“Ruy Blas” par Yves Beaunesne : quand le drame romantique fait écho à la crise sociale

“Ruy Blas” par Yves Beaunesne : quand le drame romantique fait écho à la crise sociale
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Yves Beaunesne, directeur de la Comédie Poitou-Charentes, met en scène un Ruy Blas qui fait écho à notre monde contemporain. À ne pas rater…

Spectacle vu au théâtre de la Croix-Rousse à Lyon

Avant de créer Ruy Blas, Victor Hugo, auteur déjà reconnu, poète et romancier salué par la critique et par le public, avait dès 1827 synthétisé l’attente d’un nouveau théâtre dans la préface de Cromwell, expliquant que le monde moderne demandait une dramaturgie plus à même de refléter toute la vie, du sublime au grotesque, sans séparation des genres : il s’agissait donc selon le jeune dramaturge de briser les règles du théâtre classique. Trois ans plus tard a lieu la fameuse bataille d’Hernani qui voit la victoire des gilets rouges, à savoir les partisans du drame romantique – parmi lesquels Théophile Gautier et Alexandre Dumas. Le drame romantique était né.

Ruy Blas sera donc créée en 1838 : l’intrigue se déroule en Espagne au XVIIe siècle et relate notamment une histoire d’amour entre un valet, Ruy Blas, et la reine d’Espagne, les « deux lyres qui se répondent […] en un lyrisme qui soulève le public d’un coup d’aile », selon l’expression de Zola. Mais outre ce lyrisme, ce qui importe dans le drame romantique est justement qu’une reine puisse être amoureuse d’un valet. C’est ce qui frappe le metteur en scène Yves Beaunesne lorsqu’il décide de s’atteler à son travail sur cette pièce. Il y a pour lui, dans cette œuvre de Victor Hugo, « qui se montre si proche de nous dans sa sensibilité aux désordres du monde, un conte de fée – un valet qui aime la reine et devient son Premier ministre – un mélodrame, […] une tragédie sociale, […] un drame romantique – puisque l’homme du peuple a le génie pour couronne, sa place n’est plus dans les marges ou les bas-fonds, mais au sommet de la société- ou une comédie ». Ainsi travaille-t-il avec ses comédiens sur le caractère comique, voire parfois burlesque des répliques. Les comédiens s’en donnent d’ailleurs à cœur-joie et Noémie Gantier, qui incarne la reine, propose dans une scène un travail sur le corps digne des plus grands acteurs burlesques.

Le drame romantique : l’étincelle théâtrale moderne

Dans sa préface à Ruy Blas, Victor Hugo écrit : « On le voit ; le drame tient de la tragédie par la peinture des passions, et de la comédie par la peinture des caractères. Le drame est la troisième grande forme de l’art, comprenant, enserrant et fécondant les deux premières. […] De cette façon les deux électricités opposées de la comédie et de la tragédie se rencontrent et l’étincelle qui en jaillit, c’est le drame. »

Le drame est donc, au XIXe siècle, le théâtre de la modernité, le théâtre qui surprend. La mise en scène d’Yves Beaunesne surprend également immédiatement les spectateurs puisque les premières répliques de la pièce – « Ruy Blas, fermez la porte, – ouvrez cette fenêtre » – lancées par Don Salluste éclatent alors que la lumière est encore allumée, surprenant ainsi les spectateurs. Puis, Ruy Blas entre par la salle, surgissant au milieu des spectateurs, tandis que Don Salluste apparaît sur le plateau nu. Cette entrée en scène n’est pas anodine : Ruy Blas est dès le début placé du côté du public, de la foule, de tout le monde.

Or Victor Hugo a expliqué avoir voulu représenter ce que l’« on voit remuer dans l’ombre, quelque chose de grand, de sombre et d’inconnu : […] le peuple. Le peuple qui a l’avenir et qui n’a pas de présent ; […] ayant sur le dos les marques de la servitude et dans le cœur les préméditations du génie […]. Le peuple, ce serait Ruy Blas. »

Et c’est précisément ceci, cet aspect social que le metteur en scène cherche à mettre en évidence. Selon lui, ce qui donne à la pièce son éternelle modernité est son aspect social. Pour lui, Ruy Blas est celui qui est arrivé en haut de l’échelle sociale mais qui est précipité dans le vide par un patron tout-puissant. C’est aussi l’homme du peuple qui lutte farouchement contre la corruption des gens de pouvoir. Ceci est notamment montré admirablement dans la fameuse scène où Ruy Blas surprend les ministres du palais se querellant pour obtenir les plus vils privilèges. Ici, les ministres portent tous des masques d’animaux, ce qui permet de jouer sur l’aspect répugnant de leur attitude et de leur geste. L’entrée en scène du valet est d’autant plus lourde de sens ; ses vers : « Bon appétit ! Messieurs ! Ô ministres intègres ! / Conseillers vertueux ! Voilà votre façon / De servir, serviteurs qui pillez la maison », résonnent d’une façon étonnamment moderne aux oreilles des spectateurs.

La petite musique hugolienne…

Enfin, la grande réussite de la pièce tient à sa musicalité. Ruy Blas a été écrite en alexandrins : ce qui pour certains comédiens constitue une difficulté, devient ici un véritable atout. En effet, les vers ne sont ni malmenés, ni « abîmés », mais au contraire dits de telle façon qu’ils en sont magnifiés : c’est bien la poésie de Victor Hugo qui retentit ici.

Par ailleurs, ce « chant » des vers est doublé de moments musicaux, de véritables chants qui, loin d’être des parenthèses inutiles, permettent au contraire de travailler sur la « couleur locale » espagnole, sur l’émotion ou sur la présence d’un peuple coloré qui s’oppose au pouvoir.

Tout sonne « vrai » donc dans cette mise en scène et, comme le disait Hugo lui-même, « la vérité absolue n’est que dans l’ensemble de l’œuvre. Que chacun y trouve ce qu’il y cherche, et le poète […] aura atteint son but. Le sujet philosophique de Ruy Blas, c’est le peuple aspirant aux régions élevées ; le sujet humain, c’est un homme qui aime une femme ; le sujet dramatique, c’est un laquais qui aime une reine. »

La mise en scène d’Yves Beaunesne fait bien émerger cette vérité absolue : grâce à un travail sur l’espace, sur les costumes – mention spéciale aux robes de la reine et de sa servante – et au jeu extrêmement précis des comédiens, c’est à la naissance de cette étincelle – que le dramaturge appelait de ses vœux dans la préface de sa pièce – que nous pouvons assister…

Virginie LUPO



Renseignements & Distribution

Spectacle : Ruy Blas
Création : le 28 juin 2019 aux Fêtes Nocturnes du Château de Grignan
Durée : 2h15
Public : à partir de 14 ans

Texte : Victor Hugo
Mise en scène Yves Beaunesne
Avec Thierry Bosc, François Deblock, Zacharie Feron, Noémie Gantier, Fabienne Lucchetti, Jean-Christophe Quenon, Maximin Marchand, Guy Pion, Marine Sylf
Musiciennes : Anne-Lise Binard, Elsa Guiet
Collaboratrice artistique : Marion Bernède
Scénographie : Damien Caille-Perret
Lumières : Nathalie Perrier
Création musicale : Camille Rocailleux
Création costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
Dramaturgie : Jean-Christophe Blondel
Assistanat à la mise en scène : Pauline Buffet, Laure Roldàn
Maquillages et coiffures : Cécile Kretschmar

Crédits photographiques : Guy Delahaye



Où voir le spectacle ?

– 8 au 18 janvier 2020 : théâtre de la Croix-Rousse
– 22 au 26 janvier 2020 : théâtre Montansier à Versailles
– 7 et 8 février 2020 : au théâtre Molière à Sète
– 26 février au 15 mars 2020 : théâtre Gérard-Philippe à Saint-Denis
– 24 et 25 mars 2020 : théâtre auditorium de Poitiers

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Noémie Gantier dans Ruy Blas, mes Yves Beaunesne (crédits : Guy Delahaye).



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