La Comédie-Française placée sous “Haute Surveillance” : Cédric Gourmelon tout en sobriété

La Comédie-Française placée sous “Haute Surveillance” : Cédric Gourmelon tout en sobriété
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Dans une mise en scène épurée à l’extrême, porté par une efficace esthétique en clair-obscur, Cédric Gourmelon propose une interprétation intimiste de la pièce Haute Surveillance, de Jean Genet, au Studio Théâtre de la Comédie-Française. Si Sébastien Pouderoux peine parfois à auréoler la solitude de son personnage d’une gloire à la lumière ténébreuse, Jérémy Lopez et Christophe Montenez habitent avec puissance leurs rôles en opposition dramatique. La parole du « poète kleptomane » s’élève alors, déchirante comme une flamme noire.

« Si j’examine ce que j’écrivis, j’y distingue aujourd’hui, patiemment poursuivie, une volonté de réhabilitation des êtres, des objets, des sentiments réputés vils. De les avoir nommés avec les mots qui d’habitude désignent la noblesse, c’était peut-être enfantin, facile : j’allais vite. J’utilisais le moyen le plus court, mais je ne l’eusse pas fait, si, en moi-même, ces objets, ces sentiments (la trahison, le vol, la lâcheté, la peur) n’eussent appelé le qualificatif réservé d’habitude et par vous à leurs contraires. » (Jean Genet, Journal du voleur)

Faut-il parler de fascination ? Cédric Gourmelon ne cesse, au fil des années, de mettre en scène les textes de Jean Genet : son essai poétique Le Funambule, sa pièce Splendid’s, son poème Le Condamné à mort (mis en musique par Étienne Daho), celui-là même qui révéla l’écrivain au début des années 40. Et puis il y a Haute Surveillance, texte auquel le metteur en scène se confronte régulièrement, s’interrogeant « encore sur son mystère », de son propre aveu. Il en propose une nouvelle adaptation, la troisième, au Studio Théâtre de la Comédie-Française.

L’Homme élu de l’inexorable fatalité

La pièce s’ouvre sur une pièce sombre, saturée de pans noirs, jusqu’au sol que le surveillant, interprété par un Pierre Louis-Calixte volontairement blafard, balaye lentement, en un mouvement presque chorégraphique. La poussière est progressivement repoussée aux abords de la scène, pour laisser la place à un plancher rectangulaire, figure d’une cellule autant monastique que carcérale, de laquelle ne sortiront plus les trois prisonniers : Yeux-Verts (Sébastien Pouderoux), Lefranc (Jérémy Lopez) et Maurice (Christophe Montenez) y entrent, le corps dans la pénombre, le visage éclairé d’une lumière orangée, intense.

Le premier est un meurtrier, élevé au-dessus de ses pairs pour avoir accompli son impérieux destin. Il est l’Homme, le mystérieux élu d’une inexorable fatalité qui ne supporte aucun avertissement – le reproche en est fait à celui qui l’adule, Maurice, comme le témoignage d’une incapacité à le rejoindre dans son exil sans repos –, nulle possession, ni retour en arrière. Le jeu intéressant et nuancé de Sébastien Pouderoux oscille entre hiératisme et spasmes furieux, au risque de perdre parfois de sa sibylline consistance, rabaissant par endroits l’inatteignable solitaire au rang de ses codétenus écorchés.

Jérémy Lopez et Christophe Montenez : confrontation d’excellence

Lefranc et Maurice sont de simples petits voleurs, appartenant au commun des mortels incarcérés. Le premier, lettré, s’enferre dans une jalousie nerveuse, construisant une identité faite de rapts inaccomplis, de tatouages factices et d’aventures illusoires ; le second, petite frappe à la gueule d’ange, ploie sous l’admiration qu’il porte au prisonnier d’un autre monde, à l’identité glorieuse, réunissant la virilité et la féminité, un monde auquel n’appartient que de rares appelés – Yeux-Verts et Boule de Neige, souvent évoqué, jamais visible, comme le versant secret d’un mythe en construction.

Yeux-Verts, condamné à mort, se dépouille progressivement de tout ce qui le retient au monde. Lefranc et Maurice veulent, chacun à sa manière, l’accompagner pour mieux hériter de ses biens – intimité, femme, crime… Une lutte mortelle s’engage, tout en contrastes, portée par les excellents Jérémy Lopez et Christophe Montenez, jusqu’à l’irrémédiable issue qui proclame la perte définitive, de l’un et de l’autre. Il n’y a in fine qu’un héritier, partiel, celui qui observe la lutte comme un dieu apparemment indifférent, fantomatique : le surveillant – figure d’un pouvoir structurel mais non existentiel, produit monstrueux d’une société hiérarchisée qui se divertit à distance de la misère.

Cédric Gourmelon excelle à transcrire dans sa mise en scène la lettre et la morale inversée de Jean Genet. L’espace nu conçu par Mathieu Lorry-Dupuy et le beau jeu de lumières créé par Arnaud Lavisse traduisent avec finesse l’agression, l’érotisme et le rite inscrits dans le texte du dramaturge. Ces « jugements magnifiants », selon l’expression de Jean-Paul Sartre dans son démesuré Saint Genet comédien et martyr, sont portés par la vive austérité voulue par le metteur en scène, comme reflet du dépouillement-vers-la-mort de son héros et fenêtre sur un horizon intérieur aux contours incertains.

Pierre GELIN-MONASTIER

Jean Genet, Haute Surveillance, Gallimard, 1988 (1949), 128 p.



DISTRIBUTION

Mise en scène : Cédric Gourmelon

Texte : Jean Genet

Avec : Pierre Louis-Calixte (le surveillant), Jérémy Lopez (Lefranc), Sébastien Pouderoux (Yeux-Verts), Christophe Montenez (Maurice)

Assistanat à la mise en scène : Morgann Cantin-Kermarrec

Scénographie : Mathieu Lorry-Dupuy

Lumières : Arnaud Lavisse

Costumes : Cidalia Da Costa

Crédits de toutes les photographies : Vincent Pontet

Informations pratiques
– Public : à partir de 16 ans
– Durée : 1h15



OÙ VOIR LE SPECTACLE ?

Tournée

  • 16 septembre au 29 octobre 2017 : Studio-Théâtre de la Comédie-Française (Paris)



 

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