La Princesse Maleine : la rencontre avortée entre Pascal Kirsch et Maurice Maeterlick

La Princesse Maleine : la rencontre avortée entre Pascal Kirsch et Maurice Maeterlick
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Dès la première scène et l’entrée d’un chantre grand-guignolesque, nous savons que nous allons assister à un échec magistral. Pourquoi magistral ? Parce que les choix scéniques et la portée du jeu sont admirablement travaillés… en vain. La lecture que Pascal Kirsch fait du drame écrit par Maurice Maeterlinck cherchait à unir le tragique et le grotesque en une même geste effroyable ; il ne reste à la fin qu’un rire fatigué devant une adaptation qui, faute de respecter le maître belge, s’effondre d’elle-même.

Il faut avoir lu le prologue de cet immense génie qu’est Maurice Maeterlinck pour saisir combien ses textes sont difficiles à mettre en scène. Nâzim Boudjenah était parvenu, avec finesse, à traduire scéniquement sa pièce pour marionnettes, Intérieur, au Studio de la Comédie-Française. Il en avait compris le silence, l’intériorité ascétique qui, contrairement à ce qu’en dit Pascal Kirsch, n’est pas négative – comme l’érosion d’un mythe devenu conte.

Un grotesque inopérant

Si Pascal Kirsch a fait le choix étonnant, et pertinent, d’introduire La Princesse Maleine par un texte magnifique de Hadewijch d’Anvers – dont l’intégralité des Chants sera bientôt publiée, en 2018, par Albin Michel, dans une traduction de Daniel Cunin –, la parole de la mystique flamande tombe à plat sitôt l’entrée en scène d’un chantre grotesque, qui massacre une à une les sentences poétiques de la destinée. Faut-il considérer comme grotesque l’apparition de cette comète qui, soudain, semble « verser du sang sur le château » ? Et le narrateur de poursuivre : « On dit que ces étoiles à longue chevelure annoncent la mort des princesses ». Grotesque, vraiment ?

Ce n’est pas que les comédiens soient mauvais. Au contraire, certains parviennent à tirer leur épingle du personnage initial : Victoire du Bois est une crédible princesse, tandis que Vincent Guédon est capable de moments d’une belle intensité dès lors que son personnage royal frise la folie. Reste la délicate direction dans laquelle Pascal Kirsch leur a demandé de jouer. Pourquoi une telle prédilection pour la parodie dramatique, pour la singerie des émotions, pour le simulacre métaphysique ? Les voix s’éternisent, languissantes, traînantes comme des interminables plaintes, bien loin de la sobriété verticale, presque froide, du texte originel.

Lorsque Pascal Kirsch écrit que cette première pièce de Maeterlinck est une « pièce à part, plus chaotique, plus foisonnante que les suivantes », je peux le rejoindre en partie, du moins sur la qualificatif « chaotique » – car il faudrait alors m’expliquer ce que l’accentuation du silence, poussée jusqu’au vertige dans ses œuvres ultérieures, a de moins foisonnant.

Une mise en scène déconnectée du texte

Le metteur en scène écrit ensuite, dans sa note d’intention :

« Ici, l’effroi devient grotesque. Une dimension souvent omise de l’œuvre de Maeterlinck. Tout symbolique, métaphysique ou poétique qu’il soit, il y a toujours chez lui un rire grinçant produit par les situations (douze aveugles attendent le retour de leur guide qui, ils ne peuvent pas le voir, est mort parmi eux) ou par les comportements (des amants lunatiques, des fous, des vieux rois veules et séniles au royaume de ses pièces). »

Outre que le grotesque ne saurait être assimilé aussi directement à un rire grinçant, sa mise en scène montre que sa lecture – intrigante sur le papier – ne fonctionne pas « concrètement ». Il n’y a bien sûr pas « UNE » lecture de Maeterlinck. Tout amateur du dramaturge est d’abord interpellé par ce regard susceptible de renouveler sa propre manière de voir, avant de mesurer combien le travail mené frappe à côté de la langue du dramaturge belge. C’est comme si nous assistions à une dichotomie forcée entre une mise en scène, un jeu d’acteurs, et un texte. Deux chemins parallèles, qui ne se croiseraient jamais, malgré d’innombrables efforts. Une rencontre avortée.

Tout n’est évidemment pas pertinent dans la mise en scène, comme ces écrans qui projettent un univers que le texte « dit » : une mariée sous son voile fait écho aux fiançailles mystiques énoncées par Hadewijch d’Anvers ; le feu apparaît tandis qu’il est question de colère et de destruction ; alors qu’un personnage évoque le fait qu’il ne reste que les arbres, hop !, des arbres apparaissent ; la Princesse Maleine est enfermée dans sa chambre ? Allons-y, projetons des barreaux, pour en faire une prison ! Il n’est presque jamais d’images qui ne soient un langage à part entière, qui ne jouent le rôle de doublon.

Sobriété déchirante

La sobriété de Maeterlinck a quelque chose de démesurément froid, comme ces blocs de glace placés sur la table, pour être aussitôt balayés d’un revers de main. Une idée intéressante, mais… au service de quoi ? Nous l’ignorons.

La sobriété textuelle exige un dépouillement dramatique pour que jaillissent le symbole, l’abîme métaphysique, l’intériorité déchirante. Le cloître des Célestins s’y prêtait admirablement. S’il faut passer par le grotesque pour frôler de l’âme ces térébrants mystères, alors soit ! Mais ce n’est pas la proposition artistique de Pascal Kirsch qui nous en convaincra. Nous en arrivons presque à être surpris que le metteur en scène ne s’en rende pas compte lui-même…

Pour conclure avec une des dernières répliques de la pièce : « Encore une nuit pareille et nous serons tout blancs. »

Pierre GELIN-MONASTIER

La Princesse Maleine de Maurice Maeterlinck, est publié aux éditions Espace Nord.



DISTRIBUTION

Texte : Maurice Maertelinck

Mise en scène : Pascal Kirsch

Avec Bénédicte Cerutti, Arnaud Chéron, Cécile Coustillac, Mattias de Gail, Victoire Du Bois, Vincent Guédon, Loïc Le Roux, François Tizon, Florence Valéro, Charles-Henri Wolff

Scénographie et costumes : Marguerite Bordat et Anaïs Heureaux

Lumière : Marie-Christine Soma

Son : Pierre-Damien Crosson

Vidéo : Sophie Laloy

Crédits photographiques : Christophe Raynaud de Lage

Informations pratiques
Public : à partir de 14 ans
Durée : 2h25
Facebook : Compagnie Rosebud
Diffusion : Marie Nicolini au 06 15 94 52 55 et marienicolini.pro -@- gmail.com



OÙ VOIR LE SPECTACLE ?

Tournée

  • Octobre 2018 : MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis
  • 13 novembre 2018 : Le Parvis, Scène nationale Tarbes Pyrénées, Ibos
  • 26-27 novembre 2018 : L’Équinoxe Scène nationale de Châteauroux
  • 11-12 décembre 2018 : La Passerelle Scène nationale de Saint-Brieuc
  • Automne 2018 : MC2:Grenoble



 

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