Paye ton auteur : les dramaturges se dotent d’une charte des rémunérations

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Les États généraux des écrivains et écrivaines de théâtre (EGEET) viennent de publier une Charte des rémunérations. L’enjeu pour les auteurs de théâtre ? Pouvoir vivre, tout simplement, en accédant enfin à des rémunérations décentes.

Cette charte des rémunérations des EEGEET est née d’un constat simple, concret, connu : les auteurs éprouvent de grandes difficultés à se faire payer correctement, que ce soit pour des commandes d’écriture ou pour des ateliers, quand ce ne sont pas les lieux de résidences eux-mêmes qui sont, sinon insalubres, du moins dépourvus de connexion internet, voire – pour des lieux à l’écart de toute ville – de moyens de transport.

« Je pourrais vous citer des dizaines et des dizaines d’exemples aberrants, car nous avons récolté de nombreux témoignages au fil des mois, explique Dominique Paquet, autrice, membre des Écrivains associés du théâtre (E.A.T) et référente de la commission. Des premières préconisations ont été présentées à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon en juillet 2019, de sorte que cette charte a demandé près de deux années de réflexion et d’élaboration. »

Un inventaire des difficultés à se faire payer

Cette charte vient s’ajouter à diverses sources existantes. Pour les interventions en milieu scolaire, par exemple, les dramaturges se fondent sur la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse. Il y a aussi la circulaire des droits accessoires, les sites de la Maison des écrivains et de la littérature (MEL), du Centre national du livre, de la Société des gens de lettres (SGDL) ou encore une brochure de la région Sud-PACA, Comment payer un auteur

Rien, toutefois, qui se concentre exclusivement sur les auteurs de théâtre. Il y a bien des tarifs minimaux de rémunération prévus par le CNL et la MEL, mais de l’avis de Dominique Paquet, ils ne sont pas souvent atteints, y compris lorsque la commande vient de compagnies ou de metteurs en scène connus.

« Tout ce qui concerne le travail de dramaturgie, de plateau, n’est pas exemple pas prévu, confirme l’autrice. Il y a de nombreux flous administratifs et complexes. Par exemple, il n’est pas possible de se faire rémunérer par les structures scolaires directement. Il faut passer par une structure : une compagnie, une association… »

« Nous avons ainsi fait l’inventaire des difficultés à se faire payer, poursuit-elle. C’est énorme ! » « Nous » ? Cette commission, surnommée en interne « commission cambouis », est intégralement féminine ; elle rassemble Marie-Hélène Chiocca, Constance Emilie, Sophie Deschamps (présidente de la SACD), Sarah Fourage, Carine Lacroix, Alexandra Lazarescou, Sabryna Pierre et Claudine Vuillermet.

La charte, en sept volets, aborde les différents lieux problématiques liés à la rémunération : les commandes, les résidences, les manifestations publiques, les rencontres avec un public, les ateliers de pratique artistique ou encore toutes ces « petites » activités annexes qui interviennent dans le secteur (bourses, dédicaces, jurys littéraires, financement participatif, etc.).

Des tarifs indicatifs minimaux

Si des aménagements peuvent être faits pour les plus petites structures qui touchent des subventions en deçà de 25 0000 €, le montant d’une pièce courte de 15 mn est fixé à 1 000 € brut – 2 000 € pour une pièce moyenne (15-30 mn), le double pour une pièce durant entre 31 mn et 1 h 30. Au-delà d’une heure et demie, la pièce est facturée entre 4 500 et 7 000 € brut. « Ces tarifs sont indicatifs, précise aussitôt Dominique Paquet. Certains auteurs nous ont dit que c’était trop peu, mais nous souhaitions seulement fixer, dans cette charte, un seuil minimum ! »

Si certains domaines sont heureusement plus sécurisés, telles les résidences dont les critères sont déjà définis par le ministère de la Culture, la MEL ou encore le CNL, de nombreuses autres questions – apparemment anecdotiques – se retrouvent au centre des interrogations quotidiennes.

Comment – par exemple – rétribuer l’écriture au plateau, lorsque l’auteur travaille pour partie avec le metteur en scène pendant les répétitions, et pour partie à son bureau ? Ou que faire des performances, distinctes de la lecture publique, qui convoquent des auteurs-acteurs ? Comment les rémunérer ? Faut-il privilégier l’intermittence ou le droit d’auteurs ? Pour une lecture-performance, la SGDL et SOFIA préconisent quant à elles une rémunération de 448 € bruts en droits d’auteur. Et pour un salon du livre ? Tout dépend du commanditaire : s’il s’agit du salon, ce sera au tarif de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse ; si c’est l’éditeur qui convie, alors les auteurs interviendront gratuitement.

Qui avance les frais d’approche tels que le transport et le logement ? Là encore, les pratiques sont multiples, ce qui met en péril, selon Dominique Paquet, les auteurs, souvent précaires. « Ils doivent être obligatoirement pris en charge en amont de la venue de l’auteur/autrice par la structure, indique la nouvelle charte des rémunérations, et ne doivent jamais être avancés par l’auteur/autrice. »

Perspective : remettre l’auteur au cœur du théâtre

La charte est appelée à évoluer, d’autant que le ministère prépare un plan pour les auteurs. Les cas étant multiples, tous n’ont pu être abordés de manière explicite dans cette première mouture : les interventions dans les prisons, les ateliers dans les hôpitaux… Il existe néanmoins des recommandations similaires. Mais comment rémunérer les interventions à distance, faites par le biais du numérique ? Faut-il les mettre au même tarif que celles en présence, malgré le gain de temps que représente l’absence de trajets ?

« Toutes les mesures que nous préconisons vont évidemment mettre un peu de temps à être appliquées, indique Dominique Paquet, qui compte sur le soutien de la SACD et de la Direction générale de la création artistique. Le fait que la littérature théâtrale soit sortie de la littérature générale et que l’auteur ait été, à partir des années cinquante, poussé à la périphérie a fait de lui un prestataire de service. Nous souhaitons casser cette dynamique et remettre le dramaturge au cœur du théâtre. »

Et l’autrice de conclure : « À terme, nous souhaitons une association, voire une co-direction auteur / metteur en scène à la tête des structures publiques. Mais ça risque de mettre du temps… »

Pierre GELIN-MONASTIER

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En téléchargement : Charte des rémunérations des auteurs et autrices de théâtre

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