“Xavier Dolan l’indomptable” : première biographie idéale d’un artiste de trente ans

“Xavier Dolan l’indomptable” : première biographie idéale d’un artiste de trente ans
Publicité

Laurent Beurdeley rassemble dans cette toute première biographie jamais consacrée à Xavier Dolan une documentation riche et abondante. Il lui manque néanmoins une triple distance, avec les faits et propos, avec le sujet artistique qui indéniablement fascine, et plus généralement avec l’histoire. 

Xavier Dolan a tout juste trente ans et déjà une première biographie vient de paraître, signée par un universitaire français, Laurent Beurdeley. Maître de conférences à l’Université de Reims, le chercheur s’intéresse habituellement – dit la quatrième de couverture – à la transition démocratique, à l’islam ou encore aux questions de genre. Ce sont probablement ces dernières qui l’ont conduit à s’intéresser à la personnalité du cinéaste canadien, tant elles sont au cœur de la biographie consacrée à celui qu’il appelle – après quatre ans à colliger tout ce qui a été publié à son sujet – « Xavier », tout simplement.

Dans diverses interviews, Laurent Beurdeley évoque un travail de quatre années. Il faut reconnaître que le travail effectué, ne serait-ce que parce qu’il est le premier à le réaliser, semble colossal : la moindre interview de Xavier Dolan, le moindre propos le concernant ou relatif à l’une de ses œuvres, non seulement des acteurs et proches mais parfois même d’inconnus sur les réseaux sociaux, se retrouvent dans cette masse indomptable d’informations.

Il a fallu des trésors de patience pour organiser cette manière. On le sait, on le répète : pour arriver à la simplicité, il faut des heures de patience, de persévérance. La vingtaine de chapitres écrits par Laurent Beurdeley pourrait être répartie en deux pôles simples et clairs : la première partie porte sur la vie et les thématiques majeures de Xavier Dolan, tandis que la seconde évoque œuvre par œuvre sa filmographie, jusque dans les détails.

La documentation est indéniablement abondante ; nous apprenons quantité de choses intéressantes, jusqu’alors fragmentées et disséminées en quantité d’endroits. Il faut rendre à Laurent Beurdeley le mérite qu’il a acquis à force de travail. Nous voyons toutefois trois faiblesses à son œuvre, liées systématiquement à un manque de distance.

Trois faiblesses

La première tient à la juxtaposition des faits et anecdotes, sans synthèse réelle. Certes les titres de chapitres donnent quelques axes, mais ceux-ci ne trouvent aucune assise dans le propos. Pourquoi ? Parce que le biographe se laisse ballotter par son sujet, au fil des déclarations et interviews, donnant souvent des éléments contradictoires sur un même sujet, ou livrant des informations qui retombent comme un soufflet, faute de compréhension plus globale. Laurent Beurdeley multiplie les faits : le moindre élément énoncé par Xavier Dolan dans une quelconque interview se retrouve dans la biographie, sans que nous sachions l’importance que revêt cet élément, sans connaître les raisons qui ont poussé le cinéaste à l’évoquer… Tout est ainsi nivelé, faute de distance. Or tout renseignement livré lors d’un entretien ne dit rien de son importance ni de sa véracité. Pour construire une biographie plus solide, il aurait fallu que son auteur ne s’en tienne pas qu’à des sources indirectes, qu’à du « seconde main », mais prenne le temps de rencontrer un maximum de proches, afin de croiser les informations et n’en garder que les plus substantielles.

Si la première faiblesse consiste en l’absence de recul quant à la matière, la deuxième tient au manque de recul quant à l’homme. Il y a un malaise à voir Laurent Beurdeley distribuer les bons et les mauvais points dès lors que Xavier Dolan se retrouve opposé aux politiques, aux journalistes, voire à des opposants idéologiques. Ceux qui connaissent des désaccords profonds avec l’artiste québécois (voire avec le biographe lui-même, dont on sent poindre par endroits le positionnement) se voient très vite caricaturés par le biographe : Éric Duhaime, Sophie Durocher, Mario Roy, Didier Péron, la Manif pour Tous, nombre de politiciens… Certains voient leurs propos cités, d’autres sont tout simplement ridiculisés ou réduits à des généralités faciles, qui évitent le respect d’un positionnement divergent. Lorsque Laurent Beurdeley écrit de Xavier Dolan que « rien ne l’insupporte plus que la mutilation et la manipulation de ses propos », on s’étonne qu’il fasse parfois de même avec ceux qui se trouvent en désaccord avec le cinéaste, voire avec lui. Lorsque l’on sent le biographe en accord avec un argument opposé à l’artiste québécois, on le voit a contrario présenter avec beaucoup d’honnêteté et de rigueur les tenants et les aboutissants du débat. Deux poids, deux mesures.

Enfin, troisième et dernière faiblesse, peut-être la plus fondamentale selon moi : l’âge du réalisateur, ou plutôt – car l’âge ne signifie rien en soi – le fait qu’il soit jeune et vivant. Les récits mythologiques nous montrent combien une histoire, pour être comprise en profondeur, nécessite de nombreuses relectures. Nous pourrions évoquer différentes fondations, dont celle de Rome. Mais un exemple est plus frappant encore, tant la relecture est constitutive du récit même, celui de l’Ancien Testament : les Hébreux ne cessent de relire leur parcours, jusqu’à leurs origines, à mesure qu’ils sont confrontés à la souffrance, à l’exil babylonien, à la destruction du temple… Ainsi le premier récit de la création (« Au commencement… »), le plus originel dans son propos, est-il le plus récent dans sa rédaction. Il en est souvent de même pour chaque personne. Nous passons bien du temps à relire notre vie, ce qui nous a fondés, ce qui nous a traversés… Une véritable et subtile relecture – du moins, autant que possible – ne peut advenir qu’à terme. Bien que déjà riche par ses œuvres, l’existence de Xavier Dolan n’est pas achevée ; peut-être même qu’il n’y a pas de compréhension profonde possible le concernant, ce qui expliquerait la fluctuation – voire les contradictions – dans ses propos.

Un travail encyclopédique

Redisons-le : le travail de rassemblement de la matière effectué par Laurent Beurdeley est important, du fait que personne ne l’avait fait avant lui. Ce livre fournit quantité d’informations intéressantes pour qui s’intéresse à Xavier Dolan et au cinéma contemporain. Reste qu’il est écrit par un admirateur, par un universitaire qui, curieusement, prend à la lettre le moindre propos, sans hiérarchiser l’information, sans en rechercher la synthèse. Ne pas rencontrer le cinéaste ni ses proches ne garantit pas l’objectivité ; au contraire, et Laurent Beurdeley nous le prouve une nouvelle fois, il existe bien des moyens d’être in fine hagiographique. On ne saurait le lui reprocher ; il aurait peut-être été juste de le préciser dès l’introduction.

Tous ceux qui adulent Xavier Dolan, rejoignent totalement ses positionnements idéologiques et admirent son cinéma se retrouveront dans la vision de l’indomptabilité voulue par le biographe. Nous ne pouvons que leur conseiller cette abondante biographie. Quant aux autres, ils trouveront toujours un intérêt à picorer dans l’un ou l’autre chapitre, car l’épais volume nous livre beaucoup de faits et propos jusqu’alors fragmentés, donc restés dans l’ombre.

Pierre GELIN-MONASTIER

.
Laurent Beurdeley, Xavier Dolan, l’indomptable, éditions du CRAM, 2019, 456 p., 22 €

.



 

Publicité

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *