L’esthétique réussie de Maëlle Poésy tombe malheureusement à plat

L’esthétique réussie de Maëlle Poésy tombe malheureusement à plat
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Pour sa première pièce dans le In d’Avignon, Maëlle Poésy a choisi une thématique politique, avec Ceux qui errent ne se trompe pas. La mise en scène, travaillée avec talent, relève néanmoins davantage de la fiction journalistique que du théâtre essentiellement politique. L’esthétique réussie porte ainsi en son sein la plus grande banalité. Dommage.

Il n’aura fallu que deux années à la jeune Maëlle Poésy pour être programmée par Olivier Py dans le festival In d’Avignon, après seulement cinq pièces, dont deux courtes de Tchekhov présentées au Studio-Théâtre de la Comédie-Française. Prodige du théâtre, elle présente cette année une fiction politique intitulée Ceux qui errent ne se trompent pas : alors qu’une pluie diluvienne s’abat sur le pays le jour des élections nationales, les citoyens de la capitale votent blanc à plus de 80 %.

Un choix audacieux : changer le peuple !

Ce choix audacieux est le fruit d’une collaboration entre Maëlle Poésy et le dramaturge Kevin Keiss, compagnon artistique depuis plusieurs années, notamment lors d’une résidence à la Chartreuse de Vileneuve-lès-Avignon. Nous suivons principalement les six membres d’un gouvernement qui, déstabilisé par un mouvement spontané qu’il est incapable de comprendre avec sa traditionnelle grille de lecture politicienne, sombre peu à peu dans une opposition frontale. C’est bien connu depuis Bertolt Brecht : « Quand le peuple vote mal, il faut changer le peuple. » Ironique parole devenue réalité depuis bien longtemps, et encore récemment avec la petite phrase troublante de Daniel Cohn-Bendit : « Il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison. »

À mesure que l’eau s’abat sur le plateau, les murs coulissants de la mise en scène se referment – tel un bunker assiégé – sur ce gouvernement à la dérive, condamné à fuir la capitale pour porter le combat de l’extérieur, à distance, en déconnexion totale avec le peuple qui l’a originellement élu. Porté par six comédiens talentueux qui endossent plusieurs rôles, la scénographie se veut tantôt impressionnante, nous étouffant d’un déluge bien réel, tantôt poétique, comme cette belle vision d’une capitale embrumée, en attente d’une recréation, après que les pluies ont cessé.

Poétique de la scénographie

La mise en scène est également rehaussée par les différents effets sonores et visuels, qui reconfigurent constamment l’espace théâtral, déplaçant le spectateur d’une réalité à une autre. Outre le gouvernement, nous suivons d’une part les rêveries d’une journaliste touchée par la blancheur qui se répand implacablement, d’autre part l’enquête menée par Émilien Lejeune (Grégoire Tachnakian), coresponsable des services de la Vérité, chargé par la ministre de l’Intérieur (Caroline Arrouas) de comprendre ce qui s’est produit et de trouver les coupables.

Une telle richesse dans la mise en scène se veut au service d’un théâtre politique ; il l’est, dans le sens le plus pauvre que revêt ce dernier terme. Car en fait de politique, nous assistons à une juxtaposition de lieux communs, qui n’apportent rien à la réflexion de notre temps. Si Kevin Keiss a repris avec finesse La Lucidité de José Saramango, les différents apports extérieurs n’ajoutent que de la banalité à l’ensemble.

Exégèse des lieux communs en politique

Nombreux sont ceux qui soulignent les points communs entre la pièce et la récente actualité, de Nuit Debout au Brexit. Réflexion médiatique si franco-française qui oublie l’Histoire pour se contenter de sa petite mémoire vive, comme un bachelier – restons d’actualité ! Le choix des peuples, l’engouement populaire et la remise en cause des élites sont autant de questions qui traversent l’humanité de part en part. En cela, Kevin Keiss a raison de mentionner la Révolution française ou la Commune.

En rester toutefois à la seule narrativité de l’histoire, c’est perdre de vue le questionnement que l’art politique est supposé apporter. Comment répondre à la parole ironique de Bertolt Brecht et à celle, si sérieuse, de Daniel Cohn-Bendit ? Si le peuple n’est plus la norme, qui peut prétendre détenir cette dernière ? Quel peut être le principe supérieur, dans notre société qui a banni Dieu, l’empereur et le roi, et qui rejette aujourd’hui le peuple ? C’est précisément à ces questions que le dramaturge Kevin Keiss ne répond pas. Leur fiction n’anticipe au final pas grand-chose, se contentant de reprendre une thématique que nous observons souvent depuis des années, voire des siècles.

Au lieu de quoi la pièce se contente de montrer le huis-clos des ministres, leur sauve-qui-peut en une escalade de violences faites à la capitale : ils jugent ceux qui votent blanc de la même manière que nos politiques jugent ceux qui optent pour le Front de Gauche et – plus encore – le Front national. De nouveau la narrativité… que nous disent les artistes ? Rien.

Horizontalité journalistique

Il y a bien le responsable des services de la Vérité, Émilien Lejeune, qui mène l’enquête à la demande du gouvernement, mais ses propos ne portent pas le questionnement beaucoup plus loin. Sa conscience et son libre-arbitre s’éveillent progressivement, mais sans horizon ni destination. À la différence d’Antigone, qui s’engouffre dans le difficile débat de la légitimité (divine) contre la légalité (humaine), qui pose sa liberté dans un mouvement qui la précède et la dépasse, Émilien Lejeune erre avec fadeur et devient finalement un de ces lanceurs d’alerte dont notre temps est friand. Pourquoi ? Pour un rêve évanescent, par dégoût d’un gouvernement… La verticalité vertigineuse de Sophocle laisse place à l’horizontalité fade de Keiss-Poésy.

Il manque soit de la profondeur, soit du burlesque, pour échapper à cette facilité que nous sentons dès les premières minutes et qui envahit, à mesure que la pluie s’abat sur les personnages, toute la pièce. Le mouvement de fond appartient à la plus accessible dialectique, celle que nous voyons jour après jour dans presque tous les médias, dans la plupart des œuvres artistiques : la liberté tâtonnante acquise par Émilien Lejeune s’adosse à la surenchère sécuritaire d’un gouvernement péremptoire. Rien là que de très descriptif. Pourquoi ? Comment ? Au nom de quoi ? Peu importe. Nous restons en surface.

Et c’est précisément pourquoi Ceux qui errent ne se trompent pas échoue à être du théâtre politique. La pièce n’est certes pas mauvaise, surtout grâce à la belle mise en scène de Maëlle Poésy, mais en tant qu’elle relève du théâtre historique ou, plus précisément, de la fiction journalistique.

Pierre GELIN-MONASTIER

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