“Quand j’aurai mille et un an” : Jérôme Wacquiez donne vie augmentée au texte de Nathalie Papin

“Quand j’aurai mille et un an” : Jérôme Wacquiez donne vie augmentée au texte de Nathalie Papin
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Jérôme Wacquiez donne une jolie vie augmentée à Quand j’aurai mille et un an, de Nathalie Papin, qui confronte le désir de longue vie d’une enfant et le projet transhumaniste de la science. Un spectacle tous publics, à la scénographie bien sentie, au propos tout en nuances, avec une Makiko Kawaï en clef de voûte réjouissante.

Nathalie Papin, autrice majeure de la littérature théâtrale à destination (entre autres) de la jeunesse, a écrit Quand j’aurai mille et un an pour la compagnie des Lucioles, troupe de l’Oise dirigée par le metteur en scène Jérôme Wacquiez.

Il n’est pas question de revenir longuement sur le texte comme tel, mon collègue Frédéric Dieu l’ayant fait longuement, avec la belle profondeur qui caractérise chacune de ses critiques. Rappelons simplement que Quand j’aurai mille et un an raconte l’histoire d’une petite fille de dix ans – ou plutôt de onze ans, puisque l’histoire débute le jour de son anniversaire –, migrante qui atterrit après un naufrage au fond de l’eau, dans une bulle du futur. Là, elle y rencontre Milli, garçon de mille ans, premier spécimen accompli du projet transhumaniste, et Furoufushi, vieille scientifique muette de cent vingt-cinq ans.

Tout doit disparaître !

Les enjeux sont clairement identifiés : la question de l’âge, de l’immortalité, du manque et de l’accomplissement des fantasmes humains. Frédéric Dieu, dans son analyse, montre bien la place majeure des expressions « pas ou plus besoin » et « ça va disparaître », qui transforment le manque nécessaire au cœur de l’homme, donc le désir, à l’apathie existentielle, plus proche d’une forme de bouddhisme qui ne conçoit l’être, donc le désir, que comme un accident temporaire du Tout, que du stoïcisme antique.

Ainsi écrit-il :

« Pas ou plus besoin des parents, pas besoin de lumière du jour, de rayon du soleil, pas besoin de dormir, pas besoin de mourir et pas besoin donc d’avoir des enfants pour remplacer ceux qui sont morts, finalement plus besoin de corps. Et, ça va disparaître – les limites, les descendants, la vieillesse (car on avancera en âge sans vieillir grâce aux vertus rajeunissantes procurées par les méduses), la faim, l’amour…

Restera donc une existence sans douleur et sans joie, sans joie plus belle de s’être levée sur la douleur. Restera donc une impassible perpétuité. »

En face de lui, devant cette mentalité qui n’est pas sans rappeler la frénésie des soldes censées éradiquer nos pulsions sans qu’aucun désir profond ne soit assouvi, il y a le corps et le cœur remplis de souhaits de Cendi, ceux physiques de repousser les limites – respiration sous l’eau, durée de vie –, ceux tout simplement humains de vivre sous le soleil (totalement absent de la pièce) auprès des siens, de tirer la langue ou de sauter à l’élastique…

Dans la bulle scénographique

La scénographie d’Anne Guénand, les costumes de Florence Guénand aussi bien que le choix des acteurs donnent à cette confrontation toute sa mesure. Là où parfois le texte pouvait nous sembler plus faible, Jérôme Wacquiez et ses acteurs lui offrent un plein relief. Le décor principal consiste en une structure métallique et parfois luminescente formée de trois arcades de plus en plus grandes à mesure qu’on s’approche du public, à la manière d’une tente de camping.

Au fond, une vaste toile blanche ferme cette bulle du futur, à la fois passage vers l’immensité de la mer et lieu de projections, de vidéos représentant requin, méduses, poissons, etc., et des ombres des personnages lorsqu’ils s’aventurent derrière la toile, donc sous l’eau. Un tapis bleu au sol, parsemés de quelques cailloux côté jardin et au fond de la bulle, une boule jaune représentant un oursin doté d’épines.

D’emblée, à mesure que Jérôme Wacquiez déploie ses effets, nombreux et pourtant simples, évidents, nous y sommes, sous l’eau, dans cette bulle.

Basile Yawanké et Alice Benoit tout en contraste

Basile Yawanké et Alice Benoit incarnent tout en contraste Mili et Cendi. Les deux enfants, avec la vieille scientifique, sont représentatifs de la diversité humaine, puisque Basile Yawanké est Togolais, Alice Benoit Française et Makiko Kawaï, qui incarne Furoufushi, Japonaise.

Alice Benoit donne à Cendi une tension vitale imprégnée de candeur, entre désir d’enfant, si lumineux et plus vrai que bien des revendications d’adultes, et bouderie de gamine : « T’es qu’une teigneuse ! », lui lance de temps à autre Mili, déconcerté par temps de mouvements contradictoires, lui qui ne ressent rien. Basile Yawanké déploie une belle palette de jeu au service de Mili, le seul à véritablement évoluer au fil des scènes, passant de la certitude programmée au trouble amoureux.

Makiko Kawaï en clef de voûte de la pièce

Mais la plus belle surprise de cette mise en scène – outre les nombreuses trouvailles techniques pour recharger en électricité Mili ou pour produire tel ou tel effet lumineux – réside dans le personnage à la fois terrifiant et désopilant de Furoufushi, qui offre un tiers bienvenu à ce face à face enfantin qui aurait pu devenir, à terme, insipide. Comment jouer une vieille femme muette, présente d’un bout à l’autre de la pièce ? Makiko Kawaï nous offre une réponse quasi exemplaire, mi-sorcière au rire glaçant, mi-protectrice aux attentions constantes.

Nul doute que sa formation au côté de Satoshi Miyagi lui a été profitable. Le metteur en scène japonais, invité à deux reprises à Avignon, privilégie le dédoublement des personnages : chaque rôle est assuré par deux comédiens distincts, le premier qui joue le corps, le second qui interprète la parole. Chaque comédien doit ainsi savoir n’être qu’un souffle sans mouvement scénique ou qu’une enveloppe corporelle sans voix.

Makiko Kawaï se situe dans un entre-deux : si elle n’a plus de parole à prononcer, à la manière de ces vieux qui « ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux », pour reprendre la chanson de Jacques Brel, elle a bien une voix, qui chante, rit et pousse de vifs cris aigus, métalliques. Makiko Kawaï est la clef de voûte de la pièce, supportant les deux côtés de l’arc formés par les enfants en confrontation. Elle apporte une tonalité précieuse, un décalage humoristique bienvenu (qu’il est bon de rire quand le thème abordé est si crucial !), ainsi qu’une profondeur méditative en marge de l’échange verbal de Mili et Cendi.

Et l’enfant dans tout ça ?

À l’Institut del Teatre de Barcelone, où viennent d’avoir lieu trois représentations, les nombreux enfants présents dans la salle restent captivés, silencieux, avant que les questions ne fusent à l’issue de la pièce, en présence des artistes et de Nathalie Papin elle-même. Ont-ils compris tous les enjeux ? Probablement pas. Les questions portent essentiellement sur le silence de Furoufushi et sur le côté luminescent de Mili, c’est-à-dire sur des enjeux scéniques, sur des choix artistiques d’écriture et de mise en scène, signe que l’acte théâtral prime (heureusement !) sur le discours.

La graine est semée. Pour peu que les parents assistent à la représentation (ils y trouveront bien du plaisir) et prennent le temps d’en parler avec leur progéniture, voilà qui non seulement devrait donner lieu à un bel échange, mais permettre encore d’aborder des sujets capitaux – la mort, le transhumanisme, le désir, la vulnérabilité, l’amour – à un âge où beaucoup se posent des questions vertigineuses, que ce soit sous forme symbolique ou déjà plus théorique.

Pierre GELIN-MONASTIER

 



Spectacle : Quand j’aurai mille et un an

Création : 2018

Durée : 1h10

Langue : français

Public : à partir de 7 ans

Texte : Nathalie Papin (publié chez L’école des Loisirs)

Mise en scène : Jérôme Wacquiez

Avec Makiko Kawaï, Alice Benoit, Basile Yawanké

Assistant mise en scène : Christophe Brocheret

Scénographie : Anne Guénand

Vidéaste : Yuka Toyoshima

Costumes : Florence Guénand

Création sonore : Nicolas Guadagno

Création lumière : Benoît Szymanski

Diffusion : Astrid Usai – contact@compagnie-des-lucioles.fr et +33 6 95 22 21 78

Compagnie : Lucioles

Crédits photographiques pour la Une : Ludovic Leleu

En téléchargement


OÙ VOIR LE SPECTACLE ?

Spectacle vu le 13 février à l’Institut del Teatre à Barcelone (Espagne)

– Aucune date connue à ce jour.

Tournée.

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