Groupement d’employeurs et coopérative d’activité et d’emploi : deux modèles alternatifs d’avenir pour le secteur culturel

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La mutualisation investit de plus en plus le champ culturel, modifiant radicalement le rapport au travail et à l’emploi : le groupement d’employeurs et la coopérative d’activité et d’emploi en sont deux exemples, le premier mutualisant l’emploi, la seconde l’entreprise. Un phénomène en pleine expansion, surtout depuis l’irruption de la pandémie.

L’emploi dans le secteur culturel est souvent réduit au salariat, à l’intermittence et à l’auto-entreprise. « Or il existe d’autres modèles structurels, qui pourraient tout à fait correspondre aux besoins du secteurs culturel », pointe Luc de Larminat, co-directeur d’Opale, à l’occasion d’une table ronde participative organisée par l’association Opale dans le cadre du forum Entreprendre dans la culture.

La crise sanitaire et les restrictions politiques décidées par le gouvernement ayant totalement bouleversé l’organisation du travail, beaucoup de personnes, notamment dans le secteur culturel, s’interrogent sur la structure de l’emploi.

Deux modèles possibles ont été présentés dans le cadre de cette table ronde participative : le groupement d’employeurs (GE) et la coopérative d’activité et d’emploi (CAE).

Groupement d’employeurs : une mutualisation de l’emploi

Les groupements d’employeurs naissent dans les années 1980 à l’initiative du secteur agricole. Au début des années 2000, le milieu culturel commence à s’intéresser à ce modèle de mutualisation des moyens et des compétences si bien qu’une vingtaine d’années plus tard, on en compte une quarantaine en France. Un petit engouement qu’Élise Jamet, cofondatrice et directrice salariée de SECRATEB, groupement d’employeurs au service des projets culturels normands, explique très simplement : « Le groupement d’employeurs est le seul moyen légal de mutualiser sur le long terme de l’emploi salarié. »

SECRATEB – basé à Caen – est né, selon Élise Jamet, d’un constat simple : faute de moyens, les compagnies et les collectifs n’embauchent qu’un seul salarié pour gérer la comptabilité, la communication, la diffusion, les budgets et l’entretien des locaux. Autant de métiers différents, qui épuisent souvent l’employé et le conduisent à changer très vite d’orientation.

L’enjeu du GE est ainsi de proposer à plusieurs structures des emplois mutualisés, en fonction de leurs besoins : production, communication, administration, ressources humaines, comptabilité, entretien et hygiène… Les adhérents signent une convention de mise à disposition de personnel, pour un volume horaire et une mission clairement définis, qui les conduisent à être coresponsables de l’emploi des salariés.

« Nous composons ainsi une équipe de salariés au plus près des besoins de chaque employeur, en payant chacun au prix de sa compétence et de sa formation, poursuit Élise Jamet. Pour les salariés, cela leur permet de bénéficier de CDI à temps plein, sans qu’ils aient à prendre en charge des tâches qui ne sont initialement pas de leur ressort. » Un système qui vise donc le sur-mesure tout en ayant le mérite d’être doublement vertueux puisqu’il reconnaît à la fois le métier de chaque salarié et les besoins en compétences des structures.

GE : une solution privilégiée dans la vie post-COVID

SECRATEB compte aujourd’hui une quinzaine de salariés pour quarante structures basées en Normandie. Mais les demandes sont en forte croissance depuis un an et demi. « Les groupements d’employeurs sont un peu victimes de leur succès dans la vie post-COVID, reconnaît Élise Jamet. Le nombre de sollicitations est hallucinant depuis quelques mois, comme si, tout à coup, on devenait la solution à tous les problèmes. » Entre septembre 2020 et mars 2021, elle a reçu plus de soixante-dix nouvelles demandes, de la France entière, alors qu’elle dit avoir mis six ans à réunir une quarantaine d’adhérents.

La demande est similaire du côté des salariés : SECRATEB en a recruté cinq cette année. Le GE apporte une protection sociale (service social mutualisé, couverture mutuelle, comité d’entreprise, congés payés, primes…) qu’une petite ou une moyenne structure seule ne peut généralement pas assumer à elle seule.

Plusieurs d’entre eux sont d’anciens « permittents » qui ont préféré quitter leur situation souvent mieux rémunérée, mais ne respectant pas toujours leurs compétences ni des emplois du temps raisonnables, afin de travailler en équipe sur des projets clairement définis, de proximité.

« Au sein du groupement d’entreprises, il y a une émulation collective, explique la cofondatrice du GE normand. On se retrouve avec des collègues qui ont des compétences similaires ou complémentaires aux siennes, de sorte qu’il est facile de s’entraider. »

GE : un tiers et un trait d’union

« Les groupements d’employeurs sont indéniablement une forme de solution pour le travail aujourd’hui dans le secteur culturel, insiste Élise Jamet, qui met en avant le rôle du GE comme tiers et trait d’union sur des temps de médiation. On accompagne aussi beaucoup sur des conflits qui pourraient naître directement sur la relation de travail entre un salarié et un adhérent, afin d’éviter les incompréhensions de part et d’autre. Le GE est un sas où l’on vient déposer les problèmes et l’on rééquilibre ce qui a besoin de l’être. »

D’autant que plusieurs participants de la table ronde pointent la souffrance des dirigeants aujourd’hui, surtout depuis le premier confinement qui a notamment fait voler en éclats les organisations de travail prédéfinies. « Il faut reconnaître la difficulté d’être employeur bénévole ou porteur de projets, explique la directrice de SECRATEB. Il y a la profonde solitude dans laquelle ils se retrouvent ou encore la maltraitance dont ils font parfois l’objet de la part de leurs équipes, jusqu’à retourner les rapports. Certains employeurs abusent, mais l’inverse est aussi vrai. »

En plus d’être naturellement un espace intermédiaire de discussions, le GE apporte son aide sur la posture à avoir, comme employeur et comme salarié, afin de bien définir les missions et ce qu’il est juste de demander ou non.

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La coopérative d’activité et d’emploi : une mutualisation de l’entreprise

Depuis quelques années, il y a une forte mutation du travail, de la relation au travail. « On observe par exemple une multiplication d’auto-entrepreneurs, y compris dans le champ de la culture, constate Luc de Larminat. Cela pose évidemment la question de leur protection sociale, quand l’artiste intermittent bénéficie au moins d’un régime. »

L’économie sociale est en mesure d’apporter une réponse à ce genre de situation, comme en témoignent les coopératives d’activité et d’emploi (CAE) qui se développent de plus en plus dans le secteur culturel depuis plusieurs années – phénomène accru, comme pour les groupements d’employeurs, avec la crise sanitaire.

« Les coopératives d’activité et d’emploi sont des entreprises qui accueillent des personnes indépendantes, autonomes dans le choix et le développement de leur activité, qui font le choix de mutualiser l’entreprise, explique Colin Lemaitre, entrepreneur salarié associé de la CAE Oxalis, qui compte quelque deux cent cinquante entrepreneurs et entrepreneuses salariés, avec un chiffre d’affaires de dix millions d’euros annuel. L’entreprise nous salarie dans le cadre de notre activité individuelle. » C’est en quelque sorte le pendant inversé du groupement d’employeurs.

« Ce sont des entreprises qui viennent titiller de manière très particulière, à la fois la relation au lien de subordination, parce que celui-ci est hors cadre dès lors que nous sommes associés au sein d’une même coopérative, et le lien au patrimoine du monde d’après, parce qu’on imagine souvent que l’entrepreneur a une relation patrimoniale avec son entreprise, détaille Colin Lemaitre. Dans la CAE, il y a une forme d’épanouissement et de questionnement permanent sur la relation au travail. »

La pertinence des CAE face à la crise actuelle

La première conséquence, très actuelle au regard des dix-huit derniers mois de crise, c’est que, en tant que salariés, « la plupart des entrepreneurs d’Oxalis n’ont pas été au fonds de solidarité mais ont bénéficié du chômage partiel ».

Une participante à la table ronde, membre d’une nouvelle CAE « art et culture » basée à Lyon, évoque aussi le précieux accompagnement mis en place par l’entreprise pour tous les entrepreneurs salariés associés se retrouvant en chômage partiel. « Le fonctionnement même de la CAE permet de briser un isolement qu’on ressent très souvent ailleurs », témoigne-t-elle.

Autre conséquence, non négligeable tant elle ouvre des opportunités : la possibilité de bénéficier des agréments de l’entreprise. Colin Lemaître a notamment profité de la pandémie pour mettre en place une formation, alors qu’il n’avait pas cette activité dans ses statuts : l’entreprise partagée, elle, est organisme de formation. « Le mois d’après, j’ai eu envie de faire de la recherche et développement : la coopérative a l’agrément crédit d’impôts recherche et développement, poursuit-il. Je n’ai pas eu besoin de monter une structure. »

Une expérience confirmée par une participante à la table ronde, membre de la CAE alsacienne Artenréel créée il y a dix-sept ans, qui dit avoir vu plusieurs employeurs associés, notamment des personnes qui étaient à l’origine intermittents, suivre une formation pour développer d’autres compétences, parfois très éloignées de leur champ d’activité originel. « Ils ont développé une autre branche de leur activité qu’ils n’auraient pas développé s’ils n’avaient pas été dans une coopérative d’activité et d’emploi », affirme-t-elle.

L’intérêt de la CAE dans le « monde d’après »

Mais quel est l’intérêt d’une CAE, qui a certes bien montré sa pertinence au cœur de la pandémie face aux restrictions politiques mises en place par le gouvernement, dans le fameux « monde d’après » ? Quelle est l’actualité de ce modèle coopératif et en quoi est-il approprié pour le futur ?

« Les CAE sont des endroits où l’on discute aujourd’hui le plus de la nature même du travail. Ce sont des lieux où je vois réellement mise en œuvre l’idée que le travail est avant tout au service de soi-même, de son épanouissement, de ses compétences, de sa créativité et de ses envies, répond Colin Lemaitre. De la pensée, on peut être immédiatement dans l’application, parfois très expérimentale, de nouvelles relations au travail possibles. »

Un enjeu de sens majeur aujourd’hui, que vient compléter un aspect plus pratique, mis en avant par la membre d’Artenréel. « Les CAE sont un endroit de résistance à l’auto-entrepreneuriat, défend-elle. Cela protège le travail ! C’est une résistance sociale face au morcellement et au travail à la carte » souvent synonyme de précarité. « C’est aussi une formidable possibilité de sortir de la solitude et de partager un corps de métier énorme », conclut une autre participante, enthousiaste.

Pierre GELIN-MONASTIER

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