Salut à toi, Hydre aux gênes ! Salut à toi, Apache !

Salut à toi, Hydre aux gênes ! Salut à toi, Apache !
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L’hydrogène se présente de plus en plus comme une solution merveilleuse, d’autant qu’elle souhaite rendre hommage à la fois au Dieu Climat et à la Fée Transition. Si l’on peut effectivement parier sur l’hydrogène, de nombreuses questions – économiques, scientifiques, sécuritaires, etc. – restent en suspens, demandant du temps et de la prudence.

Actualités de l’économie sociale

Je viens d’assister à une vidéo-conférence consacrée à l’hydrogène. Il s’agissait en fait d’une pure opération de com, de style spectacle de foire, mettant aux prises le patron du journal Les Échos et le PDG d’Air Liquide, Benoît Potier. Tous deux sans cravate, faussement familiers. Comme je pouvais le craindre, mes questions sont restées sans réponse, n’ayant pas même été explicitement posées. Mais, en décryptant le non-dit et la manière, par-delà les sourires de convenance et les dialogues arrangés, je pense pouvoir en tirer quelques conclusions intéressantes.

D’une façon générale, le ton était résolument à l’optimisme. Ce n’est pas plus mal, et cela tranche d’avec les discours catastrophistes dont on nous abreuve du matin au soir. Bertrand Piccard, appelé quelques minutes comme compère, a affirmé et martelé sa confiance dans la technologie. Il n’a pas hésité à dénoncer la tragédie sociale que serait la décroissance, à plaider pour un franc renouveau industriel, allant jusqu’à prophétiser que « le chemin de progrès que nous avons parcouru depuis deux siècles, en polluant tout autour de nous, nous pouvons le refaire, cette fois en restant propres ». Tout cela sans trop nous mener en ballon ou en bateau solaire.

Ce genre de message est effectivement plus agréable à entendre que les annonces anxiogènes et culpabilisantes. En se voulant rassurant et encourageant, l’hydrogène peut marquer des points ; pas plus qu’on n’attrape les mouches avec du vinaigre, on ne séduit le consommateur par des menaces, des punitions ou de la géhenne. Tant pis pour ceux qui ne l’ont pas compris. Ceci étant, au-delà du sirop d’orgeat, quelles sont les perspectives affichées, et surtout quel est le pari ?

Benoît Potier attaque par ce que nous connaissons le mieux : notre voiture. Nous avons largement dépassé le stade du prototype, explique-t-il, et cela fait déjà trois ans qu’il prend chaque matin une voiture à hydrogène pour rejoindre son bureau. Certes il ne nous dit pas si c’est au prix d’une Rolls, ou déjà un peu en-dessous. On sent bien néanmoins que c’est encore cher, très cher. Cependant il nous annonce pour bientôt une flotte de 600 taxis à hydrogène à Paris. Nous verrons bien.

Ces véhicules présentent tous les avantages de la voiture électrique, sauf les inconvénients liés aux batteries. Ce sont en fait des voitures électriques, mais l’électricité est produite à bord grâce à une pile à combustible, fonctionnant au carburant hydrogène selon le principe inverse de l’électrolyse de l’eau, ce qui leur confère une autonomie comparable, voire supérieure, à celle des routières Diesel.

Tout pour plaire, donc. D’ailleurs, l’Europe aurait d’ores et déjà perdu la bataille technologique de la production en masse des batteries ; inutile de s’accrocher aux combats du passé, il faut gagner ceux de l’avenir.

Mais Benoît Potier est tout de même obligé de reconnaître que, si la mariée est très belle, il ne lui a pas encore mis la bague au doigt. L’hydrogène a des propriétés physiques et chimiques qui rendent délicates sa manutention et sa distribution. Il faudra commencer par les transports lourds, les trains, les camions, puis les bateaux, voire les avions, pour installer les premières stations-service, où les automobiles pourront aussi aller se servir, mais à titre complémentaire. Ensuite, on pourra songer à mailler les autoroutes, mais avec un seuil minimal de fréquentation qui sera assez élevé. Ce n’est donc pas à court terme que nous pourrons trouver une pompe à hydrogène tout près de chez nous.

Quant à la production de la molécule, si on sait depuis longtemps que tout atome de carbone qui se respecte préfère s’entourer de deux atomes d’oxygène que de quatre atomes d’hydrogène, cette opération dite « reformage du méthane » qui ne coûte pas cher a le défaut, aujourd’hui rédhibitoire, de produire du gaz carbonique. Alors, il y aurait une solution, coûteuse s’il en est, qui est de séparer le CO2 et de le séquestrer. On ne sait pas encore très bien comment faire. Il faudra investir des moyens considérables en recherche pour ce qui ne sera finalement qu’un sacrifice au Dieu Climat, puisqu’on n’aura rien produit.

L’autre mode de production envisagé tient à la malédiction liée au solaire et à l’éolien, qui est leur intermittence. Ces sources peuvent ne rien produire quand on a besoin d’énergie, ou au contraire en débiter à foison au moment où la demande est réduite. Or on ne sait pas stocker l’électricité quand il y en a beaucoup. Charger des batteries ne permet pas d’aller très loin ni de tenir très longtemps. Remonter l’eau dans les barrages ne vaut que tant que ces barrages ne sont pas pleins. Par bonheur, notre ami Gaston Lagaffe a trouvé la solution miracle que tout le monde attendait : utilisons cette électricité excédentaire pour produire de l’hydrogène, lequel peut ensuite être facilement stocké.

Quelle bonne idée, en vérité. Hélas, le méthane ne s’électrolyse pas, et l’eau très difficilement. Pour arriver à la décomposer, il faut lui ajouter quelque chose, par exemple de la soude, et les rendements restent faibles. On récupère l’hydrogène, mais on laisse filer l’oxygène, et ça c’est une offrande gratuite aux Dieux, qui n’en demandaient pas tant. Benoît Potier nous explique qu’il y a des voies prometteuses à explorer, pour s’en sortir à meilleur coût grâce à des membranes miraculeuses, mais là encore au prix d’un effort colossal de recherche.

Autrement dit, si l’on parvient à faire descendre significativement le coût de fabrication des piles à combustible, si l’on se contente d’hydrogène sale et si l’on ne vise que les transports lourds, on pourra rapidement remplacer le diesel par de l’hydrogène, et sans avoir à s’embarrasser de batteries. Mais si l’on veut équiper le parc des voitures particulières, ne produire que de l’hydrogène propre, et résoudre la question de l’intermittence du solaire et de l’éolien autrement que par la construction de centrales pilotables au gaz, alors cela prendra du temps et cela coûtera très cher. Et il faudra que les États en prennent leur part, notamment par la fixation à un niveau élevé du prix du carbone.

Ce dernier point n’est qu’implicite, mais il en est deux autres qui ont été soigneusement cachés.

D’abord, celui de la sécurité. Certes, on a pu faire la preuve que, dans des conditions d’utilisation précautionneuses, le stockage et le transport de l’hydrogène sous très haute pression ainsi que son transfert d’un réservoir fixe à celui d’un véhicule peut se faire avec des risques convenablement maîtrisés. On a pu construire des caissons pouvant résister aux accidents de la circulation les plus violents. Mais quid de la sécurité vis-à-vis des actes de malveillance intentionnelle ? Il s’incendie chaque semaine, au gré des manifestations et de l’agitation des banlieues, plus de voitures que les statistiques ne peuvent en compter et les assurances en rembourser. Imaginez quelques véhicules à hydrogène dans le lot…

Je laisse de côté les risques purement industriels. En bonne logique, ce serait aux actionnaires de les apprécier. Ils ne sont pas outillés pour le faire, et le niveau des investissements en jeu est tel que, par la force des choses, les budgets publics seront sollicités. Et là, je me demande si de tels scénarios sont « soutenables ». Rien ne nous garantit contre les solutions économiquement les plus absurdes. Les entreprises qui s’en sortiront le mieux sont celles qui sauront s’installer dans les niches à profits d’un système globalement assis sur les déficits d’exploitation et le creusement des dettes, et qui sauront le mieux influencer les décisions des pouvoirs politiques dans le sens de leurs intérêts particuliers. Face aux idéologues de la transition énergétique, qui peut se prévaloir de discerner où est l’intérêt général ?

Le cas de l’éolien maritime est particulièrement caricatural. Nous sommes assaillis de belles images de ces futures machines, disposées en corps de ballet sur une mer enchanteresse et étendant leurs bras gracieux vers un ciel bleu azur. Or chacun de ces monstres marins devra reposer sur une tour faite de milliers de tonnes de béton. Quel groupe mondial de travaux publics pourra ne pas être alléché par un tel pactole ? Chacun redoublera de dévotions envers la Fée Transition. Qu’importe la rentabilité finale d’un parc éolien marin, du moment qu’il sert une cause sacrée ? Il suffira de garantir un prix attractif pour l’électricité produite, et qu’importe après, qui le payera ? Une banque centrale, pourquoi pas, au point où elles en sont ? Les pressions seront telles qu’il va bien s’en construire quelques-uns, de ces parcs, avant qu’on comprenne que c’est une catastrophe autant écologique qu’économique. D’ailleurs, vu ce qui se passe pour l’éolien terrestre, ce moment n’arrivera peut-être jamais. Et une fois ces parcs en fonctionnement, que ferons-nous de leur production intermittente en excès ? Le stockage par l’hydrogène s’imposera alors comme une solution évidente. Il suffira de manœuvrer les prix, les subventions, les exemptions fiscales, et bien entendu la taxe carbone, pour que tel ou tel élément du désastre global soit hautement rentable pour celui qui en sera attributaire.

Rien d’étonnant dès lors qu’Air Liquide fasse mine de tenir le développement de l’éolien pour un fait acquis hautement souhaitable. Rien d’étonnant à ce qu’il insiste sur la nécessité de porter le projet hydrogène au niveau européen, car c’est là que les autorités sont le plus sensibles aux pressions liées à la transition énergétique, le plus favorables à l’usage de la taxe carbone, le plus indifférentes à l’augmentation de la dette et de la pression fiscale dans les États membres.

Je ne crois pas cependant que des groupes comme Air Liquide n’aient au feu que ce fer-là. Ils savent bien que tous les pays ne sont pas sur cette même ligne de fuite devant les réalités intrinsèques qui font que des projets sont rentables et que d’autres ne le sont pas. Ils savent bien que les offrandes aux Dieux ne sont pas assurées d’un retour et que tout se paye. Ils savent bien que les aubaines que procurent les distorsions du marché ne durent pas longtemps et ne reposent sur rien de solide.

Personnellement je serais plutôt enclin à parier sur l’hydrogène. Mais il ne faut pas aller trop vite en besogne, et il ne sera en rien dramatique d’attendre vingt ou quarante années de plus que prévu ou espéré. En effet, l’hydrogène s’imposera naturellement quand les ressources fossiles en pétrole et en gaz s’approcheront réellement de leur fin.

Je termine ce rapide tour d’horizon en évoquant la question du vocabulaire. L’hydrogène ne deviendra réellement familier que quand il aura son sobriquet, un mot simple, court et expressif. Naguère on désignait sous le nom de « super » une essence dopée par un anti-détonant contenant du plomb, destinée aux moteurs à fort taux de compression. L’essor de l’automobile en France s’est accompagné de ce terme populaire et valorisant. On allait faire « le plein de super » et non d’octane adjuvé au plomb tétraéthyle.

Lors de la vidéo, il a été demandé à quelques étudiants de désigner l’hydrogène par un mot ou une expression. Une des suggestions m’a plu : l’hydrogène, c’est la rock star de l’énergie. Ce n’est pas ça qui remplacera le mot super, mais c’est bien trouvé. Je n’ai pas davantage d’imagination, mais je proposerais bien un acronyme pour Automobile à Pile À Combustible Hydrogène ; cela nous fait Apache. Qui sait ? Cela peut faire la fortune d’un publicitaire.

Philippe KAMINSKI

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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.



 

 

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