Marie d’Algoult et Hortense Allart : le récit demi-mondain et pauvre d’une longue amitié

Marie d’Algoult et Hortense Allart : le récit demi-mondain et pauvre d’une longue amitié
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L’affiche promettait d’être alléchante : l’histoire d’une longue amitié entre deux femmes de lettres, Marie d’Agoult l’aristocrate et Hortense Allart la bourgeoise, la première à la plume fine et incisive, la seconde à la faconde brouillonne et sentimentale. Nous nous attendions à de vastes extraits de lettres et à de nobles considérations sur les arts, sur la vie politique, intellectuelle et littéraire de leurs temps.

Au lieu de quoi, nous assistons à un récit demi-mondain, pétri de répétitions et de considérations anachroniques, centré sur les amants, les rivalités mesquines et les enfants – légitimes ou non.

Un pari réussi : la vulgarisation d’une amitié

Écrivons-le d’emblée : il est plus question ici des opinions projetées de Charles Dupêchez que de la réalité d’une amitié qui, semble-t-il, comporte de nombreux blancs. Nous ne dénions pas à l’auteur la connaissance du sujet, puisqu’il est présenté comme « le » biographe de Marie d’Agoult, en charge de l’établissement de « la correspondance générale aux éditions Honoré Champion ».

Reste que le récit de cette amitié au long cours – près de quarante années tout de même – ne relève ni de l’ouvrage scientifique, ni du roman historique (comment dès lors comprendre le classement dans la collection « Histoire » de Flammarion ?). Il est probable que cette fantaisie vise à rendre accessible des protagonistes que l’histoire a fait passer, peut-être à tort, au second plan. Car si le nom de George Sand brille encore à l’aube du XXIe siècle, force est de constater que celui de George Sand – pseudonyme adopté par la comtesse d’Agoult – est aujourd’hui tombé dans l’oubli.

Une succession de jugements arbitraires et définitifs

Accessible, l’ouvrage l’est, indubitablement : sur ce point, le pari est réussi. Pour le reste, nous lisons une succession de lieux communs, de jugements lapidaires, de répétitions lourdes, de comparaisons douteuses et volontairement anachroniques, évoquant le couple Macron ou encore le débat sur l’avortement.

Qui espère lire un peu de la correspondance entre ces deux femmes, ce qui était mon cas, sera déçu de ne voir citer que des bribes, souvent peu intéressantes. L’amoureux littéraire sera peiné de voir réduit (par deux fois) Jules Barbey d’Aurevilly au simple statut de « misogyne ». Qu’il l’ait été ou non ne nous intéresse guère, ni même l’auteur ; ce dernier s’en sert, la seconde fois, pour disqualifier lapidairement et gratuitement tout jugement porté par ce grand écrivain – quoi qu’on pense de l’homme – sur l’œuvre de Hortense Allart.

Un cas d’école : l’épineuse question de la liberté

Jules Barbey d’Aurevilly n’est, dans le cas présent, qu’un exemple parmi tant d’autres des prises de position arbitraires de Charles Dupêchez. Il n’y a qu’à lire ses prises de position sur l’amour et le couple : la liberté est rapetissée à la simple révolte contre une société donnée. La psychologie moderne suffit à nous apprendre que tel caractère est naturellement enclin à se heurter frontalement aux autres quand tel autre préfère toujours l’harmonie avec sa société. Qui est le plus libre des deux ? Aucun, a priori. Les deux peuvent être engoncés dans un tempérament qui les précède.

La liberté est une quête qui exige une longue et lente exploration de l’intériorité, pour déceler nos mécanismes, acquérir une compréhension croissante de notre personnalité, afin que nos actes soient toujours mieux posés, en connaissance de cause. Qui peut dire que Marie d’Algoult et Hortense Allart ont réussi cette quête ? Peut-être que « le » biographe autorisé peut déceler certains signes, mais d’une part il ne peut conclure à cette liberté absolument, d’autre part les signes mentionnés dans cet ouvrage ne montrent à aucun moment que cette quête ait connu son aboutissement. Signe que le mystère des êtres échappe constamment à notre jugement définitif, qu’il y a une lisière au-delà de laquelle nous ne pouvons pénétrer, sauf à déformer le secret abyssal d’une existence singulière.

Un rapport affectif, plus que littéraire ou historique

Ces jugements répétitifs constellent le récit : la foi catholique est souvent réduite à la bigoterie (mot asséné à l’envi), les opinions politiques sont schématisées à la lumière des idées contemporaines de Charles Dupêchez, etc. Les contradictions des deux femmes, inhérentes à toute personne qui tente de vivre avec sérieux, sont balayées d’un revers de main : il y a les bonnes et les mauvaises pensées, attitudes, idées… Charles Dupêchez en est le juge suprême, ultime, puisque dernier chronologiquement.

Nous sentons davantage l’homme qui sert à réparer affectivement un oubli qu’il estime injuste (ce en quoi nous pourrions être d’accord), au risque de se montrer lui-même partial, qu’un serviteur de l’histoire, s’effaçant devant ces deux femmes – et une amitié d’une quarantaine d’années – qui ont vécu il y a près d’un siècle et demi.

Pierre GELIN-MONASTIER

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Charles DUPÊCHEZ, Hortense et Marie. Une si belle amitié (1838-1876), Flammarion, 2018, 311 p., 21,90 €

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