa, d’« aller au front », comme elle dit. Une grossesse et sa rencontre avec la jeune société belge de techniciens Blue square orientent alors sa vie. C’est l’occasion d’étancher son désir de terrain, de témoigner de ce qui reste caché, dans l’ombre de l’anonymat ; elle suit l’équipe, chantier après chantier, à travers l’Europe.

20 ans d’enquête : le travail du temps, dans le temps

Le temps a, pour elle, toute sa valeur, comme déploiement d’une recherche artistique. La photo est avant tout un travail de la matière, au cours duquel composition, narrativité, noir et blanc, adviennent pour former un objet indivis, une image concrète. Le format carré, qu’elle a gardé de ses débuts avec son Rolleiflex, témoigne de cette dimension essentielle de la matière, exigée par la photo.

claire-allard-mouvementÀ partir de la représentation du mouvement, nourrie par sa pratique de la danse, elle explore progressivement la vitalité du travail des techniciens dans la lumière. Cette recherche se déploie presque exclusivement par le noir et blanc, avec l’exigence de rendre le caractère de la Tri X via le numérique. Le travail des techniciens apparaît dans un clair-obscur ; « la moindre petite loupiotte » révèle la profondeur de cette arrière-scène.

De Forest National (Bruxelles) au Zénith, en passant par Kölnarena et le Pavilhão Atlântico, Claire Allard construit une véritable monographie de cette communauté. Il a d’ailleurs fallu qu’elle s’y fasse accepter : « Ils sont toujours très méfiants au début. Mais quand ils voient que je ne suis pas dans leurs jambes, lorsque je leur explique ce que je fais, ils sont fiers ». Elle a appris à les connaître en vivant avec eux ; leurs codes et leur imaginaire collectif lui sont désormais familiers : « Les histoires qu’ils vivent deviennent, des mois plus tard, de véritables épopées. Je me surprends maintenant moi-même à fabuler avec eux ! »

1996-2016. Temps de changements sociologique et technologique. D’une ambiance sexe, drogue et rock’n’roll, sur le mode du compagnonnage, on passe non seulement à la haute technologie et à la nécessité de se former en école, mais encore à la féminisation du milieu : « Quand j’ai commencé, sur l’ensemble des équipes que je suivais, je connaissais une seule femme. Aujourd’hui, j’en connais une dizaine ».

Leur rendre hommage…

L’enjeu de son travail est de montrer à quel point les artistes dépendent des techniciens : « Ce sont eux qui gèrent tout. Nos ‘‘idoles’’ le savent bien. Je veux que le public aussi s’en rende compte ». À l’entendre, chaque chantier est en effet un miracle : « La salle est vide quand, soudain, tout est là, en attente du montage. Moment fébrile. Je stresse pour eux, je me dis qu’ils ne vont jamais y arriver ! L’instant d’après, on ne voit plus personne ; chacun est parti faire son boulot. Le plus étonnant, c’est cette impression que tout tourne au ralenti, à quelques heures du spectacle. Et puis tout s’accélère, ça bouge dans tous les sens et tout est prêt à l’heure ! »

Si d’autres projets sont également en cours de gestation, ils attendront que sortent ces Hommes de l’ombre. Car Claire Allard n’a pas le moindre doute : elle leur doit ce bouquin !

Pauline ANGOT


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Pimousse à Venise

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Un roadie accroche les attaches sur un pont pour les projecteurs.

Un roadie accroche les attaches sur un pont pour les projecteurs.

André

Forest National, Bruxelles, 20 décembre 2012, Spectacle Peter Pan

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Crédits de toutes les photographies : Claire Allard

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4 commentaires

  1. @Mascunan Adrienne – N’hésitez pas à lire l’article, parce que ce genre de commentaires, c’est vraiment risible ! Non seulement l’article a pour sujet principal une photographe et non directement les techniciens du spectacle (sur laquelle elle a fait un livre), mais ce journal, que je lis régulièrement et qui est souvent équilibré, a eu le mérite de faire un papier sur les techniciennes… Y’a même un lien dans l’article !
    Bref, vous êtes hors sujet. C’est dur de défendre le féminisme quand n’importe qui intervient n’importe comment, sans prendre la peine de respecter le travail que font les gens.

  2. Désolée mais il n’y a pas que des hommes , moi je suis technicienne du spectacle vivant depuis 14 ans et j’ai d’autres amies qui le sont aussi.

  3. Très bel article … très belles photos.

    Je participe également à tout ce monde en créant une plateforme pour nous agents du spectacle:

    Ca vient d’ouvrir (02/2019)

    Placeofshow.Com

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