Les bons mots du Doc Kasimir Bisou – 6) De la « culture » à l’art de « faire humanité ensemble »

Les bons mots du Doc Kasimir Bisou – 6) De la « culture » à l’art de « faire humanité ensemble »
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Toutes les semaines, cette chronique proposera un instantané recto-verso d’un « bon mot » de la politique culturelle. Le recto donnera le sens du mot aujourd’hui, dans la routine des discours des acteurs du champ culturel. Le verso mettra en lumière ce qui fait sens pour une politique culturelle soucieuse de respecter les droits culturels des personnes.

Les bon mots du Doc Kasimir Bisou

Lire l’intégralité de l’introduction aux bons mots.


Sixième mot des évidences : « CULTURE ».

Le mot est partout mais son sens comme sa valeur sont nimbés de mystère. Certes, chacun a sa conception de ce qui fait « culture ». C’est une bannière de sens accrochée, plus ou moins solidement, au royaume des arts pour les uns, à la dynamique d’un peuple ou à la vitalité d’un secteur économique pour les autres. Nos conversations en Nouvelle-Aquitaine ont montré que toutes ces conceptions coexistent sans que nul ne tente d’expliciter la définition de ce qu’il entend précisément par « culture ». Ce silence sur la définition a au moins l’avantage de permettre à chacun de faire l’usage qu’il veut du mot « culture », sans aucun risque d’être rejeté ! Usage gratuit du mot, sans aucune exigence de sens, qui, finalement, signifie que l’enjeu culturel n’a plus vraiment d’assises publiques.

La discussion critique a ainsi pointé que ce flou servait surtout des intérêts à court terme : les uns obtenant des moyens pour la « haute culture », les autres pour défendre l’industrie culturelle, d’autres encore pour promouvoir la diversité culturelle ou l’attractivité culturelle du territoire. Sans compter les militants de la « culture scientifique » ou des « cultures populaires » qui tentent de trouver leur place dans les politiques culturelles.

De quoi méditer sur le décret créant le ministère de la culture en France : en première ligne, il doit se consacrer aux « œuvres capitales de l’humanité » mais, quatre lignes plus loin, il développe les « industries culturelles » ! Et nul ne s’interroge sur le sens perdu de « culture » de la première à la quatrième ligne !

Sauf qu’à l’arrivée, ces arrangements avec le sens du mot deviennent non-sens : à force d’accepter que « culture » serve à tous les calculs, la politique culturelle n’a plus qu’une unité de façade.

Avec la référence aux droits culturels, le silence n’est plus de mise ; bien au contraire, puisque c’est la définition même de la « culture » qui donne sa valeur universelle à la responsabilité publique en matière culturelle. Le choix du sens est fait ; il ne permet pas de tricher puisque est « culture » ce qui exprime l’humanité de la personne.  Comme l’indique l’Observation générale 21 : « La notion de culture ne doit pas être considérée comme une série de manifestations isolées ou de compartiments hermétiques, mais comme un processus interactif par lequel les personnes et les communautés, tout en préservant leurs spécificités individuelles et leurs différences, expriment la culture de l’humanité. »

Chacun est, a priori, doté de la liberté de rêver et imaginer, de croire ou ne pas croire, de donner sens et valeur à sa vie quotidienne, d’exprimer son humanité à sa façon, sans être mis en indignité par les autres. En ce sens, chacun a « sa » culture. Chacun est un acteur culturel et doit pouvoir, ainsi, participer librement à la vie culturelle, ou mieux prendre sa part à la vie culturelle. Ce n’est là que l’expression de l’engagement français à respecter l’article 27 de la DUDH et l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels (PIDESC).

Chaque être libre et digne étant porteur de sa culture, le genre humain se vit dans la multitude des relations entre toutes les libertés culturelles des personnes. C’est le grand acquis de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle (DUDC, Unesco, 2001) d’avoir pris cette question à bras-le-corps, en énonçant que le patrimoine de notre humanité commune est constitué de la diversité de ces cultures. Défendre cette diversité culturelle devient « un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine ».

Manifestement, la France a dû approuver solennellement cette Déclaration sans la lire, ou du moins sans la transmettre au ministère de la culture. Le pays des droits de l’Homme a beaucoup parlé mais a vite enfoui ses engagements dans la poubelle de l’histoire !

Avec l’éthique des droits culturels, chacun apporte sa culture aux autres comme une expression de son humanité. Conséquence d’actualité : en acceptant la « diversité culturelle », il faut renoncer à qualifier certains territoires de « déserts culturels ». Les personnes qui vivent sur ces territoires sont des « êtres d’humanité » dont on ne peut se permettre d’écraser, en droit comme en fait, leur culture propre avec autant de mépris.

En second lieu, évitons les naïvetés de salon qui font peur sur les risques d’accepter toutes les cultures ! Avec la diversité culturelle, tout n’est pas bon à prendre car la « culture » de la personne n’est reconnue comme telle que si elle exprime son humanité aux autres ; « culture » n’est plus un catalogue de bons objets, ni un complexe de pratiques spécifiques à un groupe ; « culture » est cet ensemble de relations entre les libertés des personnes qui concourent à faire humanité ensemble, c’est-à-dire à reconnaître la part d’humanité des autres.

Avec la valeur universelle des droits de l’Homme, une seule définition du mot « culture » devient recevable : celle initiée par la Déclaration de Fribourg sur le diversité culturelle (2007), puis finalisée par le Comité de suivi du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Elle ressemble à la définition de la culture par les anthropologues, mais ce serait une erreur de les confondre car, ici, pour être culture, il faut ouvrir la porte de l’humanité. Pour le Comité : « La culture comprend notamment le mode de vie, la langue, la littérature orale et écrite, la musique et la chanson, la communication non verbale, la religion ou les croyances, les rites et cérémonies, les sports et les jeux, les méthodes de production ou la technologie, l’environnement naturel et humain, l’alimentation, l’habillement et l’habitation, ainsi que les arts, les coutumes et les traditions, par lesquels des individus, des groupes d’individus et des communautés expriment leur humanité et le sens qu’ils donnent à leur existence, et construisent leur vision du monde représentant leurs rapports avec les forces extérieures qui influent sur leur vie. »

En ce sens, pour éviter tout erreur de compréhension : les droits culturels de la personne doivent être compris comme des devoirs culturels d’être attentifs à la dignité et à la liberté culturelle des autres, pour faire humanité ensemble. Voilà retrouvée la belle responsabilité de la politique culturelle : faire en sorte que les libertés culturelles parviennent à se concilier entre elles en veillant à « vouloir-vivre-ensemble« , pour reprendre cette expression familière à Paul Ricœur. Il faut bien une politique culturelle publique très déterminée pour que les confrontations des libertés culturelles des personnes puissent déboucher sur des relations bénéfiques entre les cultures.

L’approche par les droits culturels est ainsi fort exigeante : elle ne reconnaît pas l’individu qui manifeste sa différence culturelle dans la haine, la violence, la domination arbitraire sur les autres, le refus de la liberté des autres. L’expression souvent utilisée par l’Observation générale 21 est celle de « cultures néfastes » pour désigner les cultures qui refusent de respecter l’autre dans ses droits humains fondamentaux : « Dans certaines circonstances, en particulier dans le cas de pratiques néfastes − liées notamment à des coutumes et traditions − qui portent atteinte à d’autres droits de l’homme, il peut être nécessaire d’imposer des limitations au droit de chacun de participer à la vie culturelle. »

Ainsi, quand la politique traditionnelle ne sait plus à quelle culture se fier, les droits culturels appellent « culture » l’art de chaque liberté à faire humanité avec elle-même et les autres !

Doc Kasimir BISOU

Retrouvez les volets de la série :

Les bons mots des droits culturels – Introduction

1) Des « publics » à « la personne »

2) D’une « offre culturelle » aux « ressources » pour faire relation

3) Des « besoins culturels » au développement des « libertés » et « capacités »

– 4) De la « création » à la « liberté d’expression artistique » et la « discussion sur les valeurs publiques »

– 5) De la « démocratisation de LA culture » au « débat entre cultures »

– 6) De la « culture » à l’art de « faire humanité ensemble »

À paraître

– 7) De la « médiation culturelle » au « service de la relation »

– 8) De la « transversalité » à la « globalité »

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