Un ‘‘Faust’’ tout en condensation : le pari percutant de Ronan Rivière

Un ‘‘Faust’’ tout en condensation : le pari percutant de Ronan Rivière
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Où sont passés les créatures mythiques qui peuplent l’œuvre de Goethe ? Elles n’apparaissent pas, sinon dans une ingénieuse mise en scène au sein de laquelle lumières et sons interviennent pour signifier le mystère, particulièrement l’occulte. Ronan Rivière resserre à l’extrême l’intrigue, pour en dégager les lignes de force ; cette condensation souligne avec succès l’esprit subtil de ce chef-d’œuvre littéraire qu’est Faust. Une adaptation osée et réussie.

À la manière de Philippe Person dans sa mise en scène d’Une maison de poupée de Henrik Ibsen, Ronan Rivière se risque à une proposition artistique centrée autour de cinq personnages : Heinrich Faust, Méphistophélès, Marguerite, Marthe Schwerdtlein et Wagner – que vient compléter un pianiste. Mais contrairement à Philippe Person, Ronan Rivière ne commet pas l’erreur de retirer un personnage (le docteur Rank) qui, apparemment secondaire, déséquilibre toute la structure dramaturgique par son absence. La seule disparition importante est celle de Valentin, qui a pour conséquence majeure de faire fuir Faust de la ville. Anecdotique corollaire

Diabolique paresse et exigence infaillible

D’entrée, l’introduction de Méphistophélès frappe juste – seule partie écrite par le metteur en scène lui-même. Servi par l’admirable traduction de Gérard de Nerval, Ronan Rivière est un démon d’une remarquable justesse, sans les fioritures grand-guignolesques qui appartiennent davantage au cabaret qu’à la subtilité du maître de Weimar. Au contraire, il développe un caractère presque falot, médiocre, à la limite du lourdaud, incarnant cette glaçante banalité du mal décrite par Hannah Arendt. Si Ronan Rivière glisse parfois – rarement – vers la gesticulation outrancière, il se reprend aussitôt pour s’abîmer dans une mesquine et judicieuse paresse.

Faust lui fait face, incarné par Jean-Benoît Terral au début de la pièce, puis par Romain Dutheil, après que Méphisto lui a accordé le don de la jeunesse. Jean-Benoît Terral assimile subtilement la tension de son personnage, entre l’amer désabusement devant la vanité des éléments et l’impérieuse exigence avec laquelle il confronte toute réalité.

C’est précisément sur cette exigence qu’il se fait attaquer par le diable paresseux. Faust apparaît comme un personnage déchirant parce qu’il n’est rejoint dans son exigence imprégnée de profonde désespérance que par le diable. Dans le même temps, Faut est le seul à pouvoir vendre son âme en conscience, avec exigence. Mais celle-ci est construite de toute pièce par lui-même, par le savoir qu’il a accumulé, par la volonté qu’il a mise à se bâtir une connaissance… Il est l’alpha et l’oméga de ce qu’il perçoit. Parce qu’il ne vit pas de relations intimes, il devient un être sans faille, ce que Charles Péguy nomme « une âme habituée » sur laquelle tout viendrait à glisser, sans jamais pénétrer le cœur.

Délicatesse et humour féminins

La rencontre seule ouvre une apparente brèche : la belle et prude Marguerite. La jeune femme est tissée de cette candeur tout entière ; sa faiblesse se joue précisément dans l’espace où l’exigence n’existe pas, remplacée par l’enfantine certitude. L’exigence est portée par sa mère, par le confesseur ; Faust intervient et trouble l’âme de la jeune fille en y distillant sa propre quête. Par un admirable alliage de la féminité et de la simplicité, Laura Chetrit interprète avec délicatesse ces changements de gestuelle, de la candeur au trouble, de l’angoisse à la folie.

Elle est accompagnée d’une truculente Marthe, partagée entre la grincheuse gouaille et la coquine facétie. Aymeline Alix apporte cette touche d’humour qui offre une respiration à l’approche du tragique dénouement ; si les finales sont parfois trop aigues, faute d’une pose de voix bien ajustée, sa performance s’insère harmonieusement dans l’ensemble, de même que celle du trop fugace Wagner (Jérôme Rodriguez).

Une mise en scène saisissante

Pour décor, un escalier démembré, dont les marches sont en bois usé et l’armature en acier : « Il forme des angles, des espaces, explique le metteur en scène. Il crée un labyrinthe manipulé par Méphistophélès pour perdre Faust et Marguerite… » Les comédiens ne cessent de monter et de descendre les marches, les échelles, voire la structure métallique qui sous-tend chaque partie de l’escalier, sans que leurs pas ne semblent jamais les mener quelque part. L’effet n’est pas sans rappeler le tableau-livre pliant et roulant que montaient ou descendaient les comédiens-acrobates de la pièce d’Aurélien Bory, créée lors du dernier festival d’Avignon : Espaece. Dans l’une et l’autre proposition artistique, l’effet est saisissant, astucieux, parce qu’il épouse le propos soulevé.

Musique et lumières créent une ambiance par surabondance : les remarquables compositions de Léon Bailly, qu’il interprète sur scène pendant la pièce, accompagnent savamment l’action scénique – parfois de manière millimétrée. Un jeu de lumières fouillé et intense ponctue également les différents actes avec pertinence, à l’exception de ces flashs de boîte de nuit qui annoncent le mal, comme dans ces films d’horreur caricaturaux et burlesques.

Athéisme jusqu’à ce que folie s’ensuivre

En optant pour la disparition des démons, à l’exception – évidemment – de Méphistophélès, en gommant toutes les manifestations spirituelles explicites, jusqu’à la célèbre voix de Dieu répondant au démon en finale de la pièce, Ronan Rivière accentue la folie des personnages pour lesquels nul salut ne peut advenir. Marguerite porte sa folie jusqu’à se croire elle-même sauvée, puisqu’elle prononce cette parole comme un mantra, sans recevoir de confirmation objective venue d’en-haut.

L’adaptation du jeune metteur en scène ajoute à l’athéisme balbutié intellectuellement par le personnage de Faust un athéisme manifesté théâtralement par l’adaptation qu’il a faite de la pièce de Goethe. L’absence du divin devient alors un choix dramaturgique qui ne laisse guère plus de place qu’au romantisme et – in fine – à la folie humaine, envahissante, massive – qu’elle soit psychique ou méphistophélique.

Pierre GELIN-MONASTIER



DISTRIBUTION

Mise en scène : Ronan Rivière

Texte : Johann Wolfgang von Goethe

Traduction : Gérard de Nerval

Avec

  • Aymeline Alix : Marthe
  • Anthony Audoux : Faust jeune (en alternance)
  • Romain Dutheil : Faust jeune (en alternance)
  • Laura Chetrit : Marguerite
  • Ronan Rivière : Méphistophélès
  • Jean-Benoît Terral : Faust âgé
  • Jérôme Rodriguez : Wagner (en alternance)
  • Olivier Lugo : Wagner (en alternance)

Musique : Léon Bailly

Créateur Lumière : Fantôme

Scénographe : Antoine Milian

Costumes : Corinne Rossi

Assistant mise en scène : Lucile Delzenne

Crédits de toutes les photographies de l’article : Benjamin Dumas

Ronan Rivière et Jérôme Rodriguez dans  »Faust » de Goethe – mise en scène Ronan Rivière (crédits photo : Benjamin Dumas)



DOSSIER TECHNIQUE

Informations techniques

  • Durée : 1h25
  • Public : à partir de 14 ans
  • Site internet : collectif Voix des Plumes
  • Contact diffusion : Pierre Beyffete au 06 62 63 36 69 et pb@scene-public.fr


OÙ VOIR LE SPECTACLE ?

Tournée

  • Du 15 décembre au 26 mars 2017 : théâtre Ranelagh (Paris)
  • 23 mars 2017 : Rousset

Toutes les dates du spectacle : collectif Voix des plumes.



 

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