COVID, culture et conjoncture

COVID, culture et conjoncture
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Pour cette dernière chronique de l’année 2020, impossible de souhaiter à son prochain de « bonnes Fêtes » comme si de rien n’était. En effet, il ne saurait y avoir de « trêve des confiseurs » s’il n’y a pas eu d’abord une « trêve des confineurs », et nous n’en prenons pas le chemin.

Actualités de l’économie sociale

L’État-Providence a cédé la place à l’État-Pénitence. Je reprends cette jolie formule d’un blogue ami et je suis jaloux de ne pas l’avoir trouvée moi-même. En conséquence, j’ai pris le parti de ne revenir en France que lorsque les bars seront de nouveau ouverts. Du moins ceux qui n’auront pas fait faillite entre temps.

D’ici là, chers lecteurs, vous ne pourrez acheter vos bouteilles que dans une boutique et les ouvrir chez vous, en compagnie d’un nombre limité de commensaux. Je sais que vous saurez, avec l’aide de Bacchus, notre dieu tutélaire à tous, faire contre mauvaise fortune bon cœur et remplacer le nombre par le raffinement. Ce sont des plaisirs qu’aucune fermeture de théâtre ni aucun couvre feu ne pourront nous enlever ; la dive Bouteille n’est jamais ingrate en bienfaits.

En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l’éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la Poésie,
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur !

Au diable la cirrhose ! Ne consommez pas avec Modération, cet écornifleur qui prétend s’inviter à votre table. Je sais de source sûre qu’il est porteur du virus. Qui plus est, sa conversation est aussi déprimante que celle des Docteurs Diafoirus qui nous empoisonnent l’existence. Faisons en sorte qu’il nous reste au moins une parcelle de vie hors de portée de la dictature des pisse-froid.

Car nous allons devoir continuer à nous les farcir. Pour quelques mois au moins, les morticoles, au nom de la tyrannie sanitaire. Puis pour plusieurs années, les ayatollahs du climat, au nom de la planète. Les uns comme les autres entendent « nous faire adapter nos comportements », à grands renforts de menaces, de privations et d’interdictions ; ils appellent cela de la « pédagogie ».

J’aimerais que le monde de la culture se lève pour leur faire barrage. J’entends bien ça et là sourdre quelques protestations. Mais elles me semblent bien faibles, et souvent ambiguës, voire teintes d’une certaine complicité.

J’écoutais à la radio un cultureux de grand renom se lamenter à hauts cris des misères que la cruauté des temps fait subir à son activité. Nous sommes indispensables, brâmait-il avec conviction. Ce n’est pas la première fois que j’entends cet argument. À chaque crise, grande ou petite, il se trouve une haute voix pour nous assurer que le sortie ne pourra se faire que par la culture. La formule est agréable, mais n’a plus rien d’original, encore moins de subversif.

Mais notre homme affaiblissait grandement son propos en réclamant, pour lui et ses pairs producteurs de sens, une place à côté des manitous du fameux Comité Scientifique Covid-19 au sein duquel, il est vrai, on trouve des représentants de différentes obédiences, y compris la présidente d’ATD Quart Monde, mais pas un seul cultureux. Quelle candeur ! Trois ou quatre comparses y siègent, au titre de faire-valoir, à l’ombre d’une dizaine de morticoles dont c’est l’heure de gloire ; comment penser que ceux-ci, ivres de leur nouvelle toute-puissance, accepteraient de partager leur pouvoir démiurgique avec des saltimbanques ? Il faut vraiment être du monde de la culture pour se montrer aussi naïf.

Par ailleurs, en voulant se hausser seul à la table des grands, il ne manifeste aucune solidarité avec les restaurateurs, les commerçants et autres compagnons de galère. Plutôt que de rester manant parmi les manants, il entend s’extraire de cette plèbe qu’il semble mépriser tout bas, lui qui pense exercer des fonctions aussi nobles qu’essentielles. Il réclame la pré-éminence ; moyennant quoi, il n’apparaît que pour ce qu’il est, un courtisan qui implore sa part du fromage.

Ah, ce n’est pas ainsi qu’on rend service à la culture !

En l’occurrence, ce n’est pas la culture dans son ensemble qui a été mise à mal par les oukases du Comité Scientifique. Elle n’est touchée qu’indirectement. Même en se limitant au spectacle vivant, le secteur culturel le plus sinistré. En effet, si l’on veut bien analyser celui-ci, non du point de vue de ses financeurs publics et de leurs nomenclatures, non du point de vue de la galaxie de ses producteurs et auxiliaires, mais dans ses fonctions sociales, on va en distinguer trois :
– l’érudition, la connaissance, la recherche du beau, du sublime ;
– le divertissement ;
– le partage, la compagnie, la sociabilité, tout ce qui fait qu’il y a un public.

C’est ce troisième aspect qui a été massacré par le feu des confineurs et des masqueurs. Par voie de conséquence, les deux autres ont été gravement atteints, mais ce n’est qu’un dégât collatéral.

Et c’est cette même alchimie, qui agrège les préférences individuelles pour en faire un public, qui se retrouve dans le viseur des technocrates du climat. Interrogez-les, un par un ; tous, la main sur le cœur, vous assureront de leur amour pour la culture. Mais le système qu’ils veulent nous imposer, la dictature des émissions de CO2, est dans le droit prolongement de la dictature de la circulation du virus. Pour notre bien, pour notre santé, pour la planète, les théâtres devront rester fermés. Pas pour longtemps ; juste un mois, juste six mois, juste dix ans.

Dans une relative discrétion, à l’occasion du 5ème anniversaire des accords de Paris, les objectifs européens de réduction des émissions de CO2 à l’horizon 2030 (c’est à dire dans dix ans seulement) ont été revus à la hausse, à un niveau tellement invraisemblable (car les nouvelles technologies n’existent pas encore, et il faudra bien plus de dix ans pour qu’elles se substituent intégralement aux anciennes) que pour s’en rapprocher, il faudra non seulement maintenir fermés les théâtres et les restaurants, mais aussi fermer les écoles et les universités, limiter les transports aux allers simples vers l’hôpital, calfeutrer les logements au-delà du possible et y confiner l’intégralité de la population. Ah certes, on pourra toujours travailler en ligne, étudier en ligne, acheter en ligne et faire l’amour en ligne avec une infinie variété de partenaires artificiels.

Le citoyen confiné sera appelé chaque jour à redoubler de civisme et de responsabilité. Il obéira, je n’en doute pas. Car c’est le public qui se révolte, non l’individu, même si on l’appelle citoyen.

Les professionnels de la culture qui acquiescent avec sympathie aux objectifs de réduction du CO2 creusent leur tombe ! Qu’ils comprennent au moins qu’un soulèvement libérateur exprimant le besoin de culture ne viendra pas d’eux, mais du public, et qu’ils n’ont qu’une légitimité toute relative à vouloir s’en faire les porte parole.

Bonnes Fêtes quand même.

Philippe KAMINSKI

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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.



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