1917 : Sam Mendes se lance dans le film de guerre : magistral !

1917 : Sam Mendes se lance dans le film de guerre : magistral !
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En s’inspirant des récits que lui faisait son grand-père, Alfred H. Mendes – qui fut messager pendant la Première Guerre mondiale – et de ses recherches personnelles, Sam Mendes nous offre une vision à la fois intime et apocalyptique de la guerre des tranchées : quand l’horreur côtoie la poésie…

Tout commence de manière paisible et presque bucolique : deux camarades, deux soldats, Blake et William Schofield, apparaissent dans une belle campagne verdoyante. Un long travelling arrière les suit pendant qu’ils évoquent la faim qui les taraude et le moyen de trouver de quoi manger. Ce qui semble être un détail, est, on le sait depuis les romans relatant cette guerre, primordial. « Manger à sa faim est aussi utile qu’un bon abri ; c’est pourquoi la nourriture nous préoccupe tant ; effectivement, elle peut nous sauver la vie », écrivait par exemple à ce sujet Erich Maria Remarque dans À l’Ouest rien de nouveau. Dès les premières minutes, nous sommes donc placés au plus près des soldats.

Le film, construit en boucle, se terminera également dans une campagne semblant apaisée, près d’un arbre.

Mais entre ces deux séquences, deux heures de tension extrême vont se dérouler. Une mission est en effet confiée aux deux héros : ils doivent aller retrouver la division 2, des soldats britanniques qui, leurrés par ce qu’ils pensent être un repli de l’ennemi, vont attaquer au petit matin des Allemands. Il s’agit en fait d’un piège de ces derniers et près de 1600 soldats mourront, dont parmi eux le frère de Blake. Le temps presse, l’attaque projetée par les Britanniques doit intervenir au petit matin, il n’y a pas une minute à perdre.

La tragédie est lancée : une unité de temps, d’action, dans un même lieu – la Somme.

Un faux-plan séquence qui sert admirablement la tension tragique

Le scénario tient donc en quelques lignes et, ce qui pourrait n’être qu’un argument commercial, à savoir le fameux plan-séquence, va servir admirablement le film. Lorsque Sam Mendes décide en effet de réaliser ce projet, il est bien conscient qu’il lui faut « autre chose » qu’une bonne histoire. Les deux James Bond lui ont permis d’avoir à la fois des appuis financiers mais, surtout, une audace nouvelle. C’est alors un nouveau défi qu’il souhaite.

Épaulé par le fidèle Steven Spielberg, il décide alors de tourner 1917 en un plan-séquence. On pense bien entendu ici à La Corde, dans lequel Hitchcock joue lui aussi avec le montage, ou à Birdman, d’Alejandro González Iñárritu (2014). Toutefois, ici, rien ne sonne faux. Si l’on se prend à chercher les raccords au début du film, l’on est très rapidement emporté par la tension de la mission des deux jeunes soldats. Un subterfuge adroit permet un fondu au noir mais celui-ci n’apparaît nullement comme artificiel, bien au contraire.

Ce (faux) plan-séquence permet plutôt d’accentuer la tension liée à la mission : de ces deux soldats dépend la vie de 1 600 camarades. Or, ils sont seuls, doivent passer dans les lignes ennemies et ne connaissent pas les lieux. Ils traversent alors des champs de ruines, se retrouvent face à des cadavres – Schofield plonge par inadvertance la main dans la poitrine d’un corps en décomposition –, doivent éviter de tomber dans les cratères d’obus remplis d’eau putréfiée… La campagne bucolique du début a cédé la place à une véritable vision d’apocalypse.

Les deux personnages principaux sont incarnés par des acteurs peu, voire pas du tout connus, du grand public : Dean-Charles Chapman (Blake) a joué dans Game of Thrones et George MacKay (Schofield) dans Captain Fantastic. Au fil de leur avancée, ils vont en revanche croiser des « chefs », incarnés eux par des acteurs célèbres tels que Colin Firth, Mark Strong ou encore Benedict Cumberbatch ; ceux-ci, cantonnés dans des rôles de « gradés », ordonnent et conseillent, incarnant ainsi des repères fugaces pour le spectateur et le soldat livrés à eux-mêmes dans cet enfer.

Une humanité bouleversée

Le film permet aussi de montrer de quelle manière évolue l’humanité en pleine guerre. Si nos deux héros conservent ce que l’on peut qualifier de grandeur humaine – ils sauvent par exemple un Allemand – l’ennemi, lui, n’hésite en revanche pas à trahir, à couper la main qui lui est tendue.

Pour évoquer le monde qu’il avait créé dans La Peste – allégorie du nazisme –, Albert Camus disait : « La Peste est un monde sans femme, donc un monde irrespirable. » Sam Mendes pourrait utiliser la même formule pour son œuvre. En effet, là où certains films de guerre auraient mis en scène une fiancée désespérée ou une infirmière dévouée, 1917 ne tombe pas dans le cliché. Toutefois, une femme apparaît lors d’une séquence qui illustre ce que pourrait être un foyer si cette guerre ne faisait, n’avait pas fait rage. Schofield croise une jeune femme s’occupant d’un bébé, une petite fille ; au-delà de la langue qu’ils ne partagent pas – elle, Française, ne connaît que peu de mots anglais, tandis que le soldat s’efforce de traduire quelques mots en français – c’est un vrai partage, un vrai geste de solidarité (William lui cède tous ses vivres pour elle et le bébé), quelques minutes de grâce qui vont les unir. Moment trop court avant de repartir au combat. Quelques temps après ce doux instant, afin d’échapper à des tirs allemands, Schofield saute dans des rapides ; ceux-ci ne sont pas sans rappeler le Styx, le fleuve des Enfers, car en sortant de l’eau, le jeune soldat rencontre une division unie par une chanson évoquant le voyage vers la mort.

Le film se clôt sur William, qui se met à l’écart de ses camarades pour regarder ses photos de famille au dos desquelles il lit : « Reviens-nous. » L’apparence juvénile du soldat, opposée à ce qu’il vient de vivre, évoque encore une fois irrésistiblement des lignes d’E. Maria Remarque : « Nous sommes délaissés comme des enfants et expérimentés comme de vieilles gens ; nous sommes grossiers, tristes et superficiels : je crois que nous sommes perdus. »

Une génération perdue, sacrifiée, à laquelle Sam Mendes rend un merveilleux et vibrant hommage…

Virginie LUPO

 



Sam Mendes, 1917, Grande-Bretagne, 2018, 119min

Sortie : 15 janvier 2020

Genre : film de guerre

Classification : tous publics avec avertissements

Avec George MacKay, Dean-Charles Chapman, Andrew Scott, Richard Madden, Benedict Cumberbatch, Mark Strong, Colin Firth, Daniel Mays, Adrian Scarborough, John Hollingworth

Scénario : Sam Mendes, Krysty Wilson-Cairns

Musique : Thomas Newman

Image : Roger Deakins

Distribution : Universal Picture International France

En savoir plus sur le film avec CCSF : 1917

 



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