Lieux intermédiaires et lieux traditionnels, quelles différences ?

Lieux intermédiaires et lieux traditionnels, quelles différences ?
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Deuxième volet de la série d’articles écrite par Cassandre Jolivet, auteure d’une thèse professionnelle, dirigée par Elena Borin, sur les espaces culturels émergents, autrement appelés « espaces culturels intermédiaires ».

Lieux intermédiaires (2/6)

Bien qu’ils ouvrent un champ nouveau dans le secteur culturel, prônant une plus large ouverture artistique et sociale, en quoi ces lieux dits intermédiaires diffèrent-ils vraiment des institutions culturelles traditionnelles ? La question est légitime, car les valeurs et missions des pôles traditionnels semblent identiques : promouvoir la création et un accès aux arts pour tous, dans des lieux aux programmations diversifiées. Par ailleurs, tout comme les lieux institutionnels, de nombreux lieux émergents sont soutenus par les pouvoirs publics. Alors, formes différentes, même combat ?

Ces lieux étant complexes à catégoriser, on les identifie souvent par leurs apparentes différences aux institutions, qui sont plus ou moins marquées.

Des lieux atypiques, multiples et pluridisciplinaires

Dans un premier temps, la différence la plus visible est physique. Bien qu’on ne distingue pas une typologie claire des lieux intermédiaires, on constate qu’ils se construisent différemment des lieux traditionnels. Il y a rarement un seul bâtiment, mais plusieurs qui forment un ensemble, chaque espace ayant une fonction bien spécifique : espace de création, lieu de résidence pour les artistes avec logements et cuisine, espace de représentation, salle d’exposition, bureaux administratifs…

Par ailleurs, les lieux de représentation sont flexibles et s’adaptent à toutes les pratiques artistiques, ce qui les différencie d’une salle de spectacle classique, pas toujours adaptée. En témoignent la grande verrière des Subsistances à Lyon, la grande halle du 104 à Paris ou encore le kiosque de la Gare à Coulisses dans la Drôme.

La proposition artistique est également quelque peu différente. Ces lieux proposent une diversification des activités, une pluridisciplinarité qui permet un échange entre pratiques. Une nouveauté pour les publics, qui ne vont pas à l’opéra, ni au théâtre, ni au musée, mais qui peuvent assister à une répétition publique, à côté du lieu d’exposition, avant d’écouter un concert, le tout dans un même espace. De même du côté des artistes, toutes les formes d’art sont accueillies, ce qui élargit les possibilités de résidences notamment pour les artistes de cirque et des arts de la rue, plus rarement accueillis par les pôles traditionnels.

Des lieux de vie

L’absence de hiérarchie de ces lieux et l’originalité des projets en font des lieux plus attractifs, car ils paraissent plus accessibles. Cet atout est renforcé par la constante ouverture et l’animation de festivals aux thèmes variés : danse, cuisine, arts de rue… Ou encore par la transformation au rythme des événements, comme à la Taverne Gutenberg où les espaces sont repeints à chaque exposition. Ce sont des lieux que les artistes en résidence, logés sur place, font vivre au quotidien.

Il s’agit d’un mode de fonctionnement nouveau pour des lieux culturels, en réponse à une demande grandissante. Ce sont des lieux où il fait bon aller entre amis, en famille, passer l‘après-midi, participer aux animations du jour : cours de sport, marché, spectacles… Cela donne à ces lieux une dimension de divertissement. Ce ne sont pas simplement des lieux artistiques, mais aussi où s’expriment la « culture food », l’« art de vivre », autrement appelé « lifestyle ».

Souvent très présents sur les réseaux sociaux, ce sont des lieux « dans l’air du temps », qui suivent également de près le développement du numérique et l’intègrent à leur modèle. Enfin, les tendances d’un mode de vie plus durable et respectueux de l’environnement ne sont pas en reste ; elles trouvent leur place dans ces lieux, avec la mise en avant de producteurs et d’artisans locaux, et des ateliers de sensibilisation. L’exemple le plus marquant est celui du Darwin Ecosystème à Bordeaux.

Une rupture avec des pôles traditionnels qui s’explique par le contexte économique

Ainsi s’inscrivent-ils dans l’économie sociale et solidaire. Autrement dit, ce sont des modèles récents issus d’un mouvement de développement de l’entrepreneuriat, et plus précisément de l’entrepreneuriat dans le secteur culturel.

Si beaucoup fonctionnent avec des subventions publiques, ils développent également des ressources provenant des modèles de l’ESS, avec des projets faisant appel au financement participatif, au mécénat, ou encore à des partenariats avec des structures dites sociales et solidaires. Cela semble être une particularité des lieux intermédiaires car elle fait partie des valeurs motrices du projet, alors qu’on la retrouve peu du côté des lieux traditionnels.

Au final, une configuration différente du lieu

Si ces lieux émergents paraissent plus ouverts et plus « vivants », il ne faut toutefois pas nourrir les préjugés qui font des pôles traditionnels des lieux figés et archaïques. Nombre d’entre eux travaillent avec des associations pour faciliter l’accès à la culture, proposent des ateliers amateurs et des temps forts insolites pour ouvrir leurs portes en parallèle de leurs activités « classiques ».

De même, les récentes ouvertures de musées de nouvelle envergure, construits autour d’un projet architectural contemporain, au rayonnement important dans une ville, une région ou même un pays, comme le Louvre Lens, le Louvre Abu Dabi, le Mucem ou encore le Musée des Confluences, soulignent également des évolutions du côté des pôles institutionnels, qui se réinventent en proposant des lieux modernes accueillant les publics autour de pratiques artistiques variées.

On retiendra alors comme différence principale entre ces lieux et les lieux culturels émergents une configuration différente du lieu en lui-même, avec une opposition entre bâtiments neufs et friches recyclées, et un modèle beaucoup moins institutionnalisé pour les lieux intermédiaires, pionniers de l’entrepreneuriat culturel et défenseurs d’une économie plus solidaire.

Cassandre JOLIVET

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Photographie de Une
Horloge verrière – Les Subsistances (crédits : Romainbehar / Wikipédia)



 

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