“Je savais à peine le nom de ton pays”, de Jean-Claude Berutti

“Je savais à peine le nom de ton pays”, de Jean-Claude Berutti
Publicité

Le roman de Jean-Claude Berutti est un chemin où les mots nous prennent par la main pour nous emmener au loin. Un voyage sensible, humain. Avec de l’amour tout autour. Plus fort que la mort.

Arrêt Buffet

Je savais à peine le nom de ton pays est conçu comme une traversée. Un voyage qui peut paraître sans fin à travers l’immensité des espaces. Qu’ils soient intérieurs ou extérieurs. L’immensité de la vie en solitaire. L’immensité des Causses, de la mer et du Grand Nord. Des endroits qui semblent à mille lieues de nous-mêmes. Qui peuvent à tout moment nous engloutir ou nous submerger. Où nous sommes si proches de la disparition, grain de poussière. Mais aussi… Où nous sommes si proches de la renaissance. Car ces espaces aux allures d’infini sont des matrices.

Jean-Claude Berutti, Je savais à peine le nom de ton pays, Éditions le RéalgarLe roman de Jean-Claude Berutti nous conte une histoire d’amour entre deux femmes que tout sépare. L’une est une jeune femme à la vie un peu triste, terne. Qui rêvait de magie, la magie du cinéma et qui se retrouve projectionniste à l’ère du numérique. Plus aucun contact avec la pellicule, la peau du film… Il suffit d’appuyer sur un bouton. Sa vie amoureuse n’est guère satisfaisante. L’autre, c’est Naja. Une migrante sans papier qui lutte au quotidien pour sa survie. Qui enchaîne les boulots pénibles et harassants. Entre ces deux femmes va naître une histoire d’amour fulgurante. Qui va tout chambouler, qui va tout bousculer. Qui va rebattre les cartes de ces deux existences.

C’est aussi et surtout un roman sur la perte. La perte de soi quand l’autre disparaît. L’anéantissement. Le fait de se retrouver dans le néant. Frappée, assommée, K.O debout par l’injustice de la vie. Le soleil de l’amour s’efface derrière les voiles du deuil. Et pourtant l’amour est toujours là. Intense, immense, brûlant, dévorant. Mais qui ne sert plus à rien puisque l’autre s’est éteinte. Il est temps d’emprunter le chemin de l’acceptation. Un chemin long, lent, escarpé, toujours sur la crête. Entre les abysses et le précipice.

Il est aussi question d’une île. Entre le ciel et l’eau. Où elle tourne en rond. Au sens propre comme au sens figuré. Une île ou plutôt une « elle » qui serait le point de départ d’une descente aux enfers. Succession de paysages magnifiques et hostiles. Entre la nuit des Causses et la blancheur du Grand Nord. Le bruit perpétuel de l’océan et le silence éternel de la banquise. Une descente aux enfers à la recherche de l’être aimé. De sa vérité. De leurs vérités.

De notre vérité.

Arrêtons-nous un instant pour rendre visite au personnage de la grand-mère dans sa ferme perdue dans les Causses. Un personnage que Jean-Claude Berutti décrit avec beaucoup de tendresse. Une personnalité lumineuse qui permet d’éclairer certains coins d’ombre.

Puisque nous en sommes aux personnages, évoquons les grands-parents de Naja dans le Grand Nord, véritables statues de neige qui brûlent de l’intérieur. L’écrivain célèbre, dans l’île, omniprésent et absent au moment où elle a besoin de lui. Une sorte de figure paternelle qui ressemble étrangement à l’original. Et que penser de la voisine, l’insulaire solitaire, madame Trentesaux ?

Le roman Je savais à peine le nom de ton pays, est un chemin où les mots nous prennent par la main pour nous emmener au loin. Un voyage sensible, humain. Avec de l’amour tout autour. Plus fort que la mort.

Page après page, l’auteur nous chuchote à l’oreille que le lointain est toujours à portée de la main.

Jean-Claude Berutti est metteur en scène et traducteur de l’allemand. Son parcours éclectique l’a mené un peu partout sur les scènes européennes. Il a dirigé le Théâtre du Peuple de Bussang et la Comédie de Saint-Étienne. Il est aujourd’hui directeur de l’Opéra de Trèves en Allemagne. Il est co-auteur, au côté de Silvia Berutti-Ronelt, de la version française des pièces de Anja Hilling et de Peter Turrini. Je savais à peine le nom de ton pays, est son premier roman.

Philippe TOUZET

.
Jean-Claude Berutti, Je savais à peine le nom de ton pays, Gravures d’Émilie Weiss, Éditions le Réalgar, 2020, 108 p., 13€

.
Lire les dernières chroniques de Philippe Touzet :
Dialogue sur le théâtre français – Inter/dits de scènes
Autrices de théâtre : la grande injustice
À la vitesse du son !
L’art de la sieste
L’art de la promenade

.



Auteur de théâtre, scénariste de fictions radio, président des Écrivains associés du théâtre (E.A.T) de 2014 à 2019, Philippe Touzet tient une chronique bimensuelle dans Profession Spectacle depuis janvier 2021, intitulée : « Arrêt Buffet ».



 

Publicité

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *