« Pig Boy 1986-2358 » de Gwendoline Soublin : eh ben mon cochon !

« Pig Boy 1986-2358 » de Gwendoline Soublin : eh ben mon cochon !
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Née en 1987 et formée à l’ENSATT de Lyon en écriture dramatique, Gwendoline Soublin est auteure, comédienne et scénariste. Elle publie cette année Pig Boy 1986-2358 aux éditions Espaces 34.

Autant l’avouer d’emblée : nous craignions le pire avec ce livre, déjà dérouté par son invraisemblable titre, encore plus égaré par la succession improbable d’un drame rural (drame de l’élevage intensif), d’un procès fait à un cochon ayant copulé avec une humaine, procès diffusé en direct dont l’issue dépend du vote du public, et de l’évasion d’une truie d’une maternité où elle mettait bas des bébés humains. Tout cela présenté de façon composite à travers trois écritures très différentes : une histoire à choix multiples, une polyphonie (voire cacophonie) médiatique et enfin un récit autobiographique (l’autobiographie d’une truie !) au rythme haché, essoufflé, qui peut faire penser à certains textes de Samuel Beckett (nous pensons notamment à Pour finir encore et autres foirades), ce qui est plutôt bon signe…

Malgré cela, ou peut-être grâce à cela, nous avons été agréablement surpris par le caractère très « documenté » de plusieurs scènes (l’auteure sait de quoi elle parle lorsqu’elle met en scène l’élevage intensif des porcs en Bretagne et le délire médiatique des procès de téléréalité dont vous êtes, non pas le héros, mais le juge).

Agréablement surpris aussi par la qualité de l’écriture et de la réflexion, par la pertinence et la finesse des perspectives (fussent-elles peu rassurantes) qu’elles dessinent : sous une présentation souvent drôle, parfois loufoque et même délirante affleurent les multiples folies qui, les chosifiant, saccagent la vie et la dignité des hommes : le productivisme effréné qui est un esclavagisme, l’antispécisme qui est une monstruosité, le transhumanisme qui est les deux. Même si, finalement, on peine à saisir l’issue du drame, nous avons affaire à une écriture et une mise en scène efficaces, incisives et très originales.

L’élevage intensif, une culture de mort

Gwendoline Soublin, Pig boy 1986-2358Est-ce un hasard si Gwendoline Soublin, née en 1987, fait naître son héros, rejeton d’agriculteurs bretons à la tête d’une exploitation agricole industrielle comptant cent-quarante-trois porcs, en 1986 ? Car cette année-là, l’enfant déjà né et désœuvré que j’étais s’en souvient, fut diffusé à la télévision une saga en trois parties intitulée La guerre du cochon. Cette saga, dont l’inoubliable Bernard Fresson était le héros, mettait aux prises l’ancien monde (les exploitations à taille humaine, l’espace en plein air laissé aux cochons pour s’ébattre, la fidélité au rythme des journées et des saisons, la lumière naturelle) au nouveau (les exploitations industrielles, la rationalisation de l’espace, les pesticides, la lumière artificielle permanente).

Avec Pig Boy, nous avons déjà basculé dans ce nouveau monde, que Gwendoline Soublin semble bien connaître, de l’intérieur presque, tant son écriture en dit de façon simple et abrupte toute l’horreur. Les exploitants ne sont pas moins esclaves que leurs cochons. Car si ceux-ci disposent d’un espace juste suffisant pour se tenir debout, ceux-là sont esclaves d’un rythme trépidant : « nourrir les porcs, vacciner les porcs, inséminer les truies, aller au tribunal, remplir la paperasse pour les aides de la PAC, limer les dents des porcelets, réparer les enclos, récolter le maïs, surveiller la météo, faire une demande de RSA, commander des tourteaux de soja, remuer les champs, sevrer les porcelets, verser les pesticides… » et encore : « Ta mère meurt… le camion de l’abattoir doit passer… le prêtre fait un office de dix minutes. Tu retournes au travail ». Les exploitants, en réalité exploités, sont esclaves aussi des centrales d’achat des hypermarchés qui fixent les prix à des niveaux qui leur permettent à peine de survivre, au point qu’avec la dévaluation des cours du porc, c’est « le cours de l’homme (qui) chute encore ».

Porcs et éleveurs sont finalement les victimes d’un productivisme qui est une culture de mort : les pesticides empoisonnent aussi bien la nature que les éleveurs (« Après toi, il n’y a que des fausses couches. Un médecin apprendra à ta mère qu’elle a respiré trop de pesticides ») et, au bout de la route, il n’y a guère que le suicide.

Les procès faits aux animaux

Tel est le titre d’un texte du poète (qui fut magistrat) Jean Follain, texte dans lequel celui-ci évoque ces procès d’Ancien Régime dans lesquels les porcs ayant blessé des hommes étaient traduits en justice comme s’ils eussent été responsables. Le porc était « incarcéré dans la prison du siège criminel et faisait l’objet d’une accusation requise en bonne et due forme par un procureur de justice… [la sentence] ordonnait l’étranglement de la bête et sa pendaison par les deux pieds de derrière… On allait jusqu’à signifier la sentence rendue au pourceau dans sa prison… parfois aussi on éprouvait le besoin de vêtir l’animal en homme ».

C’est exactement le sort qui est échu à Pig Boy, porc-star de la marque de jambon Perta, pour avoir copulé avec une admiratrice humaine qui le poursuivait de ses assiduités. Avec ce procès fait à un animal, Gwendoline Soublin relie intelligemment les procès du passé, que les hommes faisaient aux animaux, aux procès du présent, que les animaux (par la voix des hommes cependant…) font aux hommes, c’est-à-dire aux procès faits par les antispécistes qui, arguant qu’ils sont d’une commune espèce, voudraient qu’une même dignité et des droits identiques soient conférés aux hommes et aux animaux. Dans le cadre délirant des live participatifs et des réseaux sociaux, les messages prêtés à ceux qui sont antispécistes sans le savoir sont férocement drôles : « jsuis en like avec mon hamster… personne mdonne autant d’amour ke lui les hommes sont méchants pa mon hamster nécoute pas les gens ki te critik ces desjaloux ».

Quand l’antispécisme nourrit le transhumanisme

Dans la troisième et dernière partie du livre, l’antispécisme s’avère être l’aliment des promesses transhumanistes exposées par le PDG – breton – de Perta (« Qui n’a pas rêvé un jour… De posséder en lui les ressources musculaires d’un bœuf ? »). La truie dont il est question, lointaine descendante de l’élevage initial, ne vit plus dans une porcherie mais dans une maternité : elle s’est humanisée puisqu’elle met bas des bébés humains. Mais parallèlement, l’homme s’est animalisé et transhumanisé puisqu’il utilise les organes de ces bébés pour réparer les siens.

Face à cela, la conclusion de la pièce est quelque peu obscure : on voit cette truie, évadée d’une usine à bébés qui fait songer au Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (dont le frère Julian a inventé le transhumanisme), envisager de vivre, elle et ses enfants, avec le héros de la première partie de la pièce qui avait disparu dans un grand incendie. Espoir ? Ironie ? Métaphore ? Parabole ? Perspective d’une réconciliation entre l’homme et l’animal, d’une nouvelle harmonie ? Nous ne savons guère. Mais l’essentiel est peut-être que cette odyssée porcine surgie d’une écriture originale et foisonnante nous fasse mieux comprendre et fuir les horreurs qu’elle met si bien en évidence.

Frédéric DIEU

Gwendoline Soublin, Pig Boy 1986-2358, Editions Espaces 34, 2018, 69 p., 14 €



 

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1 commentaire

  1. A la lecture de ce « livre », le moins que l’on puisse dire est que Gwendolin Soublin manque cruellement de culture antispéciste et végan. Avant d’écrire sur le sujet, on se renseigne un minimum !

    S’appuyant sur les revendications d’une minorité d’extrémistes « antispécistes », qui ne peut exister nulle part à part dans son imaginaire, tant elles sont grotesques, Gwendoline Soublin établit une généralisation caricaturale, mais fausse, de la philosophie antispéciste pour servir l’idéologie quelle prétend combattre, et en ce sens fait preuve d’une malhonnêteté intellectuelle crasse. Quelle condescendance, quel mépris pour l’antispécisme, et donc une partie du véganisme.

    Voulant jouer sur la corde des extrêmes qui s’opposent (productivisme effréné versus pseudo-antispéciste radical), elle prête aux antispécistes, qui s’ignoreraient ou non, des motivations absurdes. Par opposition au productivisme fou qu’elle critique, dont on peut lui concéder qu’elle en a au moins saisi les principales dynamiques, elle se révèle complètement ignorante dans sa description des motivations des antispécistes dans leur très grande majorité. C’en est consternant.

    Non les antispécistes ne sont pas des misanthropes, non les antispécistes ne sont pas des incultes qui s’ignorent antispécistes, non les antispécistes qui, arguant qu’ils sont d’une commune espèce, ne voudraient pas qu’une même dignité et des droits identiques soient conférés aux hommes et aux animaux. NON l’antispécisme n’est pas une monstruosité qui serait à mettre sur le même plan que le productivisme effréné, qui lui pour le coup est bien un esclavagisme. Car l’antispécisme n’est pas ce qu’elle décrit et n’a aucune chance de devenir ce qu’elle décrit. L’on comprend qu’il est bien arrangeant pour elle de faire ce fallacieux parallèle qui consiste à mettre productivisme et antispécisme, et donc une partie du véganisme sur le même plan, pour ne froisser personne. Ce politiquement correct, qui n’est pas loin de rappeler le «et en même temps macroniste», a de beaux jours devant lui. Ainsi font aujourd’hui « carrière » les « artistes », en ratissant large… Attention cependant à ne pas confondre lectorat et électorat… Cette rebelle de bac à sable peine en réalité à masquer un conformisme bien huilé.

    L’on comprend qu’elle ne se permet de critiquer le productivisme, dont notre chère Gaia nous rappelle jour après jour à quel point il est destructeur, qu’en opposition à d’hypothétique potentiels transhumanistes nourris à l’antispécisme… Il est bien connu (ironique pour ceux qui ne le comprendraient pas) que les transhumanistes se nourrissent de l’antispécisme et non de leur aveuglement en une technologie toute puissante qui les rendrait immortels. L’actualité nous le rappelle tous les jours. Laurent Alexandre et Jeff Bezos clament bien évidemment leur transhumanisme sur des fondements antispécistes… Ce délire purement fictionnel d’antispécisme transhumaniste ne tient pas 3 secondes face de la réalité du productivisme effréné.

    Pour cette auteure bien ignorante de la philosophie de la très grande majorité des antispécistes, quelques petits rappels s’imposent :
    L’antispécisme est un courant philosophique très argumenté qui explique que l’appartenance d’un individu à une espèce autre qu’humaine n’est pas un critère satisfaisant pour justifier l’exploitation, la torture ou la mise à mort de cet individu. On peut ne pas adhérer à cette philosophie partagée par de nombreux penseurs occidentaux et orientaux, mais caricaturer ses adeptes, sans autre forme d’argumentation, relève d’un aveu d’impuissance intellectuelle.

    L’antispécisme s’oppose en revanche à l’écologie superficielle, dont se réclame Paul Ariès, et certainement Gwendoline Soublin, laquelle n’a pas encore intégré les récents apports de la science, qui a démontré que tous les animaux non humains sensibles sont des individus, dont certains sont même très proches des humains.

    L’antispécisme est la considération que l’espèce à laquelle un animal appartient, par exemple l’espèce humaine, n’est pas un critère pertinent pour établir les droits qu’on doit lui accorder. Cela ne veut pas pour autant, dire, pour l’immense majorité des antispécistes, qu’une même dignité et des droits identiques soient conférés aux hommes et aux animaux, mais qu’au moins le droit de ne pas être tués inutilement leur soit conféré. Cela ne signifie pas pour autant ne plus accepter la mort de manière générale et donc être transhumaniste mais simplement refuser les morts inutiles d’animaux.

    Pour les OGM, l’agriculture cellulaire et autres biotechnologies : un végan peut y être opposé comme il peut y être favorable. A partir du moment où ces produits n’impliquent pas d’exploitation animale, le véganisme n’a rien à dire dessus. « Un végan » n’est pas « Le véganisme ». A nouveau cette généralisation abusive est outrancière.

    Je ne parle même pas des délires consistant à apparenter les antispécistes à des idéologues intransigeants, voire pire, à des sortes d’apprenti sorciers, dont le but serait de modifier génétiquement les plantes, les animaux, et même les humains ! comme Gwendoline Soublin se plaît à l’imaginer, en humanisant les animaux et animalisant les humains par des greffes d’organes.
    Ce procédé ridicule n’est en fait qu’une tentative de déshonneur par association (selon laquelle un antispéciste serait forcément pro-OGM et transhumaniste). Et pas très subtil en plus. Gwendoline Soublin manque cruellement de nuances dans son approche, qui n’est rien d’autre qu’un sophisme par association.

    Cette facilité à sombrer dans la paresse intellectuelle consensuelle manque de panache, et ne mérite finalement que l’indifférence, tant Gwendoline Soublin, en idiote utile du grand capital, s’efforce (consciemment ou non) de conforter la majorité productiviste déjà convaincue que le statu-quo sera toujours préférable au monstrueux monde que les dangereux antispécistes pro-OGM et transhumanistes voudront imposer ! A croire que Paul Ariès est son visiteur du soir….

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