Suppression d’Arcadi : une affaire politique bien trouble

Suppression d’Arcadi : une affaire politique bien trouble
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Arcadi est un Établissement public de coopération culturelle (EPCC) basé en Île-de-France. Une menace pèse sur lui  : sa suppression pure et simple, le 31 décembre 2018, à la suite d’un raté quant à l’élection à sa présidence. Si certaines organisations professionnelles ont déjà fait savoir que cette fermeture était actée, nous attendons encore confirmation définitive de la part des instances officielles.

Valérie Pécresse en est l’unique décisionnaire et un collectif de partenaires culturels réunis dans La Charte a fortement contesté la disparition d’Arcadi. Cette situation remet en question le rôle de la présidente de région dans la politique culturelle locale, ainsi que la légitimité d’une décision unique à l’encontre d’organes professionnels et reconnus, dont le mécanisme et le rôle sont une affaire de groupe. Ici, il est question de démocratie bafouée et de l’effondrement possible d’un secteur, mais aussi d’économie budgétaire et de contradictions…

Si l’on s’interroge sur le bien-fondé de l’intervention de Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, dans le recrutement d’un nouveau directeur pour Arcadi, la problématique du pouvoir semble à l’évidence une nouvelle fois s’inviter dans les rouages de la politique culturelle, comme cela a pu se passer dans le cas de la scène nationale d’Aubusson et bien d’autres. Loin de dresser un bilan simpliste des effets de la centralisation du pouvoir sur les politiques régionales, il convient de regarder de plus près le rapport de la hiérarchie vis-à-vis de ceux qu’elle gouverne. La légitimité du pouvoir ne doit pas se substituer à celle du vivier artistique d’Île-de-France, au risque d’inverser les valeurs, alors que Valérie Pécresse semble avoir usé d’un certain autoritarisme.

Aux origines du conflit…

Il s’agit ici d’une mésentente d’abord structurelle puis démocratique, étant donné que le directeur escompté par Valérie Pécresse n’a pas obtenu les voix nécessaires à son élection, soulevant sa colère, après des mois de discussion sur la nouvelle trajectoire de l’EPCC d’Île-de-France. Celle-ci devait être menée par le directeur en question, ou un autre, la réglementation et la démocratie étant un élément clef du fonctionnement d’un EPCC.

Le 12 septembre dernier, Valérie Pécresse adressait un courrier à la ministre de la culture, annonçant son retrait d’Arcadi : « Prenant acte de l’impossibilité à mettre en œuvre les priorités régionales et face à ce désaccord de fond, c’est à contrecœur que la région se voit contrainte de quitter l’EPCC Arcadi. Au regard de la situation, l’État qui souhaite imposer ses vues sur la stratégie, le fonctionnement et la direction d’Arcadi, doit désormais prendre ses responsabilités et assumer la charge pleine et entière de cet EPCC. »

Mais revenons en arrière… En juin, le candidat de Valérie Pécresse, Alpar Ok, n’est pas élu. Il lui fallait douze voix, les 2/3 du CA, pour l’être. Le CA est composé de deux représentants de l’État, neuf de la région, dont cinq de la majorité nationale, quatre personnalités qualifiées, deux représentants du personnel et une personne de la mairie de Paris. La présidente de la région reproche donc à certains membres du CA d’avoir voté librement contre lui, dont les deux membres de la DRAC (représentants de l’État). Il faut savoir que l’élection faisait suite à de longues discussions sur un nouveau cahier des charges, établi début 2018, que le candidat désigné était chargé d’appliquer.

Une source proche du dossier* fait ainsi état d’une « accusation de la région Île-de-France vis-à-vis de l’État de ne pas avoir exigé des quatre personnalités qualifiées qu’elles votent en faveur du candidat qu’elle avait proposé pour la direction d’Arcadi ». Une accusation qui vaut pour une entrave à l’appareil démocratique, alors que pour elle, ces six voies perdues représentent une trahison. « La région a décidé de retirer ses apports financiers (88 % du budget), donc de la suppression de l’établissement, car l’un génère l’autre », conclut-elle.

« Il y a quelque chose de très concret qu’elle n’avait pas prévue, explique également Yves Godard, membre de La Charte, le fait que les personnes qualifiées arrivent en fin de mandat juste avant le CA. Ils avaient donc calculé que ces personnes ne seraient pas présentes le jour du vote et qu’il n’y aurait pas de problème de majorité pour le candidat qui les intéressait. À mon sens, le problème se situe là ».

Le jeu trouble de Valérie Pécresse

La réaction excessive de la présidente de région semble signifier que le plus important était l’élection d’Alpar Ok, et donc l’application de sa volonté, plus que de trouver une réelle solution pour appliquer le nouveau cahier des charges d’Arcadi. Ou bien était-ce l’occasion pour elle de faire pression sur l’État, afin qu’il reprenne à sa charge la structure, et de se dégager par là même d’un poids financier pour la région ? Alpar Ok n’aurait dès lors été qu’un pion dans sa stratégie pour justifier la suppression de l’EPCC.

Quoi qu’il en soit, un aspect du problème est bien politique, « dans le sens où l’aide à la diffusion et l’aide à la diversité n’est plus soutenue », souligne notre source*, mais aussi parce que « la région ne s’appuie pas sur des questions de fond, et d’éthique, mais sur le fait qu’étant le financeur principal, ce qu’elle est de fait, elle devrait pouvoir choisir un directeur sans que personne ne s’y oppose ». Un autre aspect demeure démocratique, car « si quelqu’un doit décider de la dissolution de l’organisme, c’est dans un commun accord des différents partenaires et dont l’administration doit prendre acte. Ce n’est pas un courrier de la présidente de la région adressée à la ministre qui peut décider de cela, s’insurge Yves Godard. La méthode est scandaleuse et n’est juridiquement pas acceptable. Si encore c’était un établissement un peu décrié dans la profession, mais ce n’est pas le cas ».

Par ailleurs, les propos de Valérie Pécresse ne correspondent pas toujours à la réalité, ce qui sème le trouble dans cette affaire. D’une part, elle déplore une divergence de vue vis-à-vis de l’engagement en faveur de l’EAC (éducation artistique et culturelle), les aides à la diffusion et à l’émergence des jeunes talents, qu’elle affirme soutenir plus que jamais, contrairement, selon elle, aux membres de la DRAC et aux personnalités qualifiées. Mais fait-elle vraiment en sorte de pouvoir maintenir Arcadi en place afin qu’il assure sa mission ? D’autre part, sa déclaration au sujet de la « reprise en direct » par la région de la mission d’Arcadi reste hypothétique, si l’on en croit le passif des trois agences culturelles fermées « pour lesquelles ils avaient annoncé qu’ils internaliseraient les salariés, assure notre source*, mais cela n’a pas été fait, donc nous savons très bien que ce n’est que de la communication ». À ce jour, les salariés d’Arcadi n’ont effectivement pas été informés d’une telle démarche.

Enfin, un dernier aspect questionne la connaissance réelle de Valérie Pécresse sur le rôle de l’EPCC ainsi que la possibilité d’internaliser son action. Selon notre source, son activité « a justement été pensée en dehors de la région, car cela ne peut pas être fait à l’intérieur d’une collectivité. La mission d’Arcadi est d’aider une équipe quand elle a du mal à être programmée dans un lieu, grâce à un soutien financier au moment où une date est signée, ce qui permet au spectacle de coûter moins cher. Ce travail là ne peut-être qu’extérieur à la collectivité puisqu’il arrive en complément ».

La décision de Valérie Pécresse n’est donc pas claire. Rude et incompréhensible, ce manque de souplesse pourrait coûter cher et amputer la région d’une partie de son éducation, de sa vitalité et de son activité artistiques. Il faut dire que la complexité de l’administration n’est pas pour aider dans l’élection d’un candidat, étant donné le nombre de partenaires à mettre d’accord. Pour l’heure, Arcadi attend une décision juridiquement valable quant à son avenir, si l’option de réunir à nouveau un conseil d’administration n’est pas à l’ordre du jour. Ce qui reste assez compromis.

Louise ALMÉRAS

En téléchargement :

Lettre de Valérie Pécresse à Françoise Nyssen (12 septembre 2018)

Réponse de Nicole Da Costa, DRAC, à Valérie Pécresse (21 septembre 2018)



* Le nom a été retiré à la demande de l’intéressé, en raison des évolutions récentes du dossier.



 

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