Festivals : vers un marketing tribal

Festivals : vers un marketing tribal
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Le marketing classique est tenu en échec par les communautés affectuelles des festivals. Le festivalier d’aujourd’hui ne cherche plus d’abord un objet de consommation mais un moyen de se lier aux autres, de développer la relation interpersonnelle, de faire tribu. Analyse.

Communautés affectuelles en festivals 4/5


Aujourd’hui administratrice adjointe de SOUKMACHINES, Mathilde Viot a achevé en 2018 une thèse professionnelle, dirigée par Dominique Bourgeon-Renault (Burgundy School of Business / MECIC), sur le thème : « L’impact des communautés affectuelles sur le développement des festivals ». Elle propose une synthèse de ses recherches dans une série de cinq articles publiés en exclusivité dans Profession Spectacle.


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L’analyse sociologique des communautés affectuelles et leur incidence sur les comportements de consommation nous permettent de poser les bases théoriques de certaines stratégies en nous inspirant de travaux qui ont été menés par des chercheurs en sociologie et en marketing.

La valeur de lien et le besoin d’appropriation

L’apparition de communautés affectuelles a radicalement changé les comportements de consommation. Bernard Cova parle en cela de la « valeur de lien » qui est essentielle à la bonne entente et compréhension de son consommateur – ou, dans notre cas précisément, de son public de festivaliers.

Sous la poussée d’un retour de la communauté, la société serait en train d’évoluer vers la constitution de micro-communautés dans lesquelles les individus entretiennent entre eux de forts liens émotionnels, une sous-culture commune, une certaine « vision du monde ». Chaque individu pouvant appartenir à plusieurs tribus au sein desquelles il joue des rôles parfois très différents et porte des masques spécifiques, son repérage par les outils « traditionnels » d’analyse sociologique devient très difficile.

Dans cette logique tribale, l’individu semble chercher par la consommation un moyen de se lier aux autres, de développer la relation interpersonnelle, plus qu’un moyen direct de donner un sens à sa vie (individuellement, en se libérant des autres). Ainsi le produit ou le service devient-il le support de cette recherche de lien.

Les communautés affectuelles contemporaines ne sont plus refermées sur elles-mêmes : la condition même de leur existence est d’interférer avec l’extérieur, de se faire connaître, de se rendre publiques. La valeur de lien interpersonnel ne peut se comprendre ni se chiffrer avec des approches dites « traditionnelles » du marketing. Elle ne peut non plus s’étudier simplement avec un regard psychosocial.

La pertinence du regard ethnosociologique

Un des regards pertinents aujourd’hui pour interpréter le comportement de consommation tribal est le regard ethnosociologique, développé notamment par Pascal Dibie dans La Passion du regard : essai contre les sciences froides (1998). La psychologie sociale s’intéresse à l’influence d’un sujet A sur un sujet B (individu ou groupe), au pouvoir que l’un exerce sur l’autre, à leur contamination, à l’imitation de A sur B, etc.

L’ethnosociologie s’intéresse plutôt à ce qui fait le lien entre eux et préfère donc étudier « l’être-ensemble AB », leurs émotions qui sont partagées. Les regroupements tribaux diffèrent des segments traditionnels par leur dimension éphémère et plurielle : le désir de tribalisme postmoderne est un désir de communion, non pas avec un groupe unique et clairement identifié, mais simultanément avec plusieurs groupes, ce qui n’implique pas des traits de personnalité ou des valeurs fixes et communes, mais une expérience commune correspondant à un aspect fragmenté de la vie personnelle.

D’un côté nous avons le lien effectif entre deux ou plusieurs individus dans le cadre de groupements d’affinités de taille réduite (relations immédiates, connexions collectives), de l’autre le lien imaginaire qui permet à chacun de se sentir partie d’un tout à saveur communautaire, lié à un objet ou un lieu (de culte).

La notion d’appropriation est clé dans la compréhension de la recherche d’expérience. Du point de vue anthropologique, l’appropriation est la mise en œuvre d’une culture commune, d’une science de la manière d’occuper et de penser le monde partagée par tous les membres d’un groupe. Dans le contexte de nos sociétés capitalistes, la notion d’appropriable est directement liée à celle de propriété. Tout individu pourrait ainsi s’approprier un produit ou un service à partir du moment où il en devient propriétaire (par l’acte d’achat). Mais il ne faut pas réduire la notion d’appropriation à ce simple processus de clientélisme, il existe de l’appropriable en dehors de l’acte d’achat : elle implique des formes d’affection ou d’émotion qui ne sont posées par aucun texte juridique et qui se réalisent indépendamment de tout droit de propriété.

Le marketing tribal et de procuration

Le marketing tribal ne peut pas se fonder sur des segments, niches, styles de vie et autres catégorisations rationnelles. Ainsi une tribu est-elle un objet très difficile à identifier à partir de variables modernes, contrairement à un segment de consommateurs. Une tribu est un système ouvert : on y appartient tout en n’y appartenant pas. Ce constat demande une certaine rupture avec la pensée mécaniste et moderne du marketing qui préfère circonscrire un objet en identifiant ses frontières et identifier les caractéristiques particulières de cet objet.

Cela dit, une tribu laisse tout de même des traces, qui peuvent être de différentes natures (dans le temps et dans l’espace). Pour assembler ces indices, on pourra s’appuyer sur ce que Véronique et Bernard Cova appellent, dans Alternatives Marketing. Réponses marketing aux nouveaux consommateurs (2001), « le trèfle à quatre feuilles d’une tribu », caractérisé par deux dimensions : la dimension visible (les traces ou évidences), avec d’un côté ce qui est du domaine de l’occasionnel (les rassemblements) et de l’autre côté ce qui est du domaine de l’institutionnel (les lieux de permanence de la vie tribale) ; et la dimension invisible (les ombres ou suppositions), avec d’un côté ce qui relève du vécu (pratique quotidienne) et de l’autre côté ce qui relève de l’imaginaire (mouvance ou tendance).

Les membres de la communauté pourront alors prendre différents rôles : les adhérents ou fidèles relèveront ainsi de « l’institutionnel », les sympathisants feront partie de la dimension « imaginaire », les pratiquants du « vécu » et les participants relèveront eux de la dimension « occasionnelle».

Les analyses classiques du marketing reposent sur un schéma assez simpliste : on a d’un côté des images, des marques, des produits et des services, et de l’autre des consommateurs qui les accueillent. On ne prend pas du tout en compte ce que fait le consommateur avec ces images et ces produits ou services. Ça n’est pas tant que les consommateurs les refusent mais plutôt qu’ils les transforment (à travers leurs sens et usages). Ainsi, plus elles seront ouvertes à d’éventuelles digressions, plus le consommateur aura matière à façonner. Dans une optique de marketing de procuration, on cherchera à éviter une surdétermination des images et des fonctions. On introduira des zones de friche de sens et d’usage, c’est-à-dire une sorte d’état sauvage, de manière à favoriser l’appropriation.

Mathilde VIOT

Lire aussi :
1/5. Le sentiment communautaire en festivals : un phénomène en pleine expansion
2/5. La religion : un concept inscrit au cœur de tout festival
3/5. Festivals – L’impact des communautés sur la consommation et le marketing

 



En partenariat avec le MECIC /  Burgundy School of Business de Dijon

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