Pedro Almodóvar : « Ma plus grande addiction aujourd’hui, c’est le cinéma »

Pedro Almodóvar : « Ma plus grande addiction aujourd’hui, c’est le cinéma »
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Entouré de son équipe, le cinéaste espagnol Pedro Almodóvar a discuté avec la presse internationale de son nouveau film, Douleur et Gloire, en compétition au 72e Festival de Cannes. 

Entretien.

Comment avez-vous travaillé dans ce film sur les frontières entre la fiction et la réalité de votre vie ?

Ce film n’est pas un récit littéral de ma vie, mais tout ce qui arrive au personnage principal aurait pu m’arriver, et certaines choses me sont d’ailleurs arrivées. Mais beaucoup d’entre elles appartiennent à la fiction. Quand je commence à écrire un scénario, les premières scènes sont liées à ma réalité, mais ensuite la fiction entre en jeu et quand on écrit, il faut être fidèle à la fiction, pas à la réalité. Il faut que cette fiction cinématographique soit vraisemblable, même si cela amène à s’éloigner de la réalité. Ce qui fait partie de ma vie entre autres dans le film, c’est que j’ai eu l’expérience d’un amour rompu au moment où la passion était encore vivante, mais les circonstances ont fait qu’il a fallu que je me sépare de cette personne, et c’est extrêmement douloureux car ce n’est pas naturel. Cette relation qui était vivante et qu’il a fallu couper, c’est comme se couper un bras. Cette expérience que beaucoup de gens ont certainement connue, je l’ai eue, mais je n’ai pas eu la réconciliation comme dans le film.

Et pour l’enfance du personnage principal ?

Je n’ai jamais vécu dans une grotte, mais j’aurais pu. En tous cas, je sais ce qu’est la précarité dans l’enfance puisque ma famille a dû émigrer en 1960 vers une autre région. Mais comme l’enfant du film, j’ai vu tout cela à travers les yeux d’un petit garçon de neuf ans. Nous vivions dans une rue où il y avait des trottoirs défoncés et moi, j’avais l’impression de vivre dans un western. À travers les yeux d’un enfant, cette précarité terrible qu’a vécu l’Espagne, je ne la ressentais pas. Je collectionnais déjà les images de cinéma et je vivais une vie parallèle bien meilleure que la vie réelle.

À un moment du film, la mère du réalisateur dit qu’elle déteste l’autofiction.

Quand on parle de soi-même, on parle d’autres personnes, de moments vécus avec d’autres personnes. C’est très délicat car nous avons le droit de parler de nous-mêmes et de notre vie, mais cela m’effraye vraiment de pouvoir affecter d’autres personnes en le faisant. Donc je fais très attention et j’examine chaque détail à la loupe. Ce qui est vrai, c’est que tous les thèmes du film sont importants : la famille, la mère, le désir, le travail, la création, l’enfance, etc. Tout cela me représente, cela représente ma façon de ressentir ces thèmes. Je ne peux pas donner de proportions, le pourcentage de réalité et celui de fiction, mais ce qui compte, c’est le mélange des deux. Par exemple, il y a une scène très importante et improvisée car écrite la veille au soir, c’est quand la mère dit à son fils : « tu n’as pas été un bon fils ». C’est une phrase vraiment brutale. Dans la scène suivante, sur la terrasse, le fils s’excuse de ne pas avoir été le fils qu’elle aurait souhaité et, en réponse, il n’y a qu’un silence cruel de la part de sa mère. Cette scène ne s’est pas produite dans ma vie : je n’ai jamais une telle conversation avec ma mère. Mais parfois, à travers la fiction, on découvre certaines choses sur soi-même car cette scène que je n’ai pas vécue représente quelque chose de très important dans ma vie : la façon dont on me regardait quand j’étais enfant, comme quelque chose de bizarre. Ce que je représente dans cette scène, c‘est ce que je voyais dans le regard des autres, au village, mais aussi à l’école, en internat, dans le regard des autres enfants. Quand on est enfant, ce rejet a quelque chose d’humiliant et c’est une expérience très dure, aussi dure que lorsque qu’une mère dit à son fils qu’il n’a pas été un bon fils.

Le film s’appelle Douleur et Gloire, mais il parle surtout de la douleur, humaine en général, mais aussi celle de la création, et beaucoup moins de la gloire. Pour un artiste un peu tourmenté comme celui du film, la gloire est-elle un obstacle ou un moteur ?

Cela peut être les deux. Dans le film, la gloire du personnage est représentée par le lieu où il vit, qui nous informe qu’il a eu une vie beaucoup plus lumineuse à un certain moment que la période qu’il traverse. Malgré toutes ses souffrances, il a un très bel appartement et vit dans ce lieu magnifique, entouré de splendides œuvres d’art. Je voulais relativiser la douleur du personnage, surtout par rapport à la douleur que connaissent d’autres personnes qui ont moins de possibilités pour les supporter. Comme le dit le médecin au personnage principal : « Il y a des gens qui vont beaucoup plus mal que toi et qui vont de l’avant. »

Quid de l’addiction ?

La grande dépendance du personnage interprété par Antonio Banderas est le désespoir qu’il ressent de savoir que physiquement il ne peut plus tourner de film. Ma plus grande addiction aujourd’hui, c’est le cinéma, aussi bien en tant que spectateur que comme narrateur.

Fabien LEMERCIER / Cineuropa



 

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