Rima Abdul Malak : “Toutes les musiques se valent, je ne fais pas de hiérarchie dans la culture” (2/2)

Rima Abdul Malak : “Toutes les musiques se valent, je ne fais pas de hiérarchie dans la culture” (2/2)
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La ministre de la Culture a également défini et défendu le « macronisme culturel », dans une interview pour France Culture.

Nous avons évoqué la semaine dernière les relations entre Rima Abdul Malak et la littérature, et plus précisément le secteur du livre, rentrée littéraire oblige. Place désormais au spectacle vivant, à l’audiovisuel et au cinéma.

Difficile pour la nouvelle ministre de passer à côté de l’occasion de montrer son soutien à des événements qui vivent de graves difficultés depuis plusieurs années, entre les encadrements sécuritaires renforcés et les restrictions politiques mises en place au moment de la crise sanitaire. « En France, il y a plus de 7 000 mille festivals à l’année, contre 600, à peu près, il y a trente ans, explique-t-elle. On a cet ADN de la France l’été, qui repose beaucoup sur les festivals qui attirent énormément de jeunes, des populations internationales, des touristes… »

Pas de hiérarchie dans la culture

C’est pourquoi, cet été, Rima Abdul Malak était de toutes les fêtes artistiques ! Elle s’est non seulement rendue dans les festivals importants d’Avignon pour le théâtre, d’Aurillac pour les arts de rue, d’Aix-en-Provence pour les arts lyriques, aux Vieilles Charrues à Carhaix-Plouguer (Bretagne) pour les musiques actuelles ou au Hellfest à Clisson (Loire-Atlantique) pour « les musiques dites extrêmes, le métal », mais a également visité des événements moins connus tels que le festival d’Artagnan à Lupiac, petit ville du Gers et terre natale du plus célèbre mousquetaire.

Saluant de manière particulière la présence et l’engagement des bénévoles, la ministre s’est ensuite risquée à une analyse générale des genres musicaux, à l’invitation du journaliste Guillaume Erner. Refusant de distinguer entre musique cultivée et musique populaire, Rima Abdul Malak évoque une seule et même appartenance « à la culture, à l’ouverture à l’autre, au monde », oubliant au passage une distinction qui aurait pourtant été indispensable dans le cas présent, celle entre la culture, qui vise la dignité humaine et les relations entre les personnes, et les arts, qui obéissent à d’autres enjeux, ne seraient-ce que d’apprentissage.

Dans le cas présent, la ministre ne juge les arts  réunis sous le vocable nébuleux de « culture », dont on ne sait trop de quoi il s’agit faute d’être défini  qu’au prisme du bonheur individuel, de la satisfaction pour soi. « Pour moi, toutes les musiques se valent, insiste-t-elle. Chacun peut trouver son bonheur… Moi, j’ai grandi autant avec la musique classique qu’avec le hard rock. Grâce à la radio, grâce à l’audiovisuel public, grâce à cette diffusion en France, nous avons accès à la musique, à toutes les musiques… Donc, chacun peut y trouver son bonheur. Moi, j’écoute moins de rap, mais je respecte tous ceux qui en écoutent et je trouve qu’il y a de la vitalité dans le rap aujourd’hui. Je ne fais pas dire hiérarchie dans la culture. »

Macronisme culturel : un relativisme assumé

Elle rejoint en ce sens le relativisme culturel d’un Emmanuel Macron qui, avec un dispositif tel que le Pass culture, mesure phare et quasi unique de son double quinquennat (à l’exception des mesures initiées par ses prédécesseurs), a réduit les politiques culturelles à un catalogue d’offres à acheter, c’est-à-dire à une triviale logique marchande, sans visée éthique, sans exigence citoyenne, sans discernement pédagogique.

Ainsi que l’écrivait Jean-Michel Lucas, dans une chronique qu’il faudrait lire et relire pour se rappeler lex exigences que devrait avoir toute politique culturelle publique : « Il n’est qu’un service privé de satisfaction de consommateurs individuels, indifférents aux labels “de qualité” pourtant estampillés par le ministère de la Culture ! Le pass culture est, au fond, une sorte de dispositif d’autodestruction de l’idée même de ministère de la Culture ! »

Il n’est dès lors pas étonnant d’entendre Rima Abdul Malak défendre le « macronisme culturel » : « La vision d’Emmanuel Macron pour la culture est, pour moi, à la fois ancrée dans l’Histoire et tournée vers l’avenir, s’enthousiasme-t-elle. C’est une vision qui fait dialoguer le patrimoine et la création, et qui pense la souveraineté culturelle de la France. Pour Emmanuel Macron, et je partage complètement cette vision, la voix de la France dans ce monde numérique qui s’accélère de plus en plus et qui se bouleverse incessamment, comment la porter, comment la faire vivre, comment la faire exister ? »

Souveraineté culturelle : du simple made in France ?

L’air de rien, il n’est plus question ici de l’égalité entre les musiques, de la non hiérarchie dans la culture, sur laquelle l’interrogeait initialement Guillaume Erner lorsqu’il évoquait le « macronisme culturel ». Place désormais à la promotion du bilan du chef de l’État.

« Un des tournants historiques du précédent quinquennat, c’est d’avoir obligé les plates-formes – Netflix, Disney, Amazon…  à contribuer à la création cinématographique et audiovisuelle française, donc à mettre 20 % minimum de leur chiffre d’affaires dans la production française, développe la ministre. Ça, c’est vraiment pour moi aussi important que la création du Centre national du cinéma après la guerre […] C’est un combat qu’Emmanuel Macron a porté au niveau européen. »

Il est incontestable que cette contribution des plates-formes est notamment à mettre au crédit du président français, même s’il ne faut pas oublier que cela ne s’est pas fait sans contreparties, à commencer par une révision importante de la chronologie des médias (l’ordre de sortie des films sur les différents supports d’exploitation : cinémas, dvd, télévision, streaming, etc.) qui pourrait menacer à terme des pans entiers de l’industrie cinématographique.

Cette contribution, quoi qu’il en soit, participe selon Rima Abdul Malak de « cette souveraineté culturelle » – sans que l’on sache, une fois de plus, ce que signifie exactement ce terme de « culturel », sinon qu’il s’agit d’une autonomie de production audiovisuelle en France.

L’accès à la culture : quand en finira-t-on ?

La suite de l’échange entre le journaliste et la ministre vire à la catastrophe, dans une méconnaissance totale des droits culturels qui ont force de loi. « Il y a une partie des Français qui ont moins accès à la culture », explique Guillaume Erner, avant de poursuivre sur la mission du ministère de favoriser « la culture pour tous » et « la culture pour chacun », croyant apporter une subtilité insoupçonnée quand l’une et l’autre formule sont tout à fait consternantes, chacun étant au contraire – selon les mêmes droits culturels – une culture.

L’énormité est énoncée dans la question, mais la ministre ne la relève pas ; plus encore, elle assume avec un « bien sûr » déconcertant cette vision d’une culture à apporter à ces pauvres gens, au premier rang desquels elle place la jeunesse. Une tarte à la crème sur laquelle nous ne nous étendrons pas, d’autant moins que la ministre relie l’éducation artistique et culturelle au fait que les jeunes sont « les publics de demain », comme si l’enjeu de l’EAC était la préservation d’un pré-carré pour les artistes et leurs productions (en d’autres termes : formatons au plus tôt les jeunes de sorte qu’ils fréquentent nos salles demain), quand seules la dignité et les relations d’humanité devraient être au cœur du propos.

On est loin, bien loin d’avoir changé de logiciel.

Élodie NORTO

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