7 novembre 1915 : prémonitoire

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Rendre hommage à Lili Boulanger, voilà qui est en soi particulièrement plaisant. Le fait qu’il s’agisse d’une femme alors qu’on parle si peu des compositrices n’est pas tellement le sujet, même si c’est important : c’est sa musique qui mérite qu’on s’y arrête et il se trouve qu’on s’y arrête trop peu. Écouter Pour les funérailles d’un soldat, dont nous fêtons aujourd’hui le 106e anniversaire : c’est court et saisissant.

Et puis, Lili Boulanger est l’une de ces figures tragiques qui suscite compassion et admiration. Née en 1893, elle meurt en 1918 de la maladie de Crohn. Rien que cela suffit à poser le décor. Mais pendant sa courte vie et dans une sorte de prémonition de son destin – elle se sait condamnée relativement tôt –, elle produit une œuvre saisissante, unique, d’une puissance remarquable. Sa sœur aînée, la grande pédagogue Nadia Boulanger, défend toute sa vie les partitions de sa sœur, inlassablement, pour qu’elle ne sombre pas dans l’oubli.

En 1912-1913, Lili compose une courte partition pour baryton, chœur et orchestre, intitulée Pour les funérailles d’un soldat, commencée en août 1912 et orchestrée début 1913. Elle fait partie de ses dernières œuvres, marquées par la certitude d’une fin prochaine. Le texte est emprunté à l’acte IV de La Coupe et les lèvres de Musset.

« Qu’on voile les tambours, que le prêtre s’avance.
A genoux, compagnons, tête nue et silence.
Qu’on dise devant nous la prière des morts.
Nous voulons au tombeau porter le capitaine.
Il est mort en soldat, sur la terre chrétienne.
L’âme appartient à Dieu ; l’armée aura le corps.
Si ces rideaux de pourpre et ces ardents nuages,
Que chasse dans l’éther le souffle des orages,
Sont des guerriers couchés dans leurs armures d’or,
Penche-toi, noble cœur, sur ces vertes collines,
Et vois tes compagnons briser leurs javelines
Sur cette froide terre, où ton corps est resté !
« 

 

Sait-elle cependant, Lili, que cette partition va trouver une résonance particulière dans l’enfer au sein duquel l’Europe se précipite, la fleur au fusil, l’année suivante ? Elle est créée en pleine guerre, voici cent six ans aux concerts Colonne-Lamoureux, sous la direction de Gabriel Pierné. Tout est dans l’œuvre : le deuil, la solennité, l’angoisse et le recueillement avec, en fond, le thème universel du Dies Irae.

Quelques années après la mort de Lili Boulanger, le critique et musicologue Louis Vuillemin écrit à propos de cette immense compositrice partie trop tôt : « Une sensibilité aiguë et prodigieusement humaine servie dans son expression par la gamme complète des dons naturels depuis la grâce, la couleur, le charme et la subtilité jusqu’au lyrisme ailé, jusqu’à la force claire, aisée et profonde. De telles vertus si rarement assemblées au bénéfice d’un seul tempérament créateur. »

Telle était Lili Boulanger.

Cédric MANUEL



Un jour… une œuvre musicale !
Rubrique : « Le saviez-vous ? »



 

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