Le Centre national de la musique ignore et méprise les amateurs

Le Centre national de la musique ignore et méprise les amateurs
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Le Centre national de la musique (CNM) n’en finit plus de bafouer les droits fondamentaux de la personne humaine. Nouvel exemple en date ? La dernière proposition de loi, examinée le 29 avril, ignore et méprise les pratiques musicales en amateur.

Depuis le début de l’année 2019, Jean-Michel Lucas n’en finit plus de dénoncer dans Profession Spectacle l’approche mercantile du prochain Centre national de la musique (CNM) : « pur produit libéral », mépris des droits culturels, réduction de l’intérêt général à la seule protection des profits des industries musicales…

La liste des reniements humanistes et légaux est bien longue, comme le montre la dernière proposition de loi, examinée le 29 avril par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Les arguments de notre expert n’ont pas changé ; ils sont simplement formulés de manière plus directe et ciblée que dans les précédents articles.

Explications, par Jean-Michel Lucas.

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Une proposition de loi portant création d’un Centre national de la musique (CNM) a été examinée le 29 avril dernier par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale.

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1)
Cette proposition de loi est insincère.

On pourrait penser que le Centre national de la musique concerne la musique dans toutes ses dimensions. Mais ce n’est pas le cas. Le nom est trompeur car la loi a mis de côté les pratiques musicales en amateur ainsi que les musiques dites « classiques » ou « savantes ».

Il faut impérativement que le législateur change le nom de cet établissement public.

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2)
La proposition de loi sur le CNM confirme le mépris public pour les pratiques musicales en amateur.

Ces pratiques sont totalement ignorées.

Dans cette conception tronquée du CNM, on retrouve le regard déplorable sur les amateurs qu’avait institué la loi LCAP. Dans l’article 32 de cette loi, les amateurs sont caractérisés, uniquement, de manière négative. Même trois fois négatives : ils ne sont pas des « professionnels », ils ne doivent pas être « rémunérés » et leurs activités ne peuvent pas être « lucratives ».

Rien de positif pour l’intérêt général de la nation. Or les associations qui pratiquent la musique en amateur sont des acteurs incontournables, permettant aux personnes de prendre part à la vie culturelle. Elles contribuent donc à rendre effectif un droit humain fondamental défini par l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). La loi sur le Centre national de la musique ne peut décemment pas l’ignorer. Elle doit prendre en compte les activités des « amateurs » qui contribuent au « droit de chacun de participer à la vie culturelle »*, puisque la France s’est engagée à promouvoir, dans sa législation interne, les accords internationaux sur les droits  de l’homme.

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3)
La proposition de loi sur le CNM n’a qu’un intérêt sectoriel.

En effet, le projet de Centre national de la musique ne concerne que les musiques vendables qui peuvent ou pourront se rentabiliser sur des marchés concurrentiels. Il répond ainsi très bien à l’intérêt collectif des industriels de la musique et il est « d’intérêt général » uniquement par sa promesse de créer des emplois et de nourrir  la croissance de la filière économique de la musique.

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4 ) Pour être vraiment d’intérêt général, le Centre national de la musique devra impérativement respecter la loi sur la diversité culturelle.

Dans le contexte législatif français, l’argument de la diversité culturelle fait inévitablement référence à la Convention Unesco de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, référencée par deux fois dans le droit interne à l’article 103 de la loi NOTRe et à l’article 3 de la loi LCAP*.

Le législateur ne peut pas ignorer ces lois ! C’est clair et net : si l’État veut créer un établissement public culturel, il doit reconnaître « la nature spécifique des activités, biens et services culturels en tant que porteurs d’identité, de valeurs et de sens ». Il ne doit pas s’intéresser seulement à la valeur économique des musiques sur les marchés de concurrence (cf. 5e principe directeur de la Convention Unesco de 2005*).

Du point de vue de la diversité culturelle, l’intérêt général commande que le CNM fasse place aux amateurs de musique, à ceux qui investissent tout leur temps, sans compter, pour faire partager leur amour de leurs musiques aux autres, ceux qui donnent sens à leur vie en organisant des concerts et permettent aux artistes d’exprimer leur liberté artistique et de vivre de leur musique, sans pour autant chercher à les rentabiliser.

L’établissement public doit mettre l’économie de la musique au service des libertés de prendre part, de mille façons, à la vie culturelle pour faire humanité ensemble… et non l’inverse !*

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5)
 Le projet de CNM est, de surcroît, pernicieux : il attire dans ses filets les associations pour les amener à devenir des entreprises rentabilisant la musique.

La proposition de loi reprend, en effet, le modèle du CNV : ainsi, tous les consommateurs de concerts doivent s’acquitter d’une taxe de 3,5 %. Les recettes de cette taxe sont affectées au CNV qui en redistribue 65 % aux producteurs de concerts. Ce dispositif est vertueux pour les professionnels de la musique car, si les tournées qu’ils organisent sont déficitaires, ils disposent d’un droit de tirage qui leur évite la faillite et leur permet de se relancer. En clair, la taxe est un outil efficace pour maintenir active la concurrence entre les industriels de la musique.

En revanche, le dispositif est pervers pour la vie musicale. En effet, 35 % des recettes de la taxe financent des projets des adhérents au CNV. Pour des associations de musiques actuelles, c’est apparemment une aubaine que d’obtenir une aide publique que le ministère de la culture leur accorde avec parcimonie. Mais pour bénéficier de cette aide du CNV, les associations doivent présenter des projets « professionnels », économiquement viables. Seule l’économie du projet, en milieu concurrentiel, importe au CNV et, donc, au futur CNM.

Certaines associations l’admettent fort bien car elles ne sont que des entreprises déguisées.

Pour les autres, qui se fondent sur la coopération, la solidarité, le partage de la passion musicale, le détournement de sens est inacceptable au nom de l’intérêt général : une MJC, une fanfare, une banda et mille autres manières de vivre sa vie musicale ne peuvent avoir d’aides provenant du CNV qu’en montrant que leurs projets sont professionnels, c’est-à-dire qu’elles sont, ou promettent de devenir, rentables ! Ainsi, adhérer à l’établissement public CNV, et bientôt au CNM, dénature l’esprit associatif en contraignant les associations à entrer dans le seul moule de l’activité économique concurrentielle.

Or, près de 60 % des adhérents au CNV sont des petites associations. Les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à cinq millions d’euros, soit soixante-et-une entreprises de l’échantillon en 2014 (6 % seulement du nombre total d’entreprises), représentent 61 % du chiffre d’affaires total des entreprises de spectacle de variétés. Les petites structures dont le chiffre d’affaires est inférieur à 250K€, soit 49 % des entreprises du secteur, génèrent quant à elles, un peu plus de 3 % du chiffre d’affaires total. La vie musicale, partout sur le territoire, est ainsi faite de ces milliers de concerts organisés par ces associations ou des collectivités dont la raison d’être n’est pas de s’enrichir avec la musique1, mais plutôt de faire humanité ensemble en offrant des opportunités à chacun de « prendre part à la vie culturelle », conformément aux garanties publiques demandées par le PIDESC.

Cette grave dénaturation de la vie associative se fait pour « quelques sous ». Elle est d’autant plus désolante que la somme à partager est au mieux de 10 millions d’euros c’est-à-dire à peu près un dixième de la subvention de l’État à l’Opéra de Paris.

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6)
C’est parce que le CNV réduit la vie de la musique en société à la seule dimension marchande que les acteurs des musiques traditionnelles ont refusé qu’elles soient incluses dans le périmètre de la taxe.

Cette position juste a une valeur d’intérêt général au regard du droit fondamental de chacun de prendre part à la vie culturelle de son choix (cf. Déclaration universelle sur la diversité culturelle de 2001). Mais le ministère de la culture n’a pas prévu d’aides spécifiques pour ces associations qui refusent la logique du CNV. Si elles veulent un peu d’aide, elles doivent, finalement, revenir vers le CNV et se soumettre à l’injonction de devenir de « vraies » entreprises concurrentielles, en niant leur valeur d’intérêt général au titre de la diversité culturelle. Ce sera pareil avec le projet de CNM. Il faut donc qu’il soit modifié pour ne pas trahir les valeurs que la France s’est engagée à défendre.

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7)
Certains objectent à cet argument que le CNV aide pourtant des associations pour leurs projets de création et de résidence d’artistes, sans chercher la rentabilité à tout crin !

Mais il s’agit là d’un gros mensonge ou d’un mauvais alibi car ces aides aux résidences (de la commission 8 du CNV) sont financées sur des crédits du ministère de la culture, et non avec les recettes de la taxe ! Ce montant modeste (soit 400 000 euros seulement pour plus de 4 000 « entreprises » dont 60 % d’associations !) n’est qu’une bien faible compensation de l’exclusion de fait des musiques actuelles du dispositif normal de soutien à la création musicale du ministère de la culture.

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8)
Enfin, on doit dire que la  taxe sur les consommateurs de concerts est profondément injuste et même indigne en terme d’intérêt général.

En effet, pour écouter ces musiques qui attirent des personnes plutôt issues des milieux populaires, les consommateurs s’acquitteront de la taxe de 3,5 %, alors que les consommateurs de musique classique sont dispensés de ce coût supplémentaire. Ce traitement fiscal différent qui pénalise les uns et avantage les autres, a-t-il encore un sens ? C’est une bien grande injustice fiscale. Elle est encore alourdie par les subventions publiques aux musiques classiques qui permettent de baisser considérablement le prix de ces concerts pour les consommateurs dont on sait qu’ils font plutôt partie des groupes sociaux aux revenus élevés.

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9)
Si l’on rajoute que la vie musicale dépend pour beaucoup des soutiens territoriaux et pas seulement de la rentabilité marchande, on doit conclure que le projet actuel de Centre National de la Musique est mal pensé.

Il doit être revu, pas seulement amendé ! Il articule très mal la nécessaire dynamique économique de la vie musicale avec la diversité des manières de faire vivre la musique, partout sur le territoire, avec le souci de développer les libertés et les capacités de chacun de prendre par à la vie culturelle.

Le Parlement s’honorerait d’affirmer que l’intérêt général du futur Centre national de la musique respectera les valeurs fondamentales de la diversité culturelle, c’est-à-dire les valeurs des droits humains fondamentaux pour mieux faire humanité ensemble avec nos passions musicales.

C’est déjà le cas dans certains contrats territoriaux où le CNV a accepté de soutenir des projets mettant au travail les droits culturels des personnes, tel le contrat de filière en Nouvelle-Aquitaine. Sauf que le rapporteur l’a volontairement ignoré.

N’acceptons pas ce retour en arrière avec ce faux Centre national de la musique. L’intérêt général demande la renégociation immédiate des principes qui justifient l’existence de cet établissement public.

Jean-Michel LUCAS

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Lire les autres articles de Jean-Michel Lucas sur le CNM

« Le rapport sur le Centre national de la musique ne fait que vendre la République au plus offrant »
La vérité sur le CNV/CNM : un pur produit libéral de sa création à nos jours
Les reniements douteux de la proposition de loi sur le Centre national de la musique

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* Textes cités dans l’article et curieusement omis dans la proposition de loi

Observation générale 21 du comité de suivi du PIDESC
« Les droits culturels sont partie intégrante des droits de l’homme et, au même titre que les autres droits, sont universels, indissociables et interdépendants. La promotion et le respect pleins et entiers des droits culturels sont indispensables à la préservation de la dignité humaine et à une interaction sociale positive entre les individus et les communautés dans un monde divers et multiculturel. » (lire le texte entier)

Article 103 de la loi NOTRe
« La responsabilité en matière culturelle est exercée conjointement par les collectivités territoriales et l’Etat dans le respect des droits culturels énoncés par la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005. »

Article 3 de la loi LCAP
« L’État, à travers ses services centraux et déconcentrés, les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que leurs établissements publics définissent et mettent en œuvre, dans le respect des droits culturels énoncés par la convention de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005, une politique de service public construite en concertation avec les acteurs de la création artistique. »

5e principe directeur de la Convention de l’UNESCO en 2005
« Principe de la complémentarité des aspects économiques et culturels du développement
La culture étant un des ressorts fondamentaux du développement, les aspects culturels du développement sont aussi importants que ses aspects économiques, et les individus et les peuples ont le droit fondamental d’y participer et d’en jouir. »



 

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